Au cinéma, l'horreur a toujours été un genre propice pour aborder les disparités sociales. En 1975, The Stepford Wives de Bryan Forbes, adaptation du roman d'Ira Levin, dépeint une petite ville dans laquelle les hommes transforment leurs épouses en automates. Avec Candyman, en 1992, Bernard Rose transpose le monstre de Clive Baker sur grand écran. Le croque-mitaine au crochet terrorise les communautés marginalisées de Cabrini Green, un quartier défavorisé. Il y a, plus récemment encore, les œuvres de Jordan Peele, oscarisé pour le Meilleur scénario original avec Get Out en 2018.
C'est avec le maître Peele que la série Them - Eux en version française - semble tisser de nombreux points communs. Pour sa première fiction, composée de 10 épisodes, le créateur et scénariste Little Marvin s'intéresse à l'arrivée d'une famille noire, les Emory, dans un quartier uniquement occupé par des Blancs, à Compton, en 1953. Les regards agressifs et les messes basses vont laisser place à la fureur et déchaîner une succession d'actes abominables à l'encontre des nouveaux arrivants. L'horreur à l'état pur.
À l'issue du visionnage, il est évident que Them partage quelques similarités avec les films de Jordan Peele, mais l'ensemble demeure bien différent. La violence qui y règne est plus extrême, enragée, presque anti-Hollywoodienne. "Pour tout vous dire, j'ai commencé à écrire la série avant que Get Out ne sorte au cinéma, fait savoir l'auteur lors d'une table ronde sur Zoom à laquelle AlloCiné a pu participer. C'est une réponse à tous ces matins où, dès que j'allumais la télé ou mon téléphone, je voyais un nouveau citoyen noir tué."
Les êtres humains peuvent être bien plus terrifiants que des monstres surnaturels.
La vague actuelle de films et séries d'horreur politiques ne surprend pas le créateur : "C'est un beau moyen de se saisir des problématiques sociétales tout en offrant un vrai divertissement." Si Them avait été un simple drame, il estime que la "pilule aurait été plus dure à avaler". Du côté des deux acteurs principaux, l'horreur s'impose comme une évidence lorsqu'il s'agit de s'intéresser au racisme. "Pour ceux qui le vivent, le racisme est une expérience traumatisante, donc l'aborder à travers le prisme de l'horreur fait sens, affirme Deborah Ayorinde, qui incarne Lucky, la mère de la famille. Les êtres humains peuvent être bien plus terrifiants que des monstres surnaturels."
L'actrice rappelle qu'à cette époque, et aujourd'hui encore, les femmes noires faisaient face à deux ennemis : le racisme et le sexisme. "Il était important pour moi que cette vérité transparaisse, mais je veux que la série apporte de l'espoir à celles et ceux qui n'attendent que d'être vus et entendus", souligne-t-elle. Dans le rôle de son mari, Henry, Ashley Thomas souhaitait jouer sur l'authenticité pour que tout soit crédible à l'écran, "sans tricher". "Je ne suis pas quelqu'un d'émotif, mais j'ai craqué plusieurs fois sur le plateau, admet-il du bout des lèvres. L'équipe était soudée et à l'écoute, mais c'était un tournage difficile et exténuant."
En face de la maison des Emory vit Betty, l'archétype de la femme des années cinquante, mais aussi celle qui attise la haine du quartier. Ce personnage, absolument détestable, est brillamment joué par Alison Pill. Quand un journaliste lui demande quelles ont été ses inspirations pour construire une figure aussi effrayante, sa réponse est claire : "Hélas, je n'ai pas eu à chercher bien loin car tout est devant nos yeux. Sur les réseaux sociaux par exemple, avec ces vidéos où des femmes blanches agressent des Noirs dans la rue sans aucune raison valable. C'est impossible d'échapper à ça, c'est partout et systématique."
Le Nous et le Eux
L'actrice précise qu'il y a, "évidemment", une différence entre 1953 et la société actuelle, mais regrette à quel point tant de choses restent inchangées. Pour se protéger de son rôle, Alison Pill se reposait sur son costume et sa perruque. "C'était comme une armure, lance-t-elle. Une fois que j'enlevais tout, je me sentais libérée de tout ce que j'avais pu faire ou dire durant la journée."
Sous-titrée Covenant, la série Them est pensée comme une fiction anthologique. Lorsqu'AlloCiné conclut l'entretien et interroge le créateur sur ce que le mot Them - ou Eux en français - signifie pour lui, il explique : "Depuis la naissance des États-Unis, il y a toujours eu un Nous (il prononce U.S. pour U.S.A, NDLR), donc il y aura toujours un Eux. Pour moi, il s'agit du groupe dominé, marginalisé, vu par les oppresseurs. Mais dans la série, Eux peut signifier les Emory ou les voisins. C'est aux téléspectateurs de décider."
Découvrez la bande-annonce de "Them" :