Ce vendredi 23 septembre, la cinéaste Alice Diop a été choisie pour représenter la France aux Oscars, avec son premier long métrage de fiction Saint Omer.
Oscars 2023 : après Julia Ducournau, une nouvelle réalisatrice représentera la FranceIl y a 15 jours, la scénariste et réalisatrice recevait deux prix au prestigieux Festival de la Mostra de Venise, pour ce même film : le Lion d'argent, Grand prix du jury, et le Lion du Futur du Meilleur Premier Film.
Venise 2022 : après L'Événement, le Lion d'Or pour une autre réalisatrice, Colin Farrell et Cate Blanchett récompensésA cette occasion, la cinéaste a tenu un discours très fort, et beaucoup relayé sur les réseaux sociaux. Soulignant la symbolique de recevoir ces prix de la part d'un jury présidé par la comédienne Julianne Moore, et donc "une histoire de transmission, histoire de sororité, une histoire de passage de relais, dans ce film si féminin", Alice Diop a ensuite convoqué les mots d'une autrice comptant beaucoup pour elle, Audre Lorde.
"C'est très étrange car je n'ai plus les mots... Alors que quand je tournais Saint Omer, il y a un livre qui était mon livre de chevet, que je lisais tous les soirs, qui me donnait de la force. C'est un livre de la poétesse Audre Lorde, qui s'appelle Sister Outsider. Dans Sister Outsider, elle écrit, en parlant des femmes noires : "Notre silence ne nous protégera pas". J'ai envie de dire ce soir : "Nous ne nous tairons plus""
Nous nous sommes entretenus avec la réalisatrice à la veille de l'annonce des Oscars, à l'occasion du Congrès des éditeurs de la FNCF. Nous avons souhaité revenir avec elle sur l'écho qu'a eu ce discours, et l'importance de ces deux prix pour elle en tant que cinéaste. Découvrez notre interview vidéo ci-dessus, et l'entretien au complet ci-dessous.
"C'est tellement exceptionnel, tellement inattendu. Pour moi d'avoir ces prix, ce n'était même pas une projection possible. C'est encore plus sidérant et encore plus bouleversant. Mais au-delà des prix, ce que je retiens, c'est l'accueil époustouflant et absolument bouleversant. Le jour de la projection à Venise a été un des jours les plus forts de ma vie. Les retours de femmes notamment qui m'ont raconté leur expérience personnelle, les échos très directs entre leur histoire personnelle et cette histoire, comment elles l'avaient traversé, comment cela leur a permis de se questionner en rapport avec la maternité...
Cela m'a vraiment convaincue de ce dont j'ai toujours eu foi, c'est-à-dire à quel point cette histoire est universelle. La question centrale du film est vraiment le rapport que tout un chacun a avec la maternité. Qu'enfin, on ne soit pas confinés dans notre négritude, mais qu'on puisse aussi porter des questionnements qui parlent à tous, et que ce soit reconnu, que ce soit validé, constaté. C'est une chose qui me ravie."
"Toute ma vie est politique. Ce que je défends, ce que je suis, ce que je travaille, ce que je fais. Tout est politique. Donc cette phrase d'Audre Lorde ("Notre silence ne nous protégera pas", Ndlr.) l'est tout autant que le film et ma présence, le corps d'une femme noire sur cette scène, devant cette assemblée. C'est tout aussi politique que tout ce qui m'arrive, de tout ce que je fais depuis 20 ans. Dans l'euphorie et dans la panique de remonter sur scène et de réfléchir à ce que je pouvais dire m'est revenue cette phrase d'Audre Lorde", développe Alice Diop à notre micro.
Cette phrase dit tout un parcours personnel, un parcours intime, une histoire de vie, qui résume tout ce pourquoi je le fais.
"[Sister Outsider] est un livre qui m'a beaucoup aidée à comprendre la nécessité de ce que j'étais en train de fabriquer dans le cinéma. Cette phrase dit tout un parcours personnel, un parcours intime, une histoire de vie, qui résume tout ce pourquoi je le fais. Je pense à toutes les autres femmes noires qui tournent à la marge, et dont j'aimerais d'une certaine manière que ce prix puisse éclairer là où elles sont. (...) Maintenant on va parler, maintenant on va mettre en scène nos récits. Mais si on est prêts à ne plus se taire, êtes-vous prêts à accueillir ? Il y a aussi tout ça dans cette affirmation."
Au cours de cet entretien avec Alice Diop, nous l'avons également interrogée la question de la représentation et du renouvellement des récits, en écho à des propos tenus par Rebecca Zlotowski pendant le Festival de Cannes ("Mettre des femmes et des minorités devant et derrière la caméra, c’est aussi une urgence économique, car quand les représentations ne sont pas là, les gens disparaissent des salles").
"Entre Black Panter et Saint Omer, il y a un monde, nous indique-t-elle, à propos de la question de la représentation. Mais effectivement, la question est : qu'est-ce qu'on propose aux gens? Comment on tente de refléter au mieux l'état d'une société. Je continue à aller au cinéma et je fais des films pour la salle, qui sont très exigeants formellement, à partir de mon endroit. C'est à dire qu'on ne peut pas résumer non plus au fait d'être une femme noire, et que des gens noirs seraient naturellement attirés par un film comme Saint Omer. Je le souhaite, mais je parle à partir de mon endroit.
Il y a un besoin de renouvellement de récit, un besoin de revisiter une histoire collective.
Je suis assez d'accord avec ce que formule Rebecca Zlotowski. Mais je pense que la seule réponse est dans la foi, dans l'invention de nouvelles formes, et effectivement de nouveaux récits. Pour moi c'est presque un renouvellement, même en tant que cinéaste. Au-delà des spectateurs, il y a des récits qui m'ont manquée personnellement, même pour faire grandir mon propre cinéma. C'est certain qu'il y a des récits manquants. C'est certain qu'il y a des voix qu'on n'entend pas. Il y a un besoin de renouvellement de récit, un besoin de revisiter une histoire collective, à un endroit qui a été très peu visité jusque là."
Saint Omer sortira au cinéma le 23 novembre prochain. D'ici là Alice Diop va sillonner les festivals avec le film, notamment au Festival 2 Cinéma de Valenciennes qui commence aujourd'hui.
sélectionné dans plusieurs festivals
Valenciennes 2022 : Laure Calamy et Benoît Poelvoorde en compétition… Tout sur la sélection du Festival 2 CinémaSaint Omer sera également en compétition au Festival de Bordeaux, le FIFIB, courant octobre.
Saint Omer est inspiré d'une histoire vraie. Le film suit Rama, jeune romancière, qui assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama et interrogent notre jugement.