Parmi les créateurs des Invisibles, on retrouve Olivier Norek, auteur de polars qui a notamment travaillé sur Engrenages. Connaissiez-vous son travail d'auteur avant de rejoindre le casting des Invisibles ?
Nathalie Cerda : Non, mais ça m'a donné envie. J'ai lu tout Norek ! J'ai adoré sa trilogie autour du capitaine Coste. En plus, il sait de quoi il parle car il a été pendant longtemps lieutenant à la SRPJ de Seine Saint-Denis, donc c'est presque du vécu : l'approche du terrain, la proximité avec les gens, et son style d'écriture surtout ! Ce ne sont pas juste des faits divers plaqués comme ça, il y a de vraies histoires derrière. J'ai hâte qu'il en écrive un autre !
Justement, dans la série, les enquêtes sont empreintes de réalisme social : certaines vont traiter de la lutte des classes, de la précarité...
Oui parce que les invisibles, ça peut être n'importe qui, quelle que soit la classe sociale, la culture, on peut tous se retrouver un jour dans cette situation - enfin, je ne le souhaite à personne ! (rires) Mais il peut arriver que quelqu'un ne soit pas réclamé après une disparition un peu étrange comme ça. Eux, ils ont à coeur, de par leur parcours peut être aussi et leur vécu, de s'intéresser à ces cas-là.
Il y a aussi cet impératif de temps auquel l'équipe de Darius (Guillaume Cramoisan) est soumise : un délai de sept jours pour identifier une victime avant qu'elle ne soit envoyée à la fosse commune. Est-ce le cas dans la réalité ?
Je ne me suis pas renseignée là dessus, mais je pense que c'est la vérité. Ils ont sept jours en général quand les victimes sont des anonymes, sinon, ces personnes sont enterrées sans nom, sans rien... Ca crée une urgence qui est intéressante pour la série.
Selon vous, qu'est-ce qui distingue Les Invisibles des autres séries policières françaises ?
Justement, ce sentiment d'urgence m'a plu. Et aussi le fait que ne soit pas des héros, ce sont presque des antihéros, nos personnages. Ce qui m'a plu aussi, c'est la construction du scénario. Au départ, on ne sait pas qui va être la victime, qui va être l'assassin, ni l'enchaînement logique qui va relier les deux... Et bien sûr les rapports entre les quatre enquêteurs.
Marie-Jo, votre personnage, a beaucoup d'aspérités. Qu'est-ce qui vous a plus chez elle ?
C'est une femme qui a affronté la vie, qui est de la vieille école. C'est aussi celle de Darius : ils prennent parfois des chemins de traverse pour obtenir ce qu'ils veulent, qui ne sont pas toujours légaux... Mais ce qui m'intéressait surtout dans le personnage de Marie-Jo, c'est que c'est madame Tout-le-monde.
Elle a le caractère qu'elle a, parce que la vie l'a un peu éprouvée, et parce qu'on ne s'apitoie pas sur soi dans ces cas-là, on avance en aidant à résoudre les malheurs d'autrui. Elle a beaucoup de mal à montrer ses sentiments et se protège beaucoup.
Justement, par rapport aux relations au sein du groupe, Marie-Jo a beaucoup de mal à contenir son animosité envers Duchesse (Déborah Krey), la plus jeune recrue du groupe. On sent qu'elle qu'elle est un peu réfractaire du fait de son milieu social, ou parce que son ascension dans la police a été plus facile pour elle...
Oui c'est ça. Marie-Jo comme je le disais vient de la veille école, où il fallait gravir les échelons les uns après les autres pour devenir major, elle n'a peut être pas fait les études qu'a pu faire Duchesse, elle est arrivée là où elle est à la force des bras.
Elle jalouse un peu le fait que Duchesse soit arrivée là en ayant fait des études de droit, une année à l'école de police et elle est propulsée lieutenant alors qu'elle n'a pas du tout l'expérience du terrain. Marie-Jo a de l'animosité envers elle, et en même temps elle s'en veut d'être comme ça, car Duchesse est brillante et elle voit bien qu'elle est utile au groupe même si elle a beaucoup de mal à l'admettre.
Ca la rend très touchante; je pense notamment à une scène de l'épisode 2 où elle se rend chez un tatoueur avec Ben (Quentin Faure)...
Oui, elle a un petit côté rock n'roll (rires), et puis elle se laisse un peu avoir par Ben. Je me suis imaginée que Ben représentait un peu le fils qu'elle a perdu. Il a environ le même âge, il a un côté rebelle et fonceur mais en réalité c'est un nounours au coeur tendre... Elle a beaucoup d'affection pour lui.
Je voulais que le personnage de Marie-Jo soit très proche des gens. Je n'ai jamais aimé les James BondI : intouchable, séduisant, intelligent, qui réussit tout ce qu'il fait... je n'aime pas beaucoup les héros. Moi j'aime bien les gens qui font des choses héroïques et qu'on ne voit pas, qui se perdent dans la foule, "grignotés comme un quelconque fruit" comme dirait Jacques Brel. Marie-Jo essaie, à son échelle, de réparer ce qui est un brisé, de recoller les morceaux.
Elle me fait un peu penser à des antihéroïnes de séries policières britanniques, comme Sarah Lancashire dans Happy Valley par exemple. Des enquêtrices qui ont été un peu abîmées par la vie, sont ancrées dans le réel.
Oui, c'est ça ! J'ai lu pas mal de livres de Patricia Cornwell, parce que quand on aime les polars, on lit toujours un peu de Patricia Cornwell. (rires) C'est une romancière brillante qui a fait partie du FBI, elle était à Quantico, et tout ce qu'elle raconte est très proche de la réalité.
Pour Marie-Jo, je m'étais un peu inspirée d'un personnage de sa série des Kay Scarpetta, qui s'appelle Marino et qui est son binôme. Il paie pas de mine, il est super ringard, tout le temps désagréable, il boit beaucoup et fume comme un pompier, mais il est ultra-perspicace et assez touchant, au final. Comme elle, ce sont des gens qui ont de la bouteille, qui savent de quoi ils parlent.
Si le succès est au rendez-vous et que la série est renouvelée pour une deuxième saison, aimeriez-vous continuer l'aventure ?
Ah oui, on aimerait beaucoup se retrouver tous les quatre parce qu'on s'entend vraiment bien. On s'est beaucoup amusés, et le fait que tout le monde soit un peu confinés a fait qu'on se retrouvait souvent tous les quatre pour travailler, moins dans les restaurants et dans les bars à trinquer ! (rires) On ne se connaissait pas et on s'est entendus à merveille. Donc on a hâte de reprendre, même si le rythme est assez soutenu ! D'autant plus que c'est une toute nouvelle série, donc il fallait vraiment être dedans.
Mais la ville de Lille et ses alentours, là où on tournait, c'est tellement magnifique ! Il y a une atmosphère particulière, propice au polar, avec cette espèce de lourdeur de plomb du ciel, avec ces bâtisses rouges de brique... Les conditions de tournage ont été un peu difficiles parfois à cause des pluies torrentielles, mais c'est une très belle région.
Avez-vous des projets en cours après Les Invisibles ?
Je fais beaucoup au théâtre, et avant que toute cette calamité arrive, je jouais une pièce de Fabio Marin avec Catherine Arditi, qui s'appelle Un pas après l'autre, et qu'on va reprendre certainement bientôt.