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    Les Charbons ardents : rencontre avec la réalisatrice Hélène Milano

    Avec "Les Charbons ardents", la documentariste interroge la masculinité aujourd'hui à travers les témoignages des élèves d'un lycée professionnel de Marseille. Des paroles vraies, crues, choquantes, touchantes...

    Jour2fête

    AlloCiné : Comment avez-vous établi le casting des Charbons ardents ?

    Hélène Milano : Je n’ai pas véritablement fait de casting mais c’est le chemin du film qui a inscrit chacun d’eux à sa place dans le film. Au début le film devait se faire à Mantes la Jolie et j’ai fait là-bas une quarantaine d’entretiens. Mais la direction du lycée a changé et mon projet est parti avec l’eau du bain ! Je me suis dit qu’il fallait faire de ce découragement une chance et que ce serait bien pour le film d’être au cœur de plusieurs métiers manuels dans plusieurs régions et aussi d’aller en villes et vers des villages. A partir de là on m’a accueillie dans les établissements et j’ai fait des ateliers d’échange sur ces questions, en demi groupe, en classes entières ou en individuel. Et ils ont beaucoup aimé cela. Ils étaient surpris de ma démarche mais ils l’ont tout de suite validée. Ils étaient fiers que leur point de vue sur cette question soit important. Ils ont pris cela très au sérieux. Ils m’ont en quelque sorte guidée dans mes réflexions et certains d’entre eux se sont imposés à moi par une parole, un regard, un sourire. Certains garçons se sont aussi imposés à moi soit parce qu’ils apportaient une singularité complémentaire par leur vision des choses soit parce qu’ils me permettaient de rendre ce que je cherchais, c’est à dire l’effet chœur antique. Le chœur antique c’est une histoire racontée ensemble mais à plusieurs voix, c’est aussi un corps social aussi, et chacun avec son histoire, son vécu, apporte une profondeur singulière.

    De combien d'heures de rushes disposiez-vous ?

    Moins que pour le film précédent, à peu près 80 heures.

    Y a-t-il des sujets que les intervenants ont refusé d'aborder ?

    Non, pas vraiment. Il y a des questions que je mettais en partage qui les ont surpris, certaines les ont fait rire ou bien ils trouvaient étrange que j’aille jusque parler d’amour avec eux par exemple mais en fait ils étaient très contents. En fait ils étaient soulagés d’avoir cet espace de parole complètement inattendu dans un lycée et qu’ils n’ont pas par ailleurs.

    Parlez-nous de votre méthode pour amener ces jeunes hommes pudiques à se livrer.

    Je passe du temps avec eux. Mon meilleur ami c’est le temps. Et je passe une forme de contrat avec eux : ils savent qu’à n’importe quel moment, après une ITW ou plusieurs semaines plus tard, jusqu’au moment où je suis en montage, ils peuvent me dire que quelque chose leur trotte dans la tête et que finalement ils ne veulent pas que cela soit dans le film. Et du coup cela les tranquillise.

    Certaines de leurs paroles vous ont-elles choquée ? Émue ? Choquée ?

    Une fois. Je me souviens d’une classe où ils sont allés très loin dans la crudité des propos mais j’ai compris assez vite que c’était pour me tester, pour voir si j’étais solide. En fait il fallait les laisser dérouler pour arriver à autre chose ensuite. Et en effet, après les échanges ont été formidables. Émue ? Oui très souvent. Presque tout le temps. Ces garçons m’ont énormément touchée parce que certains ont des parcours fracassés, ont déjà traversé beaucoup d’épreuves, parce qu’ils ont l’énergie et l’espoir pour faire face, parce que parfois ils ne comprennent pas le monde dans lequel il faut se débrouiller, et parce que finalement beaucoup de choses sont très injustes. Pour filmer en documentaire il faut beaucoup aimer et quand on aime… on est ému !

    Vos intervenants ont-ils vu le film ? Est-ce que cela a changé leur façon de se comporter avec les autres ?

    Je pense que je suis arrivée à un moment où ces questions étaient quelque part en eux et en question. Qu’ils ont un vrai appétit d’émancipation des règles et des codes admis de la virilité mais en se disant vaguement que l’on ne peut rien n’y faire que c’est comme ça ! Certains ont déjà payé cher dans leur vie tous ces systèmes. Après avoir vu le film cela a légitimé en eux le fait de suivre ce qu’ils pensent et qu’ils peuvent s’émanciper de ces codes. En tous cas essayer, parce que pour n’importe qui, comme dit Sabri dans le film, « la culture c’est puissant !».

    Violence, pas de confiance dans l'autre, sentiment de solitude extrême : on découvre des jeunesses abîmées en écoutant leurs témoignages. La solution est-elle politique ? Parentale ? Sociale ? C’est une urgence politique et sociale.

    La jeunesse est en souffrance c’est sûr. Et la jeunesse des quartiers populaire ou des zones économiquement sinistrées paye le prix fort des incohérences politiques et sociales.

    On sent le poids énorme de la religion dans leur vision de la vie. Est-ce un phénomène récent ?

    La religion grandit et s’affirme de plus en plus, qu’elle soit chrétienne ou musulmane ou juive, parce qu’il y a véritablement une quête de sens, le besoin d’être guidé. Et aussi elle protège parfois de certaines logiques qui pourraient être un peu « aspirantes ». Elle fait un peu bouclier aussi. Les garçons qui ne se revendiquent d’aucune religion sont un peu plus fragilisés parfois car ils sont tous aussi en quête de collectif et ils trouvent cela aussi dans la religion. Et faire un film choral avec eux c’était les remettre au sein d’un collectif, et de fait je sentais que, grâce à ce partage, ils se sentaient moins seuls.

    Prévoyez-vous un projet similaire avec des jeunes femmes ?

    Je l’avais fait avant ce film-ci puisque qu’avant Les Charbons Ardents il y a eu Les Roses Noires. Mais je travaille maintenant à un projet de fiction assez romanesque qui rassemble ce que j’ai appris auprès des jeunes depuis toutes ces années.

    La bande-annonce des Charbons ardents :

     

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