Et si The Godfather était la synthèse parfaite entre le film d'auteur et la grosse production ?
Avec cette oeuvre de commande adaptée du roman de Mario Puzo, l'enfant du Nouvel Hollywood, tout juste sortie de l'écurie Corman, fait rentrer le film de gangsters dans une nouvelle ère, tout en rendant hommage aux films du genre des années 1930. Il donne une dimension baroque à son oeuvre, faisant du Parrain un film-opéra aussi majestueux que grandiose.
Dès les premières secondes, un long plan-séquence, sous une lumière obscure, où l'on découvre Marlon Brando de dos avant que la caméra n'arrive sur son visage, Coppola donne le ton. Il nous immerge au coeur de la vie de la famille Corleone, d'abord via le mariage de la fille, puis peu à peu dans les rouages de leur système où l'on découvre les méthodes, les autres clans et l'importance de la famille. Construit autour du patriarche, ce premier opus de la saga met en avant sa déclinaison, parallèlement à l'ascension du fils tout juste revenu de l'armée.
Ce qui frappe une fois la vision du Parrain terminée, c'est sa richesse d'écriture et toutes les thématiques qu'il aborde, tout en prenant le temps de développer et d'approfondir les personnages et les relations qu'ils auront entre eux. Abordant d'abord les coulisses de la pègre, c'est peu à peu le rêve américain que Coppola met en avant à travers l'immigration et l'implantation de ceux-ci sur ce territoire, gardant toutes leurs traditions et grimpant, d'une manière ou d'une autre les échelles sociales. Une immigration toujours d'actualité, à l'image du turc et l'arrivée de la drogue dans les affaires, point de départ de la "chute" de Brando, lui qui n'a jamais voulu mêler ses affaires à cela. C'est aussi la vision d'un monde violent, d'une famille où chaque membre est en danger permanent dès qu'il sort et où finalement, la violence est le seul moyen de se faire entendre.
Tout en abordant toutes ses thématiques avec intelligence et toujours en fond de l'histoire, le futur metteur en scène d'Apocalypse Now montre tout son talent pour mettre en place les personnages et enjeux. La construction du récit est remarquable, il met en avant la chute d'un parrain qui ne peut plus suivre l'évolution rapide de ce monde, et la montée du fils de celui-ci. Il nous immerge totalement dans cette famille, sachant bien mettre en avant les personnalités de chacun, ceux qui vont être en retrait comme Fredo ou ceux qui n'ont pas l'intelligence et/ou le sang-froid pour prendre les affaires en main. Il donne de l'importance à tous, qu'il soit plus ou moins important et met superbement en avant toute la complexité et la profondeur d'eux, ou des enjeux.
Le travail sur les personnages se trouve aussi dans la perception que va en avoir le spectateur. Ici, il n'y a guère de "bons", la majorité représente des criminels et/ou des corrompus ou pourris jusqu'à la moelle et Coppola arrive à nous attacher aux protagonistes, à les rendre sympathiques, notamment Brando alors qu'ils sont ignobles. Il le fait notamment en mettant en avant le sens de l'honneur et de la famille, au détriment de leurs actes criminels, et les justifiants par les barbaries des autres clans. D'ailleurs aucun des personnages ne laisse réellement indifférent, chacun arrivant à créer un sentiment, de sympathie, dégout ou détestation et tous bénéficient d'excellentes interprétations. Difficile d'évoquer Le Parrain, sans parler de la direction d'acteur de Coppola, si Brando est "possédé" en patriarche, évitant totalement la caricature et usant d'un jeu d'une rare subtilité, Al Pacino est lui aussi remarquable, tout en justesse jusqu'à en faire froid dans le dos. De James Caan à Robert Duvall en passant par la belle Diane Keaton, tous les autres acteurs se font oublier derrière leur personnage et permettent d'accentuer l'immersion et le côté réaliste de l'oeuvre.
Jusqu'au final et cette dernière image où le regard de Diane Keaton fait froid dans le dos, Coppola montre toute sa maestra et son génie. Chaque plan est parfaitement millimétré et frôle la perfection, son travail sur la lumière (avec l'aide de l'excellent Gordon Willis) est remarquable tandis qu'il orchestre son récit d'une main de maitre. Le montage participe pleinement à la réussite du film, Coppola jouant avec facilité entre les différents lieux, tandis que plusieurs scènes restent des modèles du genre, à l'image du baptême. Il met en place une atmosphère de plus en plus fascinante, prenante et baroque, le film prend une ampleur immense où chaque seconde est riche et chargée de sensation. Sublimant une bande-originale adéquate, il nous immerge totalement au coeur de la pègre grâce à une reconstitution et une photographie remarquable.
Si aujourd'hui Le Parrain reste à ce point ancré dans les mémoires, c'est tout simplement qu'il n'a jamais été dépassé. Coppola signe l'ultime oeuvre sur la mafia, réunissant plusieurs thématiques et nous immergeant totalement au coeur de la famille Corleone, pour un résultat aussi somptueux que grandiose.