Les déclarations récentes de Steven Spielberg à l'encontre des plate-formes de streaming et notamment de Netflix n'ont pas été très tendres. Le cinéaste américain aux trois Oscars avait déclaré le 23 février dernier : "A partir du moment où vous vous engagez sur un format télévisuel, vous faites un film de télévision. S’il est bon, vous méritez certainement un Emmy, mais pas un Oscar. (…) Je ne crois pas que des films qui ont été projetés dans quelques salles pour la forme pendant moins d’une semaine puissent répondre aux critères pour être nommés aux Oscars".
Aujourd'hui, dans Indiewire, un représentant de la firme de Spielberg Amblin, a confirmé : "Steven croit vraiment en la différence entre le streaming et le cinéma. Il sera heureux si d'autres le rejoignent dans [sa campagne] lorsque le sujet sera abordé [au comité de direction des Oscars]. Nous verrons ce qui en ressort".
Il est reproché à Netflix :
- De trop dépenser dans la course aux Oscars. Il semble que la plateforme ait dépensé 50 millions de dollars (ou 25 millions, les chiffres varient) pour promouvoir Roma aux membres de l'Académie, là où Green Book n'en avait que 5.
- Le marketing autour de Roma, qui aurait écrasé les autres films qui concouraient dans la section Meilleur film étranger. Roma occupaient tous les écrans et les autres distributeurs ont dû attendre la fin des vacances pour montrer certains de leurs films au cinéma, limitant de facto le nombre de visionnage par les votants.
- Que Roma ne soit resté que trois semaines en salles, dans un circuit d'exclusivité.
- Qu'elle ne communique pas son box-office.
- Qu'elle ne respecte pas le délais de 90 jours entre la sortie en salle et la mise à disposition en streaming.
- Que les films Netflix sont disponibles dans 190 pays, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
L'Académie a confirmé que le sujet serait abordé à la prochaine réunion qui se tiendra début avril. Elle tranchera donc si les films sortis principalement sur une plateforme de streaming pourront concourir aux Oscars. Netflix a rapidement réagi en ne citant pas Spielberg mais en s'adressant clairement à ses propos :
"Nous aimons le cinéma. Nous aimons aussi : donner accès aux gens qui n'ont pas beaucoup de moyens ou vivent dans une ville sans cinéma; laisser quiconque, n'importe où, profiter d'une sortie au même moment; fournir aux cinéastes des moyens supplémentaires de partager leur art. Ces choses ne sont pas incompatibles".
Il faut rappeler que Roma d'Alfonso Cuarón est un film mexicain en noir et blanc dans lequel on suit les mésaventures d'une femme de chambre mexicaine. Netflix a permis que le film soit vu sur 190 pays et 600 écrans de cinéma pendant plusieurs semaines. Il a remporté trois Oscars, réalisant même un record.
Les réactions des gens du métier aux propos de Spielberg sont partagés :
Ava DuVernay, réalisatrice de Selma, sur Twitter :
"Chère Académie (...). J'espère que si c'est vrai, vous aurez des réalisateurs comme moi avec vous ou que vous lirez leurs déclarations pour proposer un autre ressenti... L'une des choses que je chérie avec Netflix c'est qu'ils distribuent mondialement le travail des noirs. 190 pays vont avoir When They See Us... Je n'ai eu qu'un film distribué internationalement. Pas Selma, pas Un Raccourci, c'était 13th. Par Netflix. Et ça compte".
Paul Schrader, réalisateur de Blue Collar et scénariste de Taxi Driver, sur Twitter :
"First Reformed a été vendu à Toronto à A24 (...). Netflix aurait pu l'acheter d'un claquement de doigts mais a passé son tour. Comme Amazon. Comme Sony Classics et Focus. Mais A24 a vu une opportunité commerciale dans ce film esthétiquement austère et l'a présenté en festival et projeté de 2017 à 2018. Sans être un carton, le film a été rentable pour A24 (...). Est-ce que First Reformed aurait trouvé une telle validation du public si Netflix l'avait raflé (en payant le double d'A24 par exemple) et l'avait lâché dans son cellier ? Peut-être que Bird Box et Kissing Booth peuvent émerger de ce vaste océan de produits Netflix pour trouver leur public mais First Reformed ? C'est peu probable".
Guy Lodges, critique sur Variety, sur Twitter :
"C'est amusant de constater que le règlement de comptes entre Netflix et Spielberg bénéficie à Green Book au niveau des récompenses, un film dont personne ne dit "Vous devez le voir au cinéma!"... Articuler le débat cinéma/Netflix entièrement autour des Oscars comme le fait Spielberg semble petit, borné et à côté de la plaque selon moi".
Les réactions se poursuivent, pour, contre ou s'interrogent de façon plus générale, comme en témoigne le scénariste X-Men: le commencement Zack Stentz sur Twitter :
(...) Tandis que tout le monde s'intéresse à Spielberg vs Netflix, je crois que nous évacuons deux problèmes majeurs. Il y a une génération entière qui a arrêté d'aller au cinéma sauf pour les événements majeurs marketés et une autre génération, qui suit la première, et qui s'intéresse davantage aux jeux vidéo qu'aux films".
Enfin, d'autres twittos cherchent des solutions, comme le réalisateur Sean Baker (The Florida Project) :
"Pour une somme fixe, les abonnés Netflix pourraient voir les films Netflix en salle gratuitement. Je sais que je dépenserai 2 dollars par mois pour voir des films comme Roma ou Buster Scruggs sur grand écran. Cela permettrait de [satisfaire] les exploitants de cinéma et les spectateurs qui apprécient l'expérience cinéma. (...) Nous devons trouver des solutions".
L'Académie des Oscars et son comité de direction vont-ils entendre les arguments des uns et des autres, proposer des solutions ou simplement trancher brutalement "pour ou contre Netflix aux Oscars ?" Le débat s'avère passionnant et pour l'instant, complètement ouvert.