Episode 4 - Si Claudette m'était contée...
« Je sais ce qui est bon pour moi, après tout j’ai été dans les affaires de Claudette Colbert plus longtemps que quiconque ! », plaisantait la plus frenchie des stars hollywoodienne, connue tant pour le doux ronronnement de sa voix que pour son allure confiante et pour la subtilité de son jeu d’actrice. Soucieuse de paraître constamment à son avantage, la capricieuse, redoutée des techniciens, aurait même fait démonter et remonter un décor entier afin d’être filmée du bon profil lors de son entrée sur le plateau. Sous la courte frange et derrière les yeux revolver, se cachait une femme ambitieuse et une comédienne éminemment charismatique.
Emilie Chauchoin est née en France en 1903. Ses parents décident de tenter leur chance aux Etats-Unis et déménagent à New York alors qu’elle n’a que trois ans. Elle commence à utiliser son deuxième prénom au lycée, se faisant appeler Claudette plutôt que Lily (diminutif d’Emilie). Adolescente, elle se destine à une carrière dans le stylisme, qu’elle étudie, ainsi que les beaux-arts, dans une école new-yorkaise. Parallèlement, elle commence le théâtre, en amateur. Rapidement, elle débute à Broadway et se choisit un nom de scène. À Claudette, elle ajoute le patronyme de sa grand-mère paternelle : elle s’appellera Claudette Colbert. Frank Capra la remarque et lui offre son premier rôle dans Pour l’amour de Mike en 1927, peu avant l’avènement du parlant. Cette première expérience est un désastre, le film est un énorme échec. C’est donc avec le cinéma parlant, lorsqu’elle signe avec la Paramount, que sa carrière d’actrice est réellement lancée.
Elle épouse Norman Foster, comédien de théâtre et de cinéma qui deviendra réalisateur dans la seconde moitié des années 1930. Ils tournent ensemble dans le film musical Young Man of Manhattan. Claudette Colbert joue par ailleurs dans plusieurs comédies musicales, notamment avec Maurice Chevalier sous la direction d’Ernst Lubitsch, et interprétant parfois elle-même les chansons. Elle se distingue également par sa capacité à s’exprimer aussi bien en anglais qu’en français – avec un léger accent américain délicieux lorsqu’elle parle en français.
Le Signe de la croix, de Cecil B. DeMille, est son premier grand succès. Sa prestation dans le rôle de Poppée est très remarquée, chacun gardant à l’esprit l’image de sa silhouette glissant avec volupté dans un bain de lait d’ânesse. DeMille la choisit ensuite pour incarner sa Cléopâtre. Sa performance, intense et une nouvelle fois très sensuelle, sera supplantée dans les mémoires par celle d’Elizabeth Taylor dans le film de Mankiewicz.
Elle retrouve Capra pour New York-Miami où elle partage l’affiche avec Clark Gable. Le film rencontre un immense succès à l'époque et remporte les 4 Oscars les plus prestigieux : meilleur film, meilleur réalisateur pour Frank Capra, meilleur acteur pour Clark Gable et enfin meilleure actrice pour Claudette Colbert. Elle avouera par ailleurs détester le film. Outre Gable, elle donne la réplique à Gary Cooper, James Stewart, Henry Fonda ou Orson Welles. En 1935, elle divorce de Nomal Foster pour épouser un chirurgien, le Dr. Joel Pressman, auquel elle restera mariée jusqu'à ce qu'il décède en 1968.
À l’aise dans tous les registres, elle s’illustre notamment dans le mélodrame, de Zaza de George Cukor à Images de la vie de John M. Stahl. Douglas Sirk tournera le remake de ce dernier, Mirage de la vie, en 1959 et c’est Lana Turner qui lui succèdera. Elle s’essaie aussi au western chez John Ford (Sur la piste des Mohawks). Surtout, elle excelle tout particulièrement dans la comédie, illuminant Madame et ses flirts, de Preston Sturges. « Je préfèrerais mourir que ne plus pouvoir rire », disait-elle.
Lors du tournage de Captives à Bornéo, elle se blesse le dos, cela l’oblige à refuser le rôle mythique de la comédienne Margo Channing dans Eve, que Mankiewicz avait écrit pour elle. Darryl F. Zanuck, qui produisait le film, souhaitait quant à lui que le personnage soit interprété par Marlene Dietrich. C’est finalement Bette Davis qui est choisie et remporte le prix d’interprétation féminine à Cannes.
Au milieu des années 1950, elle fait quelques films en Europe, se glissant entre autres dans la peau de Madame de Montespan pour Si Versailles m’était conté… de Sacha Guitry. Elle travaille également pour la télévision, jouant par exemples dans The Dark, Dark Hour aux côtés de James Dean et Ronald Reagan, avec qui elle restera très amie. En 1962, après avoir tourné La Soif de la jeunesse, elle annonce qu'elle prend sa retraite. Elle passe alors son temps entre Manhattan - faisant quelques apparitions sur scène à Broadway - et la Barbade, dans les Caraïbes, où elle a fait l'acquisition d'une ancienne maison de plantation. Elle y invite des amis de marque tels que Frank Sinatra ou Kirk Douglas. Reagan lui rendra visite assez régulièrement, y compris pendant son mandat présidentiel.
Sa mère, dont elle était très proche malgré des rapports compliqués, décède en 1970 ; son frère en 1971. Sa plus proche famille est donc sa nièce. Elle revient à la télévision en 1987 pour un très beau second rôle dans The Two Mrs. Grenvilles, pour lequel elle gagne un Golden Globe. Sa grande amie, Helen O'Hagan, rencontrée sur le plateau de son dernier film La Soif de la jeunesse, partage son quotidien. Une relation fusionnelle, puisqu'elle enjoint ses amis à la traiter « comme son épouse ». Surtout, à sa mort en 1996, elle lui lègue son appartement à New York et le domaine de Bellerive à la Barbade. Helen démentira toutes les rumeurs de relations amoureuses entre Claudette Colbert et Marlene Dietrich ou Greta Garbo - à qui l'on a également prêté des aventures avec Joan Crawford et Louise Brooks, déclarant que Claudette était « une femme à hommes ».
Pour Claudette Colbert, qui compte parmi les plus grandes stars de l'âge d'or d'Hollywood, la maîtrise de son image était une véritable nécessité. Elle détestait se voir dans des films en couleurs, préférant le noir et blanc qui, selon elle, la mettait davantage en valeur. « Le public semble toujours heureux de me voir, et Dieu que je suis contente de les voir », se rejouissait-elle. Des planches au grand écran, l'ambitieuse Claudette aura pris du plaisir, elle en aura donné, et c'est bien là l'essentiel.