Opéra funèbre, tragédie intemporelle, descente aux enfers moderne, violence extrême, mise en scène littéralement dithyrambique, personnages sinistres. « Le Parrain », définitif chef d’œuvre de cinéma mafiosi, est plus qu’un film, c’est une fin, la fin du classicisme hollywoodien incarné par Marlon Brando et le début de la nouvelle dynastie Corleone interprétée par une solide distribution de remarquables acteurs.
« Le Parrain » est aussi un face à face entre familles et tueurs, c’est une poétique ascension des mots au rythme inégal, qui frappe aujourd’hui de par sa sobriété, démarrant dans un plan séquence angoissant et vertigineux, témoin direct d’une maitrise impeccable, ou la caméra recule, où elle nous laisse dévisager un homme suppliant le parrain, un vieux déchet menaçant à la voix énigmatique que la caméra dévoile à son tour dans le sublime clair obscure, accompagné d’un chat, symbole d’une délicatesse perdue. Le parrain, c’est une ordure, et pourtant il est le personnage le plus attachant durant ces trois heures de film. Trois heures imprévisibles où la mort frappe à chaque instant, n’importe qui, n’importe où, trois heures de fascination qui tourne à la tragédie noire et sans pitié, nous faisant voyager de New York à la Sicile et les sublimes paysages italiens. Car « Le Parrain » commence par un mariage, passe par un enterrement, s’achève sur un baptême, révélant au passage Al Pacino.
Francis Ford Coppola fait vibrer à travers ce ballet morbide ou les hommes s’éclipsent et les familles demeurent dans l’ombre du patriarche qui s’entretient entre la paix et la haine, qui fait la justice, qui laisse la mort le détruire petit à petit dans des séquences intimistes veloutées.
Ici le meurtre, le sang, le mal, tout est banalisé, ainsi les crimes restent impunis, des hommes pleurent dans l’ombre et d’autres tombent parmi les oranges qui ne cessent de revenir. L’atmosphère et surveillée au grain, certain plan marquent de plein fouet, comme cette instant ou un homme pisse tandis que le passager de sa voiture se fait assassiner par une silhouette inconnue, quand la dorure des blés fait le contraste avec le ciel bleuté et la statue de la Liberté qui s’impose dans ce monde qui se déchire, comme une sublime allégorie d’une spirale infernale qui prend son ampleur sous nos yeux, ou encore également, ce chapitre qu’est la fusillade de Vito Corleone, orchestrée avec une maitrise sidérante, les oranges, les hommes qui arrivent avec des gros plans sur leurs pistolets, Fredo, son fils, qui tente de secourir le parrain mourant, mais qui laisse tomber son arme et pleure sur le trottoir.
Enfin, « Le Parrain » est un portrait, sombre, fin, prenant la moindre ambiguïté comme une graine à conserver et qui couve la tragédie dans les quelques moments de bonheur familial. C’est le portrait d’une famille encrée dans ses traditions, mais qui agonise sous le coup du monde qui change. Et si l’intrigue devient parfois très confuse du fait de sa complexité, -car le milieu de la Mafia ne se résume pas à un procédé manichéen- le film garde intacte sa froideur, captivante et fascinante.
Opéra gargantuesque, prodige purement cinématographique, chef d’œuvre intemporel. Finalement la seule offre que l’on ne peut pas refuser, c’est la vie…