Episode 6 - Joan Fontaine, au-dessus de tout soupçon

Le 26 février 1942, à l’hôtel Biltmore de Los Angeles, se déroule la 14e cérémonie des Oscars. Joan Fontaine est nommée pour le prix de la meilleure actrice dans Soupçons, d’Alfred Hitchcock. Parmi les autres prétendantes à la statuette, une concurrente pas tout à fait comme les autres : Olivia de Havilland, sa sœur, de 15 mois son aînée, et sa rivale de toujours, nommée pour son rôle dans le mélodrame La Porte d’or. Ce soir, c’est Joan qui l’emporte. Alors que sa sœur s’approche pour la féliciter, la cadette l’ignore royalement et s’avance pour recevoir son prix. Une raillerie qu'Olivia se fera un plaisir de lui retourner 5 ans plus tard lorsqu'elle se verra décerner son premier Oscar. « Je me suis mariée la première, j’ai gagné l’Oscar avant Olivia et, si je meurs la première, elle sera sans doute folle de rage parce que je l’ai encore battue », commentera Joan Fontaine en 1978 dans un entretien accordé au Hollywood Reporter. A partir de l'épisode des Oscars, l'animosité entre les deux soeurs ne fera que croître et après 1975, elles ne s'adresseront plus la parole. Et en effet, si Olivia de Havilland, qui vient de fêter ses 100 ans, est encore de ce monde, Joan Fontaine l’a quitté la première en 2013. 

Joan de Beauvoir de Havilland naît en 1917 à Tokyo, au Japon. Son père y mandate des brevets pour l’Empire britannique et sa mère, ancienne actrice, a abandonné sa carrière pour suivre son époux. Joan et sa sœur Olivia n’ont que 2 et 3 ans lorsque leurs parents divorcent. Enfant fragile, Joan est anémique et on conseille à la famille de s’installer en Californie pour bénéficier d’un climat plus favorable. A l’âge de 15 ans, la jeune fille retrouve son père au Japon, où elle reste deux ans, avant de rentrer en Californie. Lorsqu’elle choisit de suivre la voie tracée par sa sœur en décidant de devenir actrice, sa mère lui refuse d'utiliser leur nom, l’obligeant à prendre un pseudonyme. Ce sera Joan Burfield, et finalement Joan Fontaine – l’ancien nom de scène de sa mère, Lilian Fontaine.

Elle signe rapidement un contrat avec la RKO, mais les débuts sont peu engageants : de petits rôles dans des films de George Cukor et George Stevens, avec des têtes d’affiche telles que Joan Crawford ou Katharine Hepburn. C’est Stevens qui lui donne son premier rôle important, dans Demoiselle en détresse, où elle joue aux côtés de Fred Astaire. En 1939, elle épouse l’acteur anglais Brian Aherne. Après avoir intégré le casting très masculin de Gunga Din, elle rejoint Joan Crawford, Norma Shearer, Paulette Goddard et Rosalind Russell au casting de Femmes, de Cukor. Toutefois son contrat n’est pas renouvelé, trop peu de ses films ayant remporté un franc succès.

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Un soir de réception à Hollywood, Joan Fontaine est assise à côté du producteur David O. Selznick – qui a alors le vent en poupe suite au succès d’Autant en emporte le vent. Ils engagent la conversation et discutent du roman de Daphne du Maurier, Rebecca, que Joan adore. Selznik lui suggère de tenter sa chance pour le rôle. Des centaines d’autres comédiennes auditionnent pour incarner l’héroïne sous la direction d’Alfred Hitchcock et des essais sont organisés pendant six longs mois. Enfin, le cinéaste la choisit pour incarner la jeune épouse de Laurence Olivier dans ce drame terriblement anxiogène. Les critiques sont excellentes et l’actrice est nommée pour la première fois à l’Oscar de la meilleure actrice. L’année d’après, Hitchcock la fait tourner à nouveau, face à Cary Grant cette fois, dans Soupçons : après avoir lu le roman, l’actrice souhaite tellement incarner Lina qu’elle envoie un mot au réalisateur, offrant de jouer gratuitement si nécessaire. Pour Grant, cette première expérience avec le maître du suspense est détestable, il est jaloux notamment de l’attention portée à Joan Fontaine, ayant l’impression que son personnage est mis en avant au détriment du sien. Cela est ensuite accentué par la consécration de Joan aux Oscars – qui gagne par ailleurs le seul Oscar d’interprétation jamais attribué à un film d’Hitchcock. La relation entre les deux acteurs restera amère tout au long de leur vie.

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Les deux collaborations avec Hitchcock font de Joan Fontaine une star et elle enchaîne les triomphes, en particulier dans le registre mélodramatique. Parmi ses plus grands rôles, celui de Jane Eyre, adapté d’après le roman de Charlotte Brontë, avec Orson Welles en Edward Rochester. Autre adaptation, celle de Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig, film majeur de Max Ophüls.Elle s’essaie également à la comédie en compagnie de James Stewart ou au film noir auprès de Burt Lancaster et revient à la comédie musicale avec La Valse de l’empereur de Billy Wilder. Après un premier divorce, elle se marie avec William Dozier, avec qui elle a une fille, Deborah. Elle adopte également une petite fille péruvienne, Martita.

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Dans les années 50, Joan Fontaine doit faire face à l’arrivée d’une nouvelle génération d’actrices en pleine ascension : Elizabeth Taylor, dont la beauté crève l’écran dans Ivanohé, ou Joan Collins, qui impose sa sensualité. Dans Until They Sail, Robert Wise l’oppose à Jean Simmons et Piper Laurie, aux côtés d’un tout jeune Paul Newman. Fritz Lang la fait tourner en 1956 dans le film noir L’Invraisemblable vérité, et Henry King lui offre son dernier grand rôle au cinéma dans son adaptation de F. Scott Fitzgerald, Tendre est la nuit.

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Au cours des années 60 à 80, elle apparaît régulièrement à la télévision et au théâtre, mais progressivement, elle s’isole à Carmel, petite ville californienne située en bord de mer. Elle publie en 1979 ses mémoires, dans lesquelles elle explique combien Hollywood est un monde hostile, régi par la peur. Mariée et divorcée quatre fois, Joan Fontaine a entretenu des rapports compliqués avec ses deux filles. Elles auraient secrètement gardé contact avec Olivia de Havilland, leur tante avec qui Joan est restée en froid jusqu’à sa mort. « J’espère mourir sur scène à l’âge de 105 ans en jouant Peter Pan », déclarait-elle. Celle qui voulait mourir à 105 ans s’est finalement éteinte à 96 ans, chez elle à Carmel. La première.