Alors qu'elle a déjà tenu les premiers rôles de La Rue sans joie (pour G.W. Pabst) et La Légende de Gösta Berling (de Mauritz Stiller), Greta Lovisa Gustafsson dite Garbo quitte la Suède en 1925 pour rejoindre la Metro-Goldwyn-Mayer (M.G.M.), alors le plus gros studio américain. Les circonstances de son départ diffèrent. La première version raconte que Mayer l'avait repérée et l'a fait venir en même temps que Mauritz Stiller, la seconde que le cinéaste, en négociant son contrat avec la M.G.M., y avait inclus l'engagement de Garbo. La vérité sur cette histoire, elle, est incertaine.
L'Amérique ne l'attend pas...
Lorsqu'elle arrive à New York à 19 ans, Garbo a perdu 15 kilos sur les conseils de Louis B. Mayer, le chef de la M.G.M., qui la jugeait en surpoids pour faire du cinéma aux Etats-Unis. Cependant, le studio ne lui donne pas signe de vie pendant plus de six mois. Elle finit par déménager à Los Angeles et, par un ami suédois, parvient à passer une audition. Engagée par le producteur Irving Thalberg, elle prend des cours d'anglais et surveille son poids en attendant que les tournages arrivent. Le premier d'entre eux sera Le Torrent, un drame romantique tourné en 23 jours par Monta Bell.
L'année suivante, Garbo a l'occasion de tourner La Tentatrice avec son ami Mauritz Stiller, qui parle mal l'anglais et ne s'entend pas avec son acteur principal. Stiller est retiré du projet et remplacé. Les débuts de Garbo ne sont donc pas roses, surtout que le tournage du Torrent n'a pas non plus été de tout repos à cause des remontrances régulières de Bell envers son actrice principale.
...et pourtant !
Malgré ces soucis en coulisses, de 1926 à 1929, Garbo tourne huit films qui sont tous des succès. Elle y donne trois fois la réplique à John Gilbert, qui devient son amant. Les spectateurs attendent impatiemment leurs scènes communes au cinéma, et sont subjugués par la beauté et le charisme de l'actrice. La critique elle, loue la subtitilité de son jeu et très vite, Garbo devient l'une des plus grandes stars de la M.G.M. (ce qui n'est pas peu dire à l'époque).
L'actrice commence alors à fixer des conditions de travail jamais vues, réclamant d'être isolée de l'équipe technique et des figurants par des panneaux opaques lorsqu'elle tourne, ce qui selon elle lui permet de donner davantage à la caméra. Elle interdit également toute visite extérieure au tournage, ce qui dans son esprit, inclut les pontes du studio. Elle demande aussi à jouer des personnages plus compatissants, dont l'aspect séducteur ne représenterait pas forcément un danger pour les autres ou quelque chose de négatif. Mais ce n'est pas tout : dès 1926, elle demande à toucher 5 000 dollars par semaine, contre les 600 qu'elle touchait jusqu'alors. Tout cela lui est accordé en 1927. Les 5 000 dollars (entretemps montés à 6 000) seront toutefois obtenus progressivement, au cours d'un contrat de 6 ans. En échange, jugée trop imprudente, la M.G.M. lui interdit de parler aux journalistes, interdiction qui deviendra pour elle un principe une grande partie de sa vie.
Après avoir obtenu un juste salaire, un autre défi important attend encore l'actrice. Jusqu'en 1929, elle n'avait jamais eu à parler anglais devant des caméras qui n'enregistraient pas le son. Allait-elle passer le cap du parlant ? Son accent suédois allait-il mettre fin à sa carrière, comme ce fut le cas de nombre d'acteurs du cinéma muet dont la voix n'était jusqu'alors pas audible ?
Le film qui change tout : Mata Hari
Ces craintes disparaissent lors de la sortie d'Anna Christie de Clarence Brown, adapté de la pièce éponyme, l'histoire d'une jeune femme dont le sombre passé nuit à sa relation avec son père et sa relation amoureuse. Le film connaît un succès fou, et la M.G.M. est rassurée : sa star va continuer à lui rapporter de l'argent.
Elle tourne dans d'autres gros succès comme Grand Hôtel (Oscar du Meilleur film 1932, dans lequel Garbo tient le premier rôle) mais aussi Mata Hari (1931), l'histoire d'une danseuse accusée d'avoir espionné pour le compte de l'Allemagne durant la Première Guerre mondiale. Si le film est romancé au possible et bien loin de la véritable vie de Mata Hari, le film connaît un succès phénoménal, rapportant dans le monde près de 2,2 millions de dollars de bénéfices à la M.G.M, une fortune. Trois ans plus tard, après l'instauration du code de censure Hays, le film sera amputé de 3 minutes, dont une partie d'une danse jugée suggestive et une scène dans un lit contenant un dialogue à double-sens.
Toujours est-il que le succès est là plus que jamais, et Garbo continue sa quête d'indépendance. C'est ainsi que, fait extrêmement rare à l'époque, elle est en position de choisir ses scénarios. En 1932, alors que son contrat prend fin, Garbo ne le renouvelle pas et retourne en Suède. Une façon de faire pression sur Louis B. Mayer et de lui envoyer le message que si les renégociations ne lui plaisent pas, elle ira se vendre ailleurs. En position de force, elle obtient gain de cause et revient dès 1933 avec un projet qui lui est très cher : La Reine Christine.
La Reine Garbo
Garbo revient avec un salaire oscillant de 250 à 275 000 dollars (de l'époque) par film. Avec La Reine Christine, elle impose que John Gilbert, dont la carrière était en déclin, tienne l'autre rôle principal. Le personnage de Garbo lui ressemble par son indépendance, et le film se permet même quelques subtiles allusions à la bisexualité. La Reine Christine marche très bien à l'international mais, comme Le Voile des illusions, son film suivant, nettement moins sur le sol américain. Une raison avancée est le fait que le public américain, en pleine Grande Dépression, était davantage attiré par les films d'acteurs américains.
En 1935, Garbo accepte de rejouer Anna Karenine (qu'elle avait déjà interprétée à l'époque du muet) et le public est un peu moins au rendez-vous, comme pour Le Roman de Marguerite Gautier, qui est aussi son premier film en couleurs. La critique continue de saluer son travail, mais ses nominations à l'Oscar de la Meilleure actrice restent sans suite et sa popularité décline. Par ailleurs, Garbo impose son talent à un prix dépassant celui de ses homologues masculins. En 1937, elle touche un salaire de 472 499 dollars*, une somme seulement égalée à l'époque par Carole Lombard et les exécutifs des studios. Elle joue ensuite dans le récit de la romance entre Napoléon (Charles Boyer) et Marie Walewska. Le coût extravagant du film, en partie à cause du salaire mirobolant de l'actrice (500 000 dollars) en font un échec, et la M.G.M. perd 1,39 millions de dollars.
A nouveau, le contrat de Garbo expire, et elle n'est plus en position de force. Elle retourne brièvement en Suède, puis revient tourner Ninotchka (1939) sous la direction d'Ernst Lubitsch avec un salaire de "seulement" 125 000 dollars. Le film, la première comédie de l'actrice, est bénéficiaire sans plus. Garbo va s'éloigner des plateaux toute une année et faire son retour avec un film au sujet délicat.
Un départ surprise !
En 1941, sort La Femme aux deux visages réalisé par George Cukor, l'histoire d'une femme qui, pour reconquérir son mari, décide de se faire passer pour sa soeur jumelle, identique mais beaucoup plus douce. Le film se heurte à des problèmes de censure car le mari (joué par Melvyn Douglas, pour capitaliser sur leurs retrouvailles de Ninotchka) a une scène dans laquelle il séduit la soeur jumelle de sa femme sans la reconnaître. La scène est jugée inacceptable par le Comité de décence de l'époque et la scène est changée au montage. Dans la version finale, Douglas sait qu'il s'agit de sa femme jouant la comédie. Malgré cela, le film reçoit des critiques terribles.
Vexée, humiliée par ces mauvais retours, Greta Garbo décide alors de racheter le reliquat de son contrat à la M.G.M. et de mettre fin à sa carrière. A 36 ans, elle disparaît des écrans et n'y reviendra jamais. Un ultime pied de nez de Garbo à Hollywood, qui aura plus qu'aucune autre actrice de l'époque, imposé sa loi aux studios. En 1955, elle reçoit un Oscar d'honneur et décède le 15 avril 1990, à 84 ans.
Comme Greta Garbo, ces stars de cinéma ont joué les vrai(e)s espion(ne)s !
Cary Grant, Greta Garbo... : Ces talents qui ont joué les vrais espions*Source : Gone Hollywood de Christopher Finch et Linda Rosenkrantz, Weidenfeld & Nicolson, 1979.