Après un premier court-métrage en 2015, Un Entretien en est désormais à sa saison 3. Vous attendiez-vous à une telle longévité en imaginant ce projet ?
Julien Patry, créateur : Pour être honnête, non. C'était un court-métrage unitaire, qui était bouclé en soi. C'est un enchaînement d'opportunités qui a permis à la série d'exister. Christelle Graillot a vu le court en festival, c'est elle qui a eu l'idée d'en faire une série autour de Benjamin Lavernhe.
J'ai trouvé une écriture, et j'ai proposé le projet à Arielle Saracco de Canal+ et le projet est né. Une première saison en a appelé une autre, puisqu'on n'avait pas fait le tour du sujet. En outre, chaque saison était l'occasion d'expérimenter une écriture et une mise en scène différente, la saison deux amenant un récit plus feuilletonnant, et la saison 3 un niveau supplémentaire de satire.
Dans ces nouveaux épisodes, quel état des lieux vouliez-vous faire sur le monde du travail actuel ? Comment votre vision a-t-elle évolué ?
Le monde du travail est l'arène de la série, mais aussi un reflet de la société. On vit une période plombée, incertaine, qui pèse sur tous. On est à la fois en pause, et en même temps, ça cogite très fort dans nos crânes. Pour faire passer la pilule, l'entreprise essaie de montrer un visage humaniste, de chouchouter ses salariés. Et tant mieux si ça marche ! Mais si on regarde par l'autre bout de la lorgnette, on peut y voir dans cette incitation au bonheur au travail une poudre au yeux qui a pour but de mieux asservir les salariés. S'ils se sentent mieux au travail, ils se donneront mieux pour la boite, donc... seront plus rentables.
J'essaie d'observer les deux côtés de la lorgnette d'une situation absurde qui rend fou. Plus le monde est pesant, plus l'injonction à être heureux est forte. Il n'y a qu'à voir les rayonnages de bouquins de développement personnel dans les librairies, qui s'étalent de plus en plus. Notre DRH, dans la troisième saison, est nommé directeur du bonheur, il doit diffuser le bonheur aux salariés, tout en étant malheureux au fond de lui. D'où un dilemme cornélien, et une tempête dans un cerveau déjà bien névrosé.
La crise sanitaire et économique a-t-elle impacté votre écriture ainsi que le tournage ?
La troisième saison a mis plus de temps à éclore que les deux autres, puisque Benjamin Lavernhe et moi étions débordés de projets. Entre les tournages repoussés et les théâtres fermés, la crise du Covid a finalement libéré de l'espace dans nos plannings, et créé un arrière-plan à la troisième saison. Je dirais donc que... j'ai un peu profité de la crise sanitaire, finalement. Il y avait une opportunité pour créer, mais surtout un vrai sujet.
Impossible de parler du monde du travail aujourd'hui sans aborder cette crise, qui rebat beaucoup de cartes. J'ai voulu en faire une toile de fond sans vraiment la nommer, mais elle est là, par petites touches, via le télétravail, les masques et visières... sans en faire trop, parce qu'on n'a pas envie de filmer un comédien masqué.
Ce qui est intéressant, c'est que pas mal de chefs d'entreprises ne veulent pas du télétravail, parce que ça les rassure de voir les gens travailler. C'est très paternaliste, très infantilisant. Ça va de pair avec l'injonction au bonheur des salariés : C'est typique du bon sentiment qui peut devenir insupportable ou destructeur.
Qu'est-ce qui a été décisif dans le choix de Benjamin Lavernhe pour porter la série et quel regard portez-vous sur l'évolution de sa carrière au cinéma ?
Quand j'ai fait le court-métrage, j'avais vu Benjamin seulement dans le making-of de Radiostars, un mockumentaire où il joue un rôle, celui d'un comédien qui ne vient sur les plateaux que par passion pour les câbles des équipements des électriciens. Il était très drôle, en décalage total. J'ai scotché.
Je l'ai contacté via une amie productrice commune, Emma Javaux. On s'est rencontrés et j'ai eu l'intuition qu'il ne fallait pas chercher plus loin, il était là, mon personnage lunaire et névrosé ! Alors je lui ai demandé de sortir son agenda et je lui ai volé son seul week-end de libre dans le mois, pour y caler le tournage du court.
Il était déjà un jeune acteur prometteur. Entre le court et la troisième saison, il a acquis une grande renommée, a eu trois nominations aux Césars, une aux Molières, a porté Scapin à la Comédie Française et aujourd'hui des premiers rôles, dans le très attendu film de Laurent Tirard Le Discours par exemple, et ce n'est pas fini (mais je n'ai pas le droit d'en parler.) C'est un acteur dingue, très musical. Il a le sens de la comédie, de la nuance, du rythme. C'est un bonheur de le voir habité par mes névroses personnelles !
Pour finir, quels sont vos prochains projets ?
Je suis toujours en développement de deux longs-métrages et de deux séries. J'ai refusé des longs, je souhaite que le premier soit très personnel. Je tourne en fin d'année une série pour OCS, TouTouYouTou, écrite par deux auteurs que j'aime beaucoup, Géraldine de Margerie et Maxime Donzel. C'est une histoire d'espionnage dans le monde de l'aérobic dans la France des années 80. Le pitch fait saliver, non ?
Un Entretien saison 3, à partir du 10 avril sur Canal+ et en intégralité sur myCANAL :