Episode 5 – Mary Pickford, America’s Sweetheart
« Mon bien-aimé est parti. » Le 12 décembre 1939, Douglas Fairbanks meurt brutalement d’une crise cardiaque. Cela fait trois ans que Mary Pickford et lui ont divorcé, mais elle laisse échapper ce cri du cœur. Mary et Doug étaient inséparables, mais après 16 ans de vie commune, les choses se sont dégradées : leurs chemins se sont séparés et ils regretteront toujours de n’avoir pu se réconcilier. Il reste à Mary le second amour de sa vie, sa carrière au cinéma : « Je crois qu’Oscar Wilde a écrit un poème à propos d’un rossignol amoureux d’une rose blanche, se souvenait-elle. Il l’aimait si fort qu’il se transperça le cœur et le laissa saigner pour la changer en rose rouge. Cela semble peut-être très fleur bleue, mais pour quiconque a aimé son métier autant que je l’ai aimé, il n’y a pas de demi-mesure. »
Mary Pickford est, avec son amie Lillian Gish, la plus grande star du cinéma muet hollywoodien. Née en 1892 au Canada, Gladys Louise Smith est élevée dans la tradition catholique. Son père, alcoolique, les abandonne très tôt, elle, sa mère, son frère et sa sœur. Très jeune, Gladys se produit sur les planches à Toronto. La petite famille d’artistes (tous sont acteurs) tourne dans des compagnies de second ordre jusqu’aux Etats-Unis, menant une vie de bohème. A 15 ans à peine, la jeune fille se donne 6 mois pour obtenir un rôle important à Broadway : elle en décroche un dans une pièce écrite par William C. de Mille, dont le frère – Cecil – est encore inconnu, mais deviendra l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma. C’est à ce moment qu’elle prend le nom de Mary Pickford.
D.W. Griffith la repère et tombe sous le charme alors qu’il fait passer des essais pour un film destiné aux cinémas de quartier new-yorkais. Elle rejoint donc la Biograph, où Griffith lui offre un salaire plus que décent et la fait jouer tous types de rôles. Elle tourne quasiment un film par semaine, donnant parfois la réplique à un certain Mack Sennett. En 1910, la Biograph quitte la côte Est pour la lumière et l’ensoleillement permanent de la Carifornie. Et Mary Pickford est du voyage. C’est elle qui, en 1912, présente les sœurs Gish, Dorothy et Lillian, à Griffith. Rapidement, Mary se rend compte qu’il y a quelque chose de sacré avec la caméra : alors qu’elle fait des infidélités au cinéma pour le théâtre, elle réalise que cela lui manque trop et rejoint l’une des premières compagnies de production de longs métrages. Elle signe un contrat avec Famous Players – la future Paramount –, qui lui garantit une maîtrise absolue des films dont elle tient le rôle-titre, pour la coquette somme de 10 000 dollars par semaine.
En 1917, elle incarne dans Une pauvre petite fille riche une fillette de 10 ans, en qui elle trouve son alter-ego : « J’ai dû vivre comme une adulte alors que je n’étais encore qu’une enfant, maintenant j’ai inversé le cours des choses et j’ai bien l’intention de rester jeune éternellement », dira-t-elle. Plusieurs rôles de petite fille lui permettent en effet d’exprimer la part d’enfance dont elle n’a pas pu jouir lorsqu’elle était jeune : Rebecca dans Petit démon ou Sara dans La Petite Princesse. En 1918, elle relève même le défi de jouer deux personnages dans Stella Maris : Stella, petite handicapée élevée dans l’ignorance de la cruauté du monde extérieur, et Unity Blake, une orpheline maltraitée toute sa vie. Une double performance considérée comme l’un de ses chefs-d’œuvre.
Pendant la Première Guerre mondiale, elle s’engage dans la vente de Liberty Bonds afin de soutenir l’effort de guerre et sera baptisée « Little Sister » (la « petite sœur ») par l'US Navy. C’est à ce moment qu’elle se rapproche de Douglas Fairbanks. Alors qu’ils voyagent en voiture, l’acteur évoque la mort récente de sa mère. A cet instant, l'horloge de la voiture s'arrête : il n'en faut pas plus aux deux amants pour y voir un signe de consentement maternel. Un temps indépendante, Mary Pickford fonde en 1919 la United Artists avec Fairbanks, son grand ami Charles Chaplin et D.W. Griffith. Elle contrôle non seulement la production, mais également la distribution des films dans lesquels elle joue, ainsi que le final cut. Son idylle avec Douglas Fairbanks ne pouvant plus rester secrète, elle divorce de l’acteur Owen Moore épousé 8 ans plus tôt, alcoolique et parfois violent. Fairbanks divorce de son côté et ils se marient dans la foulée.
Très vite, ils sont considérés comme le « couple royal » d’Hollywood. Ils organisent régulièrement des réceptions dans leur propriété de Beverly Hills baptisée Pickfair par la presse (pour Pickford et Fairbanks). Parmi les habitués, on retrouve évidemment le fidèle parmi les fidèles : Charlie Chaplin. On y croise aussi Albert Einstein, F. Scott Fitzgerald ou Sir Arthur Conan Doyle, le papa de Sherlock Holmes. La carrière de Faibanks décolle avec les films de cape et d’épée qui feront sa renommée – il exécute lui-même toutes les cascades, de Zorro à Robin des bois – des histoires que Mary, grande lectrice, lui a fait connaître – jusqu’au cultissime Voleur de Bagdad. Il s’essaie à de nouvelles acrobaties avec Chaplin, qui, en regardant des cartes stéréoscopiques à Pickfair, a l’idée de La Ruée vers l’or. Les deux hommes influencent également la dimension comique du jeu de Mary. Les trois s’entendent à merveille et se rendent souvent sur les plateaux de tournage les uns des autres.
Mary est toujours au sommet de son art et enchaîne les succès tels que Papa longues-jambes à Pollyanna. Dans Le Petit Lord Fauntleroy réalisé par son frère Jack, elle joue de nouveau deux rôles : celui du petit lord et celui de sa mère. A cause de la double-exposition nécessaire pour que les deux personnages apparaissent dans le même plan, il a fallu 15 heures au loyal opérateur de Pickford, Charles Rosher, pour réaliser celui où le petit Lord embrasse sa mère. Sous la direction de la réalisatrice Frances Marion, elle tourne l’un de ses plus grands rôles dramatiques dans Le Signal de l’amour, l’un de ses plus controversés aussi. La collaboration entre Lubitsch et Pickford pour Rosita est un désastre, les deux ne se comprennent pas et le film est raté.
La Petite Vendeuse est son dernier film muet. Charles 'Buddy' Rogers, son partenaire à l’écran, tombe instantanément et éperdument amoureux, mais se contentera d’être son plus proche confident pendant de longues années. Très impressionné lors de leur première rencontre (Mary Pickford était son idole absolue), à la question « Quelle est la star de cinéma que vous aimez le plus ? », il aurait répondu sous le coup du stress : « Norma Shearer. » Il est là pour elle lorsqu’elle perd sa mère en 1928. Dévastée, Mary fait le choix de couper les boucles d’or qui l’ont rendue si célèbre.
En 1929, c’est une nouvelle Mary Pickford, ayant adopté une coupe courte et laissé derrière elle son personnage de petite fille, qui apparait dans son premier film parlant : Coquette. C’est véritablement la fin d’une ère pour la comédienne, dont le credo était jusqu’alors : « Ajouter du son dans les films serait comme mettre du rouge à lèvres à la Vénus de Milo. » C'est pourtant elle qui remporte le premier Oscar de meilleure actrice dans un talkie.
Walt Disney, un jeune animateur originaire du Kansas, souhaite introduire des personnages en prises de vues réelles dans des dessins animés et propose à Mary Pickford le rôle d’Alice. L’adaptation live d’Alice aux pays des merveilles ne se fera pas mais la comédienne et productrice, le trouvant talentueux, l’invite à rejoindre la United Artists.
Dans La Mégère apprivoisée, le couple Pickford-Fairbanks partage l’affiche, mais ils apparaissent corsetés dans leurs dialogues et leur complicité semble altérée. La transition vers le parlant est compliquée pour l’un et l’autre : « Il aurait été plus logique que les films muets soient nés des films parlants plutôt que l’inverse », continue-t-elle de penser. Lui ne cesse de parcourir le monde et de faire la fête, passant beaucoup de temps en Angleterre avec Chaplin, quand elle reste seule à Pickfair. Son dernier film, le très beau Secrets, parle d’infidélité et de la force du mariage. Trois ans après sa sortie, elle divorce de Fairbanks et épouse Buddy Rogers, qui l’a attendue pendant presque dix ans. Ensemble, ils adoptent deux enfants. Mary a mis fin à sa carrière d’actrice, mais reste investie à la United Artists dont elle devient vice-présidente. Elle reste proche de Douglas Fairbanks Jr., qu’elle a toujours traité comme son propre fils. Ce dernier essaiera par tous les moyens de réconcilier Pickford et Chaplin, fâchés des années plus tard à cause de divergences d’opinion concernant UA. Mary doit faire face à la mort de son frère, de sa sœur, et bientôt de Douglas Fairbanks.
Propriétaire des droits de tous ses films, elle décide qu’ils seront tous brûlés à sa mort, pensant que le public moderne ne pourra pas les apprécier et les trouvera ridicules. Heureusement, son amie Lillian Gish parvient à l’en dissuader et Pickford choisit finalement de les léguer à la Library of Congress et à l’American Film Institute. Alcoolique depuis des années, elle décède en 1979, après avoir consacré la seconde moitié de sa vie à la sauvegarde du patrimoine cinématographique hollywoodien et à des œuvres de charité. Dotée d’une force de caractère incroyable, Mary Pickford, la « petite fiancée de l’Amérique », immense comédienne et véritable pionnière de l’industrie du cinéma, demeure la femme la plus puissante qu’Hollywood ait jamais connue.