À bout de souffle, créer la nouveauté
Michel Poiccard (Jean-Paul Belmondo) vole une voiture à Marseille et sur la route, tue un gendarme. En arrivant à Paris, il croise une étudiante américaine nommée Patricia (Jean Seberg) avec qui il va faire des projets de fuite à Rome. Mais lorsque sa photo est publiée dans les journaux et qu'il est pourchassé, son destin va basculer.
C'est une bonne porte d'entrée car c'est le premier long métrage du réalisateur, écrit sur une idée de François Truffaut. A bout de souffle propose l’itinéraire d'un jeune délinquant qui, après avoir volé une voiture et tué un policier, est traqué par la police. Ce que fait Godard avec son premier long métrage, c'est montrer qu'on peut partir d'un genre surexploité au cinéma (ici, le film policier) et proposer des formes nouvelles pour le raconter.
C'est ce qu'il fait en filmant avec une caméra mouvante, en multipliant les regards caméra, en ajoutant à la narration l'improvisation du réel. Pour le dire autrement, il s'agit de laisser la vie réelle qui se déroule autour du film (dans l'arrière-plan, à côté des acteurs), insuffler de la vie au long métrage.
Ce faisant, Jean-Luc Godard contribue à construire le mouvement cinématographique de la Nouvelle Vague. Et si À bout de souffle est resté dans les mémoires cinéphiles, c’est parce qu’il porte les germes d’un cinéaste accompli, qui frappe fort dès son coup d’essai.
Vivre sa vie, la modernité avant tout
Pour boucler ses fins de mois et lutter contre l'ennui, Nana, vendeuse dans un magasin de disques, décide de vivre sa vie comme elle l'entend. Ce film est une déclaration d'amour de Jean-Luc Godard à sa compagne et muse de l'époque : l'actrice Anna Karina.
Elle est de tous les plans de Vivre sa vie, film en "douze tableaux" (cf. le sous-titre) qui raconte les déambulations d'une jeune femme libre. Libre de ses choix, de son corps, libre de s'exprimer. Godard montre aussi les carcans subis par Nana et, non sans pessimisme, la façon dont la société tourne autour des hommes et qu'ils peuvent s'avérer destructeurs.
Si d'un point de vue formel, Vivre sa vie est encore moins accessible que Pierrot le fou par exemple (noir et blanc, audaces stylistiques, dialogues littéraires), les thématiques qu'il aborde sont plus que jamais d'actualité pour les spectateurs de 2022.
Alphaville, de la poésie d'anticipation
Dans une époque postérieure aux années 1960, les autorités des "pays extérieurs" envoient le célèbre agent secret Lemmy Caution (Eddie Constantine) en mission à Alphaville, une cité désincarnée, éloignée de quelques années-lumière de la Terre. Caution est chargé de neutraliser le professeur von Braun, despote d'Alphaville, qui y a aboli les sentiments humains.
Plus de sentiments, plus de communication... Godard s'insurge à sa façon contre ce qui compte le plus pour lui. Comment aimer sans langage ? De quoi parler si ce n'est d'amour ? Un film expérimental d'une époque où le cinéaste n'avait pas rejeté toute idée de narration structurée et qui, s'il a un peu perdu de son aspect novateur sur la forme, demeure un long métrage à voir de son réalisateur.
Détective, toujours avant-gardiste
Au cours d'un match de boxe, le meurtre d'un Prince déclenche un étrange ballet entre la mafia et la police. Dans un grand hôtel parisien, près de la gare St-Lazare, deux flics enquêtent sur la mort prématurée du Prince. Dans les couloirs, tel un labyrinthe, des personnages cherchent leur chemin. Et leurs histoires se croisent par instants. Avec Johnny Hallyday, Nathalie Baye, Claude Brasseur et Jean-Pierre Léaud.
Même lorsqu'on lui confie un certain budget et un casting de stars, Godard n'est pas où on l'attend. En fait de film policier, il livre un film à la frontière de l'expérimental fait de dialogues-citations, d'une histoire décalée et décousue à la limite du compréhensible pour un parfait exercice de style qui casse les codes du polar. A réserver aux inconditionnels du réalisateur.
Le Mépris, l'amour fini
Paul, un scénariste français (Michel Piccoli) et son épouse Camille (Brigitte Bardot) visitent le tournage du nouveau film de Fritz Lang, qui tourne l'histoire d'Ulysse pour un producteur américain (Jack Palance). Très vite, Paul se voit proposer de travailler sur le script du film, tandis que Camille se retrouve un peu trop souvent seule avec le producteur, qui l'intimide. Dès lors, leur couple commence à battre de l'aile...
Peut-être le film le plus "froid" du début de carrière de Godard. Le Mépris raconte un couple en cours de destruction, une histoire d'amour triste couplée à la naissance d'un film. Parfois, l'amour disparu peut mener à la création. Les images de Brigitte Bardot et de Michel Piccoli sur le thème de Camille composé par Georges Delerue justifient à elles seules la vision.
Pierrot le fou, les codes explosés
Ferdinand (Jean-Paul Belmondo) vient de perdre son emploi. Un soir, alors qu'il vient de passer une soirée désastreuse, il renoue contact avec Marianne (Anna Karina), une amie qui est désormais la babysitter de ses enfants. Avec elle, il quitte sa famille pour se lancer dans un voyage improvisé composé de hauts et de bas.
Godard est peut-être plus libre qu'il ne l'a jamais été et part dans un film qui est à la fois une ode à l'amour qu'il éprouve à l'époque pour Anna Karina, un film qui fait voler en éclat les récits structurés et dégage un parfum d'anarchie certains, sur la forme comme sur le fond.
Il est aussi le reflet d'un cinéaste en quête d'un absolu, d'une pureté, qui n'est peut-être possible que dans la mort. Pierrot le fou n'est pas un film accessible, mais il mérite, aussi pour la liberté qu'il dégage, qu'on lui donne sa chance.
Week-end, la rébellion
Roland et Corinne quittent la grande ville pour aller passer le week-end à la campagne. Mais de rencontre inattendue en embouteillages monstrueux, leur escapade va virer au cauchemar. Un an avant les événements de mai 68, Jean-Luc Godard oppose le monde de la bourgeoisie gaulliste (représenté par Roland/Jean Yanne et Corinne/Mireille Darc) au reste du monde moderne.
Ces deux personnages vont traverser les embûches avec une indifférence totale et une cruauté certaine. Week-end est divisé en chapitres sans véritable fil rouge autre que ce couple de consommateurs, qui va montrer une herméticité complète à l'imaginaire (le passage avec Lewis Carroll), un penchant pour la violence et le voyeurisme, et un détachement qui frôle la perversion.
Godard ne fait donc pas dans la finesse du propos, mais montre plus de délicatesse dans la mise en scène, qui opte pour un travelling formidable (l'embouteillage) ou des plans séquences souvent très "crus". Une curiosité qui montre toute l'insaisissabilité du réalisateur.