Que l'on prenne sa version originale (Ford v Ferrari) ou française, Le Mans 66 annonce la couleur dès son titre et peut rebuter le spectateur pour qui les voitures sont tout sauf une passion. Ce qui serait une erreur, car le long métrage de James Mangold va bien au-delà et s'adresse à un public plus large. Il est bien évidemment et grandement question d'automobile, puisque c'est dans ce milieu que se déroule cette histoire qui voit Henry Ford II faire appel à un groupe d'ingénieurs indépendants pour tenter de contrecarrer la suprématie de Ferrari dans la célèbre course qui se tient depuis 1923 dans la Sarthe.
A l'époque, le constructeur italien reste sur six victoires d'affilée. Son homologue américain compte bien mettre fin à cette série, et c'est là qu'entre en scène Carroll Shelby (Matt Damon), mandaté pour construire, à partir de rien, le bolide capable de remporter l'édition de 1966. Rien que ça. Une mission à priori impossible que l'ingénieur va tenter d'accomplir en imposant son pilote : le britannique Ken Miles (Christian Bale), véritable tête brûlée réputée ingérable qui sera source de diverses tensions au sein d'un récit qui n'en manque pas et fait régulièrement penser à Rush, dans sa manière de faire passer les hommes avant les machines et l'odeur de l'asphalte, même si nous avons droit à quelques notions de mécanique indispensables pour bien faire comprendre à quel point une victoire peut se jouer sur des détails techniques.
S'il est possible de se sentir perdu pendant ces scènes, celles-ci sont heureusement rares et limitées à un strict minimum dont ne peut questionner la nécessité. Dans l'histoire et pour les personnages. Contrairement au film de Ron Howard mentionné plus haut, la rivalité ne constitue pas le cœur du récit mais le contexte dans lequel l'amitié entre Carroll et Ken se renforce, ce qui rend le titre original quelque peu trompeur (mais plus vendeur, il est vrai, qu'un Shelby + Miles). Les vrais héros du film ne sont pas les hommes de chez Ford ou Ferrari, mais bien le petit groupe indépendant qui va se retrouver pris dans leur affrontement, sommé de réaliser un authentique exploit par un employeur qui ne lui fait pas totalement confiance et tente de lui imposer plusieurs contraintes à même d'enrayer la machine.
Cela vous rappellera peut-être quelque chose, et c'est bien normal. Car, au fond, Le Mans 66 raconte une histoire universelle de petits face aux gros, sorte de variation autour du mythe de David et Goliath qui peut s'appliquer à d'autres milieux et notamment celui du cinéma. Avec un effet pour le moins étrange car le long métrage, sorti le 13 novembre dernier dans nos salles, est l'un des derniers distribués par la Fox avant de devenir 20th Century Studios suite à son rachat par Disney, ce qui donne encore plus de poids à son propos et renforce l'amertume qui se dégage de certaines séquences, et l'aide à sortir des sentiers battus du classicisme dans lesquels on serait tentés de le garer au premier abord, biopic oblige.
Accusé d'être anti-américain à cause du portrait qu'il fait d'Henry Ford II (qui n'a rien du grand gentil opposé au méchant Ferrari) est bien moins classique qu'il ne paraît l'être, malgré une progression linéaire et une structure qui ne révolutionne rien. Mais James Mangold a plus d'une fois prouvé son amour du cinéma à l'ancienne et sa maîtrise de la mise en scène, et il nous le rappelle dans gestion du rythme : on peut certes trouver à redire sur la durée de l'ensemble, 2h33, mais très peu de choses y paraissent superflues, y compris lorsque le long métrage fait preuve de pédagogie en expliquant le fonctionnement des 24 heures du Mans. En lice pour 4 Oscars début février, dont celui du Meilleur Film, il n'en a au final remporté "que" deux, dont un qui ne souffre d'aucune contestation : celui du Meilleur Montage.
Car si le fond est intéressant, avec ses différents niveaux de lecture, la forme n'est pas en reste. Et la maîtrise se ressent aussi bien dans les scènes de dialogue que de course. Fortes d'un découpage qui relève du sans-faute et permet une lisibilité totale, celles-ci parviennent à nous mettre dans la peau des pilotes et nous faire ressentir l'adrénaline ainsi que la grande vitesse. Sans doute parce que James Mangold a privilégié les effets pratiques au détriment du numérique, en faisant bien en sorte que les acteurs pilotent eux-mêmes les voitures, quitte à tricher un peu en chorégraphiant le tout, pour que le rendu soit le plus réaliste possible, comme l'a montré le making-of.
Piloté de main de maître, Le Mans 66 doit aussi beaucoup à ses deux acteurs principaux : Matt Damon, dans la peau d'un personnage dont la grandeur d'âme se révèle au fil du récit ; et Christian Bale, qui retrouve le cinéaste une décennie après le western 3h10 pour Yuma et paraît d'abord en faire trop dans ce rôle de grande gueule dont les failles et nuances apparaissent petit-à-petit, pour venir atténuer cette première impression. Des comédiens solides et complémentaires qui forment le cœur battant de ce film que l'on croirait sorti d'une autre époque, tant les projets de cet acabit semblent être devenus rares à Hollywood aujourd'hui. Raison de plus pour se tourner vers celui-ci. Et qui sait si vous ne vous intéresserez pas plus aux courses automobiles par la suite.
Le Mans 66 est disponible en VOD, DVD et Blu-Ray
Autre point fort du film : la bande-originale signée Marco Beltrami, et son thème principal galvanisant