Si le nom de Teddy Perkins ne provoque pas en vous un frisson et un malaise immédiats, c'est que vous n'avez pas encore regardé l'épisode 6 de la saison 2 d'Atlanta. Dans ce cas, détournez les yeux - profitez-en pour visionner ledit épisode - cet article contient des spoilers.
Résumé détaillé
L'acolyte apathique attachant de Paper Boi, Darius, se rend dans une grande demeure isolée et lugubre afin de récupérer un piano. A son arrivée, il tombe sur le propriétaire des lieux, Teddy Perkins, étrange personnage s'il en est : visage manifestement refait, voix aiguë et peignoir à la Hugh Hefner. Très vite, celui-ci enchaîne les comportements bizarres sous les yeux d'un Darius médusé : il attaque au marteau un œuf d'autruche dans lequel il insère ses doigts cadavériques, commande un verre d'eau à un domestique qui n'existe pas, entraîne son invité dans différentes pièces de la maison, du gift shop à une salle consacrée au père de l'hôte. Un père dont on apprend vite qu'il a imposé à Teddy et son frère Benny une éducation autoritaire afin d'en faire, dès leur plus jeune âge, des virtuoses du piano. Ce frère, on l'apprend par Teddy, est en pleine convalescence, logé quelque part dans la demeure. Darius tente de profiter d'une eclipse du maître des lieux pour s'enfuir avec le piano. Seulement, le voilà entraîné dans le sous-sol où il tombe sur ce qui semble être Benny, une copie de Teddy immobilisée dans un fauteuil roulant, masquée et muette. Par le moyen d'une ardoise, il fait comprendre à Darius qu'il est retenu prisonnier par son frère et l'invite à récupérer une arme cachée au grenier afin de sauver leur peau. spoiler: Alors qu'il s'apprête à quitter l'endroit, il tombe sur Teddy qui le menace avec son fusil. Celui-ci lui dévoile alors son plan : il a attiré Darius chez lui pour mettre en scène un cambriolage afin de tuer son frère. Par chance, Benny débarque et assassine son frère avant de se suicider.
Un peu de contexte
Outre-Atlantique, l'épisode était attendu. On le savait plus long que les autres et il avait été spécifiquement demandé qu'il ne soit pas coupé par les pubs lors de sa diffusion sur FX. Les fans de la série connaissent la propension de Donald Glover à surprendre et à s'éloigner parfois de l'intrigue principale pour nous offrir des épisodes concept sortis tout droit de son imagination débordante (on vous invite à revoir l'épisode 7 de la saison 1). Il s'amuse à varier les genres, à casser les codes et à jouer sur le fil entre comédie et drame. Et pourtant, même si on pensait être prêt pour un grand moment de télévision, rien ne pouvait nous préparer à cela. Gêne, malaise, angoisse, effroi... voilà quelques unes des émotions par lesquelles les spectateurs sont passés devant cet épisode qui déroge définitivement à la règle et nous montre que Donald Glover, en plus d'être l'un des auteurs les plus prolifiques de sa génération, fait ce qu'il veut. En signant ce moment suspendu dans une ère télévisuelle où tout semble calibré, il prouve que l'originalité a encore sa place et, espérons-le, grave à jamais son nom dans l'Histoire des séries.
Mais pourquoi cet épisode est-il si bien ?
Parce que Donald Glover
Le choix de plonger le personnage le plus à l'ouest et sûrement le plus drôle de la bande dans ce huis clos destabilisant est très habile. Car lorsque l'épisode commence à pencher dangereusement vers le thriller, on ne sait plus si on doit rire... Glover parvient à semer la zizanie dans notre tête avec cette rencontre surréaliste, au vrai sens du terme. Tellement surréaliste qu'il est impossible d'oublier, même quelques jours après, ce Michael Jackson cauchemardesque. Un personnage vampiresque donc, qui nous dira quelque chose pendant tout l'épisode, qui sera crédité "Teddy Perkins dans son propre rôle" et dont on apprendra, après vérification, ce qu'au fond on savait déjà : il est incarné par nul autre que Donald Glover himself. Un détail qui n'a pas été précisé à Derrick Haywood, l'interprète de Benny, qui, en outre, ignorait complètement le sujet de l'épisode au moment de tourner, ainsi qu'il l'a expliqué au magazine Vulture. Il précise dans l'interview que Glover est resté dans son personnage entre les scènes, qu'il se faisait appeler Teddy sur le tournage et interragissait complètement différemment avec Lakeith Stanfield, l'incroyable interprète de Darius.
Pour la subtilité de son thème
Cette deuxième saison n'est pas sous-titrée "Robbin' season" (la saisons du vol) pour rien : il est question ici d'une enfance volée et qui a façonné la vie de ces deux frères. Dans la salle consacrée au père de Teddy et Benny, le premier raconte que c'est bien lui qui est à l'origine de tout ce qui leur est arrivé et ce grâce à une éducation stricte. Et de citer une ribambelle de pères de superstars dont la réputation de tyrans n'est plus à faire, Joseph Jackson en tête. Une autorité portée aux nues par sa principale victime, Teddy, qui soulèvera jusqu'au bout qu'il n'y a pas de réussite sans douleur. Une façon pour Donald Glover d'évoquer de façon subtile les difficultés que rencontre la communauté noire pour réussir, en particulier dans l'univers artistique. Quant au choix de Donald Glover de se grimer en blanc, celui-ci n'est pas anodin. Le sujet épineux du "blackface" a été abordé à plusieurs reprises par l'auteur, que ce soit dans l'épisode 5 de la saison 1 dans lequel un acteur noir joue le rôle de Justin Bieber ou dans le reportage sur l'homme qui croit qu'il est blanc dans l'épisode 7 de la même saison. Ce n'est donc pas parce que cet épisode dévie structurellement des précédents que Glover en oublie sa portée politique.
Parce que Get Out
Rappelons qu'il s'agit de la première incursion du showrunner dans le genre du huis clos horrifique. Une réussite indéniable qui relève autant de sa photographie impeccable que de sa majestueuse mise en scène par Hiro Murai. On ne peut évidemment s'empêcher de comparer cet épisode à Get Out sorti en 2017, un thriller brillant qui voyait un jeune noir pris au piège dans une maison appartenant à des blancs. Pour ceux qui l'ignorent, Lakeith Stanfield joue dans le long-métrage de Jordan Peele. Glover lui rend d'ailleurs hommage dans la scène dans laquelle Darius déclare ne pas être fan des photos lorsque Teddy le surprend avec un polaroïd. Dans Get Out, son personnage pète un câble lorsque le héros tente de le photographier discrètement.
Parce qu'il laisse perplexe
Oui, j'aime les fins à twist et celles où on est pas sûr d'avoir tout compris. Vous vous êtes certainement demandé : Benny est-il réel ? Teddy est-il Benny et Benny est-il le père ? Et puis pourquoi ? Quel rapport avec l'intrigue d'Atlanta ? L'épisode est-il simplement une métaphore de la vie de Michael Jackson ? Et surtout, pourquoi Darius n'a pas contourné la voiture avec son camion pour s'enfuir de cette maison de malheur ? Autant de questions qui resteront sans réponse. On pardonne à Donald de ne pas tout nous dire tant il nous a offert un grand moment de télé, une vraie leçon de jeu et d'auteurisme. Et finalement peu importe. Car là n'est pas l'intérêt d'une telle œuvre mais bien toute la beauté de la chose et le concept même de l'Art, celui de sa propre interprétation.