En 1994, Claude Chabrol signe L'Enfer, dans lequel François Cluzet, un homme marié, se laisse peu à peu ronger par la jalousie, jusqu'à en devenir fou. Le cinéaste reprend un projet vieux de trente ans d'Henri-Georges Clouzot, laissé inachevé. Dans son Enfer, Clouzot voulait raconter l'histoire d'un homme, Marcel Prieur, patron d'un modeste hôtel de province, saisi par le démon de la jalousie. Au début du film, Marcel, un rasoir à la main, devant le corps allongé d'Odette, essaie de se souvenir comment il en est arrivé là. Sa jolie femme, Odette l'a-t-elle odieusement, scandaleusement, trompé ? Et avec qui ? Dans les rôles principaux, il choisit Romy Schneider et Serge Reggiani.
Quand Henri-Georges Clouzot se lance dans L'Enfer, il traverse une période trouble, aussi bien sur le plan professionnel que personnel. 4 ans se sont écoulés depuis son précédent long-métrage, La Vérité avec Brigitte Bardot. Critiqué par Les Cahiers du Cinéma, il appartient à une génération de cinéastes balayée par la Nouvelle Vague. 4 ans sont également passés depuis la mort de sa première femme, Véra, qui l'a plongé dans une profonde dépression. L'Enfer apparaît comme un projet bienvenu qui suscite l'intérêt autour de lui, d'autant plus que le film est cofinancé par Columbia.
Le projet commence sous les meilleurs auspices puisque le studio américain, impressionné par les premiers essais de Clouzot, lui donne carte blanche pour le budget et la direction artistique. Le cinéaste souhaite se renouveler tout en étant fidèle à sa manière de travailler, à savoir être le plus précis et le plus préparé possible lors du tournage. Pour cela, il fait appel à l'artiste plasticien Jean-Pierre Vasarely dit Yvaral, connu pour ses œuvres cinétiques, contenant des parties en mouvement. Clouzot souhaite intégrer cette esthétique à son cinéma. Il s'entoure également de Gilbert Army, un chef d'orchestre qu'il charge de créer un univers sonore unique.
Mais cette liberté a un prix. Si le scénario est minutieusement préparé, le réalisateur commence à être dépassé par sa quête artistique. Avec un temps de tournage très limité, il n'a pas le droit à l'erreur. Entouré de trois caméramans disposant chacun d'une équipe complète de techniciens, Clouzot multiplie les prises au gré de ses idées et de ses envies. Le rythme effrené des journées (qui durent 16h) finit même par faire littéralement fuir l'un des cadreurs qui s'échappe par la fenêtre d'une salle de bain !
Ce n'est pas mieux de l'autre côté de la caméra : après avoir drogué Brigitte Bardot avec des somnifères sur le tournage de La Vérité, le cinéaste pousse son duo d'acteurs à bout et provoque dispute sur dispute. Reggiani et Clouzot ne sont pas d'accord sur la manière d'interpréter le rôle de Marcel. L'acteur, épuisé physiquement et émotionnellement, finit par disparaître du plateau après plusieurs jours de tournage passés uniquement à courir devant la caméra. Officiellement, le comédien est malade. Il est remplacé par Jean-Louis Trintignant qui... abandonne le tournage au bout de deux jours.
Le Top 5 des films qui ont été mauditsClouzot refuse de laisser tomber la production alors qu'il ne lui reste plus qu'une semaine pour boucler son tournage avant que le décor ne soit plus disponible. C'est finalement son corps qui le stoppera : lors de la mise en boîte d'une scène lesbienne entre Romy Schneider et Dany Carrel, Clouzot fait une crise cardiaque. Incapable de reprendre le travail, Columbia met un terme au projet.
Si Chabrol réalise sa version de L'Enfer en 1994, il faudra attendre 2009 et L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot, le documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea, pour découvrir ce qui se rapproche le plus de la vision d'Henri-Georges Clouzot grâce aux 185 pellicules que possédait sa veuve.
La bande-annonce de "L'Enfer", version Chabrol :