Enfin, comment conclure sans interroger les influences féminines dans Roma ? Le personnage de Sofia et son interprétation par l'actrice Marina de Tavira renvoient aux héroïnes tragiques du cinéma italien évoqué plus haut, souvent incarnées par les immenses Anna Magnani et Sophia Loren. Mais au fil du film, alors qu'elle se libère de sa situation d'épouse délaissée, elle adopte un style et une manière d'être qui renvoie davantage aux femmes fortes et indépendantes qui se multiplieront au cinéma dans la deuxième moitié des années 70, sous les traits de Jane Fonda, Romy Schneider ou Jeanne Moreau.
Autre figure de femme étudiée au cinéma pendant les années 1970, la ménagère. Il ne s'agit pas de la femme rêvée par les publicitaires de l'époque, qui s'éclate dans sa cuisine avec ses équipements électriques en attendant le retour de son mari le soir à la maison. Non, les femmes décrites dans Roma l'étaient déjà par la cinéaste belge Chantal Akerman et son chef d'œuvre réaliste Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles. Dans ce long métrage au point de vue radicalement féministe, l'héroïne incarnée par Delphine Seyrig, une icône de la cause des femmes, est présentée par les gestes les plus triviaux de sa petite existence : changer les draps, préparer le repas, faire la vaisselle… Jusqu'au moment où cette routine lui devient insupportable. Elle reprend alors sa vie en main, comme Sofia, mais de manière bien plus brutale que dans les souvenirs d'enfance de Cuarón.
La critique sudaméricaine a également évoqué la filiation entre le film de Cuarón et l'œuvre de Lucrecia Martel. Plus jeune de quelques années de son homologue mexicain, cette cinéaste argentine a patiemment construit sa renommée après avoir passé des années en tant qu'assistante sur les plateaux de tournage et réalisatrice de programmes pour enfants. Dans ses premiers films La Cienaga et La Nina Santa, elle dresse des portraits d'enfants, de femmes, de familles, de la bourgeoisie avec une précision clinique et froide tout en exacerbant la sensualité des images et de la bande son… Exactement la recette appliquée par Cuarón pour Roma, le noir et blanc en plus !