Martin Scorsese a finalement réussi. Durant près de 30 ans, le cinéaste a tenté d'adapter sur grand écran le roman du japonais Shusaku Endo, Silence. L'oeuvre a enfin vu le jour et le mythique réalisateur de Taxi Driver, Les Affranchis ou Les Infiltrés, est venu présenter le film à des prêtres jésuites, à Rome, au Vatican. Il en a également profité pour rencontrer le Pape François, lui-même membre de cette confrérie. C'est donc au coeur de la Cité Eternelle que nous avons pu nous entretenir avec le metteur en scène, toujours aussi vif et loquace.
Petit rappel de l'histoire avant de laisser la parole à "Marty" : XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.
Martin Scorsese : "L'histoire de Silence était captivante pour moi car je me suis toujours senti attiré par les thèmes en rapport avec le religieux. Toutefois, je m’intéresse plus à la spiritualité qu’à la religion en tant qu’institution. On retrouve notamment cela dans Mean Streets, Raging Bull, Taxi Driver, La Dernière Tentation du Christ et Kundun.
Pour Silence, c’était plus particulier. Le livre [de Shusaku Endo] a m’a été donné par l’Archevêque Paul Moore de l’église épiscopale de New York. Après avoir vu La Dernière Tentation du Christ, il me dit : « Cette histoire concerne la Foi véritable, c’est une question fascinante, vous devriez le lire et y réfléchir ». Je l’ai donc amené avec moi au Japon.
[Nous étions à la fin des années 80 et Scorsese tournait à ce moment-là Rêves d'Akira Kurosawa dans lequel il incarnait Vincent Van Gogh.]
Je l’ai lu là-bas, ça m’a fasciné et j’ai décidé d’en acquérir les droits. Le problème, c’est que je ne savais pas comment l’adapter. Malgré ma fascination et bien que je me sente transformé par cette lecture, je ne savais pas comment m’y prendre ; comment retranscrire cette histoire en scénario, en images, et trouver une structure.
Cela nous a pris un certain temps à Jay Cocks et moi pour l’adapter en script. Nous avions écrit 50 pages mais ça ne fonctionnait pas. Cette histoire a par la suite nourri mes autres films, c’est le cas de Kundun, À tombeau ouvert, des œuvres ouvertement animées par des thèmes religieux.
Je me suis ensuite consacré à un film que je voulais faire depuis longtemps : Gangs of New York. À ce moment là, Silence a rencontré des problèmes légaux. On avait emprunté de l’argent pour faire le film et il fallait rembourser ; en fait, on voulait me forcer à le réaliser alors que je ne me sentais pas encore prêt à m'attaquer à ce défi. Nous avons été poursuivis en justice, c'est devenu un vrai bazar juridique mais je n’étais vraiment pas prêt à faire le film. J’en ai parlé à Daniel Day Lewis en 91-92 ; mais quand je devais engager des acteurs, cela me retardait dans l’écriture du script et les comédiens que je voulais finissaient par être trop vieux pour les rôles.
[Daniel Day-Lewis devait à l'époque se glisser dans la peau du Père Ferreira, un rôle finalement tenu par Liam Neesson.]
Certains acteurs que je trouvais parfaits venaient aussi me voir pour me dire : « Je suis désolé mais je ne me sens pas de participer à un film religieux, ce n’est pas mon style. Je ferais n’importe quel film avec toi mais pas celui-ci. »
Entre 99 et 2006, je me suis mis à travailler avec Jay Cocks sur le script et j’ai pu me faire une vraie idée de ce que sera le film. Et c’est à ce moment-là que nous avons à nouveau croulé sous les problèmes légaux.
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C’est finalement en 2009 que le projet a commencé à vraiment prendre forme. Nous avons pu aller au Japon faire des repérages, j’ai aussi pu faire des castings sur place. Avant cela, je ne savais pas comment m’approprier l’histoire, par exemple je n’arrivais pas à me faire une idée des 30 dernières minutes du film jusqu’aux environs de 2005-2006. Pendant tout ce temps je relisais le roman, je prenais des notes, je tentais de trouver un moyen de savoir comment j’allais traiter la dernière partie.
Je n’y parvenais pas jusqu’à ce que des changements surviennent dans ma vie personnelle. J’ai eu un autre enfant, j’ai donc dû à nouveau faire face à l’éducation d’un enfant, j’ai aussi traversé quelques moments difficiles. Réaliser Les Infiltrés à ce moment-là m’a également beaucoup aidé.
Tout ça pour dire qu’il a vraiment fallu du temps pour que Silence voie le jour. C’était malgré tout un vrai défi de tenter de comprendre et de traiter les thèmes présents dans le film et je devais avoir le courage d’au moins essayer. C’est pourquoi Silence a demandé autant de temps avant de pouvoir se faire."
Propos recueillis par Vincent Formica à Rome le 29 novembre 2016