Troie est un péplum que je tiens en très haute estime. Aussi épique que prenant, le film fait la part belle aux scènes de batailles particulièrement réussies et à l'interprétation sans faute de ses acteurs, Brad Pitt et Eric Bana en premier. Le duel au glaive qui les opposent vaut largement celui de Gladiator. La reconstitution de Troie est aussi vraiment grandiose et la musique de James Horner superbe. Mais le film est aussi une immense réussite par son sous-texte. J'ai vraiment aimé le développement du personnage d'Achille : pendant la première partie, Achille est représenté comme un homme ne se battant "que pour sa petite personne" comme le dit Agamemnon. Il veut à tout prix que l'Histoire retienne son nom et pense que c'est en guerroyant qu'il y parviendra. En dépit de son affection pour Patrocle, il ne connaît pas l'Amour avec un grand A : sa première apparition le montre nu avec deux femmes dans son lit. On peut en déduire que les femmes ne sont à ses yeux qu'un moyen de satisfaire son appétit charnel. Mais il va comprendre la leçon que le film expose : la guerre ne fait pas de toi un héros. C'est ce que révèle Hector à Paris. Tuer, même dans une guerre, est une chose terrible et ne nous rend pas meilleur. Il n'y a aucune gloire à en tirer. Et Achille va comprendre que tuer signifie briser des vies et des liens entre parents. Sans pour autant se renier complètement (même quand il court à travers Troie pour retrouver Briséis, il ajoute de nouveaux hommes à son tableau de chasse), il va comprendre que aimer une femme, l'honorer, la respecter et bâtir sa vie à ses côtés fait de nous des êtres bien plus admirables que des hommes de guerre. J'adhère grandement à ce discours car outre sa sincérité et son côté véridique, il prend intelligemment à contrepied les récits épiques en général où les héros ne brillent que par leurs faits d'arme. Et la scène de la mort d'Achille est admirable : elle procure une forte émotion mais aussi, par la musique semi tragique et semi héroïque qui est jouée, elle évoque son accession à l'état de héros. Il est devenu un héros en sauvant une femme et en l'aimant.
Troie est un grand film d'amour ou sur l'amour si vous préférez. La seconde leçon qu'il délivre est qu'en politique, l'empire de la passion est toujours désastreux. En effet, à cause de l'amour inconditionnel mais aveugle de Paris pour Hélène, la guerre de Troie aura lieu et des milliers de gens périront. Une ironie tragique que le film expose à merveille et qui n'est pas sans rappeler le Cléopatre de Mankiewicz. Mais comme pour ce dernier film, si Troie montre les conséquences de la passion quand elle se retrouve mêlé à la politique, il montre aussi le caractère émouvant et sublime de l'amour. Il est bien sûr difficile de se prendre d'affection pour le couple Paris et Hélène d'une part en raison de leur acte irréfléchi qui provoquera la guerre et son lot de morts, mais aussi en raison de la couardise et de la lâcheté de Paris. Mais on peut se reposer sur d'autres relations. Il y a l'amour entre Briséis et Achille, mais également, l'amour de Priam pour ses fils, l'amour de Hector pour sa famille et pour sa patrie. Tout cela est magnifiquement retranscrit par le film.
Il y a des gens qui ragent à cause des différences que le film se permet par rapport au texte d'Homère. Un peu comme ceux qui pestent contre les films Harry Potter, le Seigneur des Anneaux ou les films de super-héros pour leur soi-disant non respect du matériau d'origine. Sérieusement, il va falloir arrêter de faire les puristes car si on écoutait ce genre d'individus, vous n'imaginez pas le nombre de perles dont on aurait été privés. Personnellement, j'aime beaucoup l'Iliade et l'Odyssée. Mais je pense que le but de Wolfgang Petersen était de rendre l'histoire plus réaliste, plus terre à terre. Les dieux sont évoqués à de nombreuses reprises dans le film, mais rien ne précise qu'ils existent vraiment en tant qu'entités surnaturelles. Le film ne prétend pas non plus le contraire. Mais je suis grandement favorable à ce traitement car il permet de nous rendre plus proche des personnages et de l'histoire. Surtout que dans le texte d'origine, les dieux interviennent régulièrement dans l'intrigue, parfois même directement dans l'action. Encore une fois, je ne crache pas sur l'Iliade et l'Odyssée, mais franchement, vous pensez que vous arriveriez à être investi dans un film avec une intrigue qui soit remplie de Deus Ex Machina et qui rebondit essentiellement par la tricherie des protagonistes ? Dans un texte mythologique, ça peut marcher, mais dans un film, je pense que non. Le film ne respecte pas son matériau d'origine ? Déjà, toutes les modifications apportées à l'histoire d'origine étaient nécessaires pour coller au changement de ton utilisé par le film. Ensuite, se démener comme l'ont fait les scénaristes pour réussir l'exploit de rendre les personnages crédibles, c'est ça pour vous ne pas respecter le matériau d'origine et vomir sur le texte d'Homère ? Ça me fait penser aux fans de Batman qui ragent sur la trilogie Dark Knight de Christopher Nolan pour ces mêmes raisons.
À mon sens, le film de Petersen, malgré les libertés qu'il prend, est à la fois une adaptation mémorable et un grand film épique. Ce n'est pas un vulgaire blockbuster fait juste pour en mettre plein la vue. Il a un vrai discours, une vraie émotion, un vrai souffle épique et une vraie profondeur. C'est un film nettement au-dessus d'autres péplums modernes comme les assez pitoyables 300 et Centurion. Le meilleur péplum moderne avec Gladiator.