L'idée est sensiblement différente des Top recommandations régulièrement mis en ligne durant le confinement et au-delà. Ici, la sélection des films a aussi vocation à développer une petite mise en perspective historique propre à la toile de fond déroulée dans l'oeuvre, ou même sur son sujet. De quoi contextualiser un peu plus des films qui méritent d'être découverts, et qui sont, dans certains cas, d'authentiques chefs-d'oeuvre.
Nous avons découpé notre thématique du XXe siècle en plusieurs chapitres. Le premier volet (que vous pouvez retrouver ici) évoquait la période 1890-1914, qualifiée de "Belle Epoque". Une expression née d'ailleurs après la Grande guerre de 14-18, pour qualifier une période idéalisée à postériori et insouciante, par contraste avec la boucherie de la Première guerre mondiale. Une guerre que l'on se proposait justement d'évoquer dans notre seconde période. Troisième chapitre de notre série : la période de 1919 à 1939.
Loulou (1929)
Loulou, belle, capricieuse, insouciante et innocemment perverse, est une créature qui ne vit que pour l’amour. Elle joue dans une revue que commandite son amant, Ludwig Schön, un puissant magnat de la presse et du music-hall fiancé à la fille du ministre de l’intérieur. Au soir de la première, Loulou oblige Ludwig à rompre. Elle se fait épouser par Schön, mais le soir des noces, il la surprend dans sa chambre en situation équivoque. Furieux il veut l’obliger à se suicider, mais dans la lutte, c’est lui qui est tué par accident. Accusée de meurtre, Loulou parvient à s’enfuir…
Adaptation de deux pièces de théâtre, La Boîte de Pandore et L’esprit de la Terre, du dramaturge allemand Frank Wedekind qui firent scandale au début du XXe siècle, Loulou, signé par le maître Georg Wihlelm Pabst, fit de son actrice principale, Louise Brooks, une véritable icône féminine de la période jazzy des années 20. Alors que les femmes s'émancipent de plus en plus de leur condition, que les jupes se raccourcissent, l'actrice déclenche une nouvelle mode avec sa coupe de cheveux unique, bientôt imitée par les femmes du monde entier, que l'on surnomme les Flappers, les "garçonnes".
Le film est aussi entré dans la légende pour son traitement cru des moeurs sexuelles. Le sexe et le désir viennent dynamiter les conventions bourgeoises : Loulou entretient d'abord une liaison avec un homme d'âge mûr, le docteur Schoen, en même temps qu'avec son fils. Puis une femme, la Comtesse Anna Geschwitz (Alice Roberts), semble s'éprendre de la belle. Ce film, largement censuré à sa sortie en 1929, remonté conformément aux souhaits du réalisateur en 1980, offre ainsi le premier personnage ouvertement lesbien de l'histoire du cinéma. La suite de la carrière de l'actrice est moins glorieuse, avec une étoile pâlissant très vite : retirée du circuit à l'âge de 32 ans, elle exercera par la suite divers métiers, comme vendeuse dans un grand magasin ou même escort-girl.
On achève bien les chevaux (1969)
1932. Les Etats-Unis sont en pleine dépression. Poussés par le chômage et la misère, hommes et femmes décident de participer aux marathons de danse dont les vainqueurs reçoivent des primes intéressantes. Le jeune Robert pénètre à son tour dans un de ces immenses halls transformés en dancings et Rocky, le maître des cérémonies, accueille les concurrents et parmi eux « Sailor », un ancien matelot, Alice une blonde extravagante et désespérée, Gloria qui va devenir la partenaire de Robert…
Pour les Romains, il fallait au peuple du pain et du cirque, selon l'expression "Panem et circenses". Pour les laisser pour compte de l'Amérique de la Grande Dépression, il n'est désormais plus question que de faire le cirque dans des marathons de danse sans fin, pour un peu de pain. La crise, qui jette dans la rue et la misère plus de 2 millions d'américains et 13 millions de chômeurs, touche tout le monde, et installe les citoyens dans un état de désillusion tel que c'est tout le système de valeurs à la fois morales et économiques qui est très durement remis en cause.
C'est ainsi qu'il faut voir de la part d'Horace McCoy, auteur du livre dont est tiré On achève bien les chevaux, le gigantesque bal comme la mise en abime cruelle d'une société où l'argent (facile) devient le seul prisme de référence d'une communauté qui n'en a plus que le nom. C'est d'ailleurs cette métaphore implacable qui a motivé le choix du réalisateur, qui, avec le recul de trente ans écoulés depuis les événements lorsqu'il réalise le film, a pu mettre le doigt sur l'une des dérives dangereuse d'un modèle de société qui donne à ce point à l'être humain la condition d'esclave. Une Amérique qui se violente toute seule, qui s’enfonce dans le précipice sans personne d'autre qu’elle-même pour l’y pousser. On achève bien les chevaux est sans aucun doute l'oeuvre la plus poignante et puissante de toute la filmographie du regretté Sydney Pollack.
Land and Freedom (1995)
David, jeune communiste anglais, s’engage auprès des troupes espagnoles dans leur lutte antifasciste au début de la guerre civile espagnole. Aux côtés d’autres étrangers, membres d’un petit groupe réuni autour d’un même idéal révolutionnaire, leur combat pour l’honneur et l’espoir butte sur un ennemi inattendu…
La période de la guerre d'Espagne (1936-1939) reste encore relativement peu abordée au cinéma, même si l'on compte des oeuvres solides exploitant cette toile de fond, comme Pour qui sonne le glas, d'après l'oeuvre éponyme de Ernest Hemingway, intellectuel engagé d'ailleurs durant cette période. Le poignant chef-d'oeuvre L'esprit de la ruche (1973), tourné dans une Espagne encore franquiste; la vision fantastique d'un Guillermo del Toro (L'échine du Diable), ou encore le documentaire Mourir a Madrid de Frédéric Rossif, qui fait autorité est reste un classsique absolu.
Le film de Ken Loach plonge quant à lui le spectateur au sein d'une brigade du POUM, le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste, et adversaire du Parti Communiste. Composé en grande partie par des anarcho-syndicalistes, le POUM fut finalement interdit en juin 1937. L'écrasement du POUM, mené en sous-main par les agents soviétiques en Espagne, marque le début de l'écrasement de la tendance révolutionnaire présente dans le camp républicain. Les rangs du POUM ont comptés de nombreux intellectuels; le plus célèbres d'entre eux fut George Orwell. Si Loach est un trotskiste déclaré, réécrivant ici les luttes prolétariennes sous un prisme discutable, il n'en demeure pas moins que son oeuvre est sincère tout autant qu'historiquement passionnante.
La Vie est à nous (1936)
La Vie est a nous de Jean Renoir, Jacques Becker et Jean-Paul Le Chanois, est une oeuvre très atypique. Tournée en pleine période du Front Populaire, elle est toute à la fois un documentaire, un montage de bandes d'actualités, et une suite de sketchs. Il s'agit en fait d'une oeuvre de commande du Parti Communiste Français, l'un des grands vainqueurs des élections législatives de 1936. On y croise donc les figures historiques du Parti, comme Maurice Thorez ou Marcel Cachin, directeur du journal communiste "L'Humanité". Mais aussi dans leur propre rôle, et involontairement, Hitler et Mussolini...
"Ce moment était un moment d'enthousiasme. Sorte de feu d'artifice avant la catastrophe. Pendant ce grand moment nous avons pu croire qu'en France les querelles étaient terminées. Nous avons pu croire que nous arriverions à une espèce d'union, une union de tous les Français appartenant aux classes les plus différentes, les gens avec des préoccupations les plus différentes. Nous avons pu croire que nous arriverions à la fin de cette espèce de querelle éternelle qui oppose les français depuis si longtemps: la querelle des guerres de religion" dira plus tard Jean Renoir. Film-essai sur l'économie de la France des années 1930 qui n'exclue pas, dans sa forme, de vraies inventions formelles, cette oeuvre militante (dans tous les sens du terme) est un précieux témoignage historique d'un pays et d'un parti politique qui rêvait alors d'une République franco-soviétique et des lendemains qui chantent, avant que le bruit des bottes ne s'abatte sur l'Europe.
La Tempête qui tue (1940)
Au début des années 30, dans un village montagneux du Sud de l’Allemagne, une famille se trouve divisée à l’avènement du national-socialisme. Le professeur Roth, sa femme, et Martin (James Stewart, dans un de ses meilleurs rôles), un ami de la famille, s’opposent à ce mouvement. Alors que le fils et les beaux-fils du professeur sont tentés par l’aventure hitlérienne, seule sa fille Freya soutient Martin…
Extraordinaire film d'une lucidité et clairvoyance admirable, La Tempête qui tue de Frank Borzage reste encore peu visible en France. Réalisé en 1940, le film raconte comment l'arrivée de nazis au sein d'une petite communauté profondément unie bouleverse les rapports sociaux, jusqu'à la tragédie. A la suite de ce film, Joseph Goebbels, ministre de la propagande du IIIe Reich, fera interdire tout film de la MGM sur le territoire allemand; interdiction qui s'est d'ailleurs très vite étendue à l'ensemble des oeuvres hollywoodiennes. En Europe, seule l'Angleterre a sorti le film; et même après guerre, le chef-d'oeuvre de Borzage ne sera distribué qu'avec parcimonie. En France, il faut louer l'historien et Critique Patrick Brion : c'est grâce à lui que l'on a pu redécouvrir en 1976 (!) le film, dans le cadre de son programme Cinéma de Minuit. Amateurs ou amatrices de découvertes et surtout de rareté, vous savez ce qu'il vous reste à faire si vous n'avez jamais vu cette oeuvre.