Rarement un film secoue et prend aux tripes comme celui-là. Notant que "La Route" est l'adaptation cinématographique d'un roman éponyme de Cormarc McCarthy, comme l'était "No country for old men" des frères Coen (tellement dur que je n'ai jamais pu aller au bout), je me dis que l'auteur américain doit être spécialisé dans les oeuvres coup de poing, brutales, qui fichent un cafard monstre. Nécessité, donc, de se blinder le coeur avant visionnage. Me voilà avertie pour une éventuelle prochaine autre adaptation... Ici, nous sommes dans un monde post-apocalyptique gris et froid, noyé sous une poussière délétère, hérissé d'arbres fantômatiques intégralement défoliés, où toute trace de vie animale a disparu. Pourtant, avant ce jour funeste où les pendules se sont arrêtées à 1 H 17, les lauriers roses s'épanouissaient insolemment à côté des glycines à grappes jaunes. Images odorantes et colorées d'un bonheur à jamais perdu, sur lesquelles s'ouvre le film, et qui se sont transformées en cauchemar/flash back dans la tête du héros. La photographie, superbe, quasi monochrome, traduit en hypnotiques dégradés de bruns et gris une dévastation de fin du monde, de désespoir poisseux, insondable, et rien que pour ce magnifique travail, Javier Aguirresarobe mériterait qu'on retienne son nom. Aucune explication précise ne renseigne le spectateur sur ce qui s'est passé. On comprend simplement que la Terre nourricière a connu il y a plusieurs années une destruction cataclysmique massive, s'insinuant en filigrane l'idée que l'homme en est certainement le responsable. Que faire dès lors que la civilisation a laissé place au chaos et qu'il n'y a plus rien à manger ou presque ? Marcher, avancer à la recherche de nourriture et souvent aussi courir pour la survie. C'est ce que font les deux protagonistes de "La Route". On ne connaît pas leur nom, juste qu'ils sont, en un fort symbolisme, "Le Père" et "Le Fils". Tout au long de cette quête initiatique aux limites de l'humain, traînant jusqu'à l'épuisement un caddie de supermarché, le père n'aura de cesse de protéger son fils d'un environnement abominablement hostile, dominé par la bestialité des gangs armés, où le cannibalisme a repris ses droits. Et quand le petit, la voix tremblante d'une terreur diffuse, demande à son père "On mangera jamais personne, hein ? Même si on a très, très faim, même si on meurt de faim ?", la réponse fuse : "On meurt déjà de faim". L'espoir de trouver de la nourriture renaît à chaque fois qu'ils visitent une maison abandonnée. Souvent soldé par une cruelle déception. La moindre cannette de Coca Cola se transforme en un inestimable trésor. Un jour, ils tombent sur une trappe d'accès à une cave, fermée par un cadenas. "Si c'est fermé, c'est qu'il y a une raison". Remplis d'espoir, ils s'arment d'une tige métallique pour faire levier... en effet, il y avait une raison... Comment survit-on au plus noir du plus noir, quand il n'y a pas d'issue. A quoi bon ? La performance de Viggo Morternsen est époustanflante. Amaigri jusqu'au décharnement, on le voit tenir pour son fils et tout endurer avec dignité et la plus totale abnégation. Dans ce monde distillant une angoisse viscérale, on les sent tous deux éperdus, assoiffés de chaleur humaine, de la plus petite once d'humanité. On sent combien le contact physique devient vital. Toucher les cheveux, les joues, la main, la peau... Jonh Hillcoat a réalisé une oeuvre magnifique, intense, qui marque l'esprit au fer rouge. Le propos est dur et certaines scènes très difficiles... attention.