De quoi ça parle ?
Fin des années 1960, Madame Claude règne sur Paris et au-delà grâce à son commerce florissant. En réinventant les codes de la prostitution, en empruntant ceux de la bourgeoisie et en s’inventant un passé respectable, elle est devenue une femme d’affaires redoutée et estimée du monde politique au grand banditisme.
Femme de pouvoir dans un milieu et une époque d’hommes, à la veille des grands mouvements de libération de la femme, elle sera aussi le témoin de la fin d’une époque. Sa rencontre avec Sidonie, son opposée mais aussi son alter ego, sera imperceptiblement le fil conducteur de l’érosion de son empire. Sidonie est la fille qu’elle s’est choisie, qui deviendra presque son bras droit.
Pour la première fois de sa vie, elle tient à quelqu’un. Elle qui tient le tout Paris dans ses carnets, qui s’est construite sur la haine et la honte, aimer quelqu’un, ça, elle ne sait pas le gérer. Sans le vouloir, et sans doute aussi car elle représente la liberté et l’indépendance, Sidonie précipitera sa chute...
Madame Claude, écrit et réalisé par Sylvie Verheyde.
Disponible sur Netflix
C'EST AVEC QUI ?
Présente dans tous les films de Sylvie Verheyde, Karole Rocher interprète ici le rôle-titre, une antihéroïne glaciale, inquiétante et qui refuse de s'abdiquer. Révélée dans Grave de Julia Ducournau, Garance Marilier incarne Sidonie, la dernière recrue du réseau de Madame Claude et celle qui va renverser son quotidien.
Hafsia Herzi, Annabelle Belmondo ou encore Liah O'Prey prêtent leurs traits, quant à elles, aux "filles" de la proxénète. Du côté des personnages secondaires, Sylvie Verheyde convoque un casting principalement masculin composé de Roschdy Zem, Benjamin Biolay, Paul Hamy, Philippe Rebbot ou encore Pierre Deladonchamps.
ÇA VAUT LE COUP D'ŒIL ?
La dernière fois que le cinéma s'est intéressé à Madame Claude, c'était en 1977, avec un long métrage portant son nom sous la houlette de Just Jaeckin, le réalisateur d'Emmanuelle. Kitsch avant l'heure, ce projet à la gloire de la mère maquerelle, incarnée par Françoise Fabian, surfe sur la vague des films érotiques du moment et connaît même une suite. La version de 2021 est sa parfaite antithèse. "Une biographie non autorisée", comme aime à le dire sa cinéaste, Sylvie Verheyde.
En phase avec son temps
À des années-lumière de l'aspect glamour et porno chic du premier film, ce Madame Claude est une œuvre brute et complexe sur l'ascension d'une provinciale partie de rien et prête à tout pour se faire un nom. Un "exemple de réussite" pour beaucoup de femmes de l'époque, que la réalisatrice et scénariste n'hésite pas à écorner. Sylvie Verheyde, qui s'était déjà attelée au thème de la prostitution avec son film précédent, Sex Doll, dresse le portrait d'un monstre. Derrière son allure de grande bourgeoise bien sous tous rapports, elle dissimule un autre visage, calculateur, inquiétant, parfois même criminel.
Pourtant, rien n'est jamais manichéen dans Madame Claude. Le personnage brille par ses nombreuses contradictions. Elle peut incarner une figure maternelle et protectrice dans une scène et devenir l'un des plus grands bandits de Paris dans la suivante. L'excellente interprétation de Karole Rocher donne davantage d'épaisseur à l'écriture de la réalisatrice, qui qualifie son personnage "d'héroïne à la Martin Scorsese". L'actrice est entourée d'une belle distribution et notamment d'une Garance Marilier troublante qui symbolise une nouvelle génération.
Briser la loi du silence
Si l'action immerge les spectateurs dans une époque révolue, Madame Claude parvient à s'inscrire dans le présent en donnant vie à des personnages féminins modernes. L'une des séquences marquantes du film montre Sidonie, jouée par Garance Marillier, déposer plainte au commissariat pour inceste. Lorsque l'héroïne brise ses chaînes et sort du silence, Madame Claude résonne cruellement avec l'actualité. La réalisatrice l'admet à AlloCiné : "C'est grâce à l'époque MeToo que j'ai pu faire ce projet".
En utilisant les codes des films de gangsters, Sylvie Verheyde fait de son Madame Claude un long métrage à la croisée des genres, aussi passionnant que poignant. Elle laisse entrer la fiction dans ce biopic qui dévoile la face cachée de l'ascension sociale de Fernande Grudet, exemple classique du transfuge de classe, et de la révolution sexuelle dans une France post-soixante-huitarde.