Depuis que Netflix a décroché plusieurs Oscars le 24 février dernier, notamment grâce à Roma d’Alfonso Cuaron, certains professionnels du cinéma sont montés au créneau. Le dernier en date ? Steven Spielberg. Ce dernier, membre de l’Académie, a invité ses collègues à lancer rapidement une discussion sur le sujet : le but est de déterminer les critères et les règles de concurrence qui autoriseraient ou interdiraient à un long-métrage diffusé sur une plateforme de streaming de concourir aux Oscars. Une prise de position qui a été reçue assez froidement par certains, ceux-là même qui comptent sur des médiums émergents (Netflix, Amazon) pour diffuser leurs films à une audience plus large.
AlloCiné a posé la question au cast de Triple Frontière, la prochaine grosse production Netflix qui sera visible dans le monde dès le 13 mars :
Charlie Hunnam : "Il y a tellement de films qui sortent chaque année, que le système de chronologie des médias est forcément mis à mal. Sortir un film sur grand écran coûte très cher et pour attirer les gens en salle, on doit leur promettre du grand spectacle. Il faut aussi installer la marque avant de sortir le produit. Il est de plus en plus difficile de vendre des idées originales. L’avantage des plateformes de streaming, c’est qu’elles accueillent ce genre de projet. Elles ont rempli un vide qui existait dans le milieu et qui se développait de plus en plus. Ces opportunités sont bonnes à prendre pour les acteurs, les réalisateurs… Je ne veux pas avoir de problèmes avec Steven Spielberg, croyez-moi, mais il reste un cas à part. Les studios continuent à lui proposer des projets audacieux qui seront diffusés au cinéma. Mais ce n’est pas le cas des autres. C’est une autre route que les réalisateurs peuvent emprunter. Je ne pense pas que Netflix va faire du mal au cinéma traditionnel, ou minimiser son importance. Ils ont juste deux manières différentes de raconter des histoires."
Ben Affleck : "Les médias ont tendance à confronter les gens mais pour moi le problème n’est pas là. Ce que Spielberg dit précisément c’est qu’il doit y a avoir une fenêtre de 4 semaines entre la sortie cinéma et la sortie SVOD pour que le film puisse être éligible aux Oscars. Ça ne concerne pas seulement Netflix. Il fait partie de l’Académie et donc des votants, et il a raison de se poser ces questions-là. Le paysage cinématographique est en train de changer et ils doivent déterminer quels films peuvent entrer en compétition. Tout le monde doit se poser la question que ce soit les SAG Awards, les Golden Globes et même les César. La plus grosse problématique lancée, à mon sens, est sur "quel genre de films nous faisons actuellement". On vit à une époque incroyable. On fait de plus en plus de choses, pour des médiums plus diversifiés. Je ne peux pas vous dire ce qu’est un film de télévision et un film de cinéma, parce qu’il y a ce flou entre les deux. La télévision change de plus en plus…"
Oscar Isaac : "C’est une question que l’on se pose depuis des années au sujets des documentaires. Ils sont rarement diffusés en salle. Pour moi les décisionnaires ne doivent pas faire les choses en fonction des Oscars, ou de toute autre cérémonie. Spielberg a eu raison de jeter ce pavé dans la mare parce qu’en tant que membre de l’Académie, il fait partie ceux qui doivent définir des critères stricts."
Mais les films qui sont entre les deux, comme le nôtre, sont rapidement laissés de côté.
La petite histoire derrière The Irishman et Triple Frontière
Triple Frontière, film de braquage au casting cinq étoiles, est un projet qui n’aurait jamais pu voir le jour sans la plateforme de streaming. Lorsque le scénariste J.C. Chandor récupère le projet en 2016 pour remplacer Kathryn Bigelow, Tom Hanks et Johnny Depp sont attachés au projet. Il ne se doutait pas qu’un véritable jeu des chaises musicales l’attendait : Channing Tatum,Tom Hardy. Mahershala Ali, Casey Affleck, Mark Wahlberg… ils ont rejoint tour à tour le projet pour le quitter peu de temps après. A l’époque, le film appartient à la Paramount Pictures et devait sortir au cinéma. Mais la mort en 2017 de Brad Grey, son dirigeant historique, va changer la donne, comme nous le raconte J.C. Chandor :
"C’était une période vraiment triste pour les passionnés dans le milieu du cinéma qui aiment raconter des histoires fortes. Brad Grey - qui était d’ailleurs le premier manager de Brad Pitt - a vraiment fait bouger les choses et c’est grâce à lui que Les Soprano a pu voir le jour. Il avait foi en ces histoires-là. Ce qu’on ne savait pas, c’est qu’il souffrait d’un cancer. Il ne l’a dit à personne. Il est mort assez soudainement. Les nouveaux dirigeants ne voyaient pas les choses de la même façon que lui. Ils ont revendu les droits de plusieurs films dont Vice, Triple Frontière et The Irishman. Ils ont un peu fait le vide. Ca a été une décision terrible pour nous parce qu’on bossait déjà sur le scénario. Heureusement pour nous, Scott Duber venait d’arriver chez Netflix et il avait la même vision que Brad. C’est sous son impulsion qu’ont été rachetés notre film et The Irishman. Je suis heureux de voir que ces trois films ont pu voir le jour. Vous savez, ça arrive souvent dans cette industrie. Elle est coupée en deux entre les gros blockbusters et les plus petites productions. Mais les films qui sont entre les deux, comme le nôtre, sont rapidement laissés de côté."
Deux films attendus donc cette année sur la plateforme de streaming. Triple Frontière débarque ce 13 mars tandis que le nouveau Scorsese est attendu à l’automne.