Hunger, où comment l'excellent acteur Michaël Fassbender prouve dans ce film réalisé par Steve Mc Queen (12 years a slave), qu'il est un acteur d'exception, n'hésitant pas à joué de son charisme, et surtout de son corps pour définir la volonté et la condition dans laquelle finira Bobby Sands (leader de l'IRA, enfermé à "The Maze" une prison nord irlandaise, gérée par une milice sous l'autorité du gouvernement britannique de Margaret Tatcher, qui ne tolère pas la violence et la revendication de l'indépendance de l'Irlande du Nord face à l'Angleterre, et dont les partisans de l'IRA capturées, se voient refuser leur statut de prisonniers politiques
Ce film est extrêmement poussif, dérangeant, jusqu'au boutiste, sans concession, et mélangeant habilement par la mise en scène de longs plan séquences qui donne une atemporalité au film à plusieurs moments clefs du récit, et des plans fixes dont l'ambiguité de l'interprétation posera petit à petit, tel le calvaire vécu par les prisonniers, la situation plaçant le spectateur en état d'observateur avant de tomber dans la catharsis, même si le manichéisme n'est jamais dévoilé. Les Images sont fortement signifiantes, et permettent à la fiction d'avancer comme une micro-narration, par le biais de plans minutieux et secs, mais dont le sens est suspendu aux retards d’identification, aux ruses temporelles, à une stratégie de brouillage moral. Ce que Steve Mc Queen définira comme style d'"Images-savons" qui échappent à l’instant même où on croit les tenir, et contraignent à faire un pas d’écart pour les rattraper sous un nouvel angle.
L'exemple le plus flagrant est celle du départ où Stephen Graves inquiet, plonge ses mains tachées de sang dans l'eau avec du savon, on ne sait dès le départ quel parti prendre pour ce protagoniste, à savoir si il est bourreau ou victime. Lorsqu’à nouveau Graves plonge les mains dans l’eau, le sang qui s’y répand vient autant d’un premier coup de poing atteignant le visage du prisonnier que de l’échec du suivant venu s’écraser contre le mur. Il blesse, il est blessé ; il subit tout autant la violence qu’il s’en fait l’instrument.
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La résistance tant physique que psychologique de ces prisonniers, revendiquant un statut de prisonniers politiques, est très forte, et Mc Queen transpose la lutte de ces prisonniers contre les gardiens de la prison en un rapport de force d'une réaliste dureté ambiguë avec brio, de manière à la fois subtile mais dérangeante.
L'enfermement des prisonniers dans des cellules de 6 mètres carrés, à l'hygiène immonde (murs tapis d'excréments, urines partout répandus dans les couloirs, utilisation peu communes du savon pour nettoyer, prisonniers nus pour avoir refusé de porter les uniformes de prison (en réponse au statut apolitique de criminel à quoi les ramène Margaret Thatcher), refus par les prisonniers de se laver), et la "grève de l'hygiène" déclaré par les prisonniers, ils transforment leurs cellules en grottes et révèlent les conduits et les cavités de leur propre corps. Aussitôt ingurgitée, la nourriture se transforme en tas de merde dont ils couvrent les murs, ou qu’ils laissent croupir dans un coin grouillant d’asticots. Ils empoignent cette matière informe pour modeler des rigoles et déverser sous le pas de la porte, une fois le signal donné, des rivières d’urine inondant le couloir. Lors des rares visites, les messages et les paquets parvenant à passer outre l’attention des gardes transitent par voies nasales ou rectales : de l’un de ces colis déféqués sort une petite radio permettant de capter les nouvelles de la lutte républicaine rapportées par l’inflexible pouvoir britannique. À partir de cette intolérable situation d’incarcération, toutes sortes d’ouvertures s’imaginent, réaffirment une puissance de vie et incarnent une forme inouïe de résistance, même s’il s’avère qu’au dehors la réponse ne varie pas, et que Thatcher campe sur ses positions.
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Ensuite, après de violentes représailles des 2 côtés, gardiens comme prisonniers, aboutissant à la crainte de Graves, et son inéluctable destin, Steve Mc Queen nous offre une leçon de cinéma par l'utilisation pendant 17 minutes d'un plan séquence en caméra fixe mémorable sur la question de savoir si la cause justifie qu’on meure pour elle,
la très longue discussion centrale où Bobby Sands annonce au père Dominic Moran (interprété par l'excellent Liam Cunningham) qu’il s’apprête à entamer une grève de la faim repose le problème autrement. Le ping-pong verbal filmé en ce très long plan séquence, se joue de l’attention du spectateur.
L’échange très rapide prend une pente savonneuse et comique en nous perdant délibérément en cours de route, avant de nous rattraper par l’argument central de la confrontation des raisons de vivre et des raisons de mourir. Admirable dosage de bavardage et de maïeutique serrée. Si la discussion ne semble mener nulle part, c’est qu’elle ne peut pas avoir d’issue ailleurs qu’en acte. Le moyen de la grève est en soi politique, elle n’a de fin qu’à sortir des questions de vie ou de mort où veut l’enfermer le pouvoir.
Finalement, nous assistons à un Bobby Sands qui va dépérir pendant 66 jours de sa grève de la faim avant de mourir, propulsant l'interprétation tant psychique que physique de Fassbender (qui pour le film perdra 14 kilos) au rang de martyr. À cette occasion le temps du cinéma de "Hunger"se dilate, s’ajuste à celui de la vie. C'est une décélération, prolongée lors de l’agonie de Sands en ralentis nombreux, qui retourne la progressive passivité du corps en résistance à la mort qui vient. Elle leste l’amaigrissement fatal d’un surcroît de présence et de conscience, et renverse en dignité la dématérialisation du corps, afin d'anoblir la conviction de liberté indépendantiste, en leur permettant aux détenus de l'IRA d'obtenir leur revendication, malgré un refus statique jusqu'au bout de leur statut de prisonnier politique. Bobby Sands icône de cette grève de la faim fut élu paradoxalement député au même moment, mais il fallu attendre la mort de 9 autres grevistes de la faim à cette cause pour que la grève de la faim et celle de l'hygiène prenne fin, octroyant les revendications à ces prisonniers.
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En résumé, un film coup de poing très fort, juste, parfaitement dosé, aux multiples métaphores dans la réalisation, et à la prestation corporelle prodigieuse d'un Michaël Fassbender exceptionnel. Un chef d'oeuvre, relatant un très dur avancement historique pour l'Irlande.