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    La Tortue rouge : rencontre avec le réalisateur du poétique film d'animation
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Remarqué au Festival de Cannes et d'Annecy, La Tortue rouge, produit par Ghibli, arrive sur nos écrans ce mercredi. Rencontre avec son réalisateur Michael Dudok de Wit pour évoquer, entre autres, la genèse de ce projet né il y a 10 ans.

    Bestimage

    AlloCiné : La genèse de La Tortue rouge est assez singulière. Tout a commencé par un mail...

    Michael Dudok de Wit, réalisateur : C’était un choc ! C’est un mail envoyé par le studio Ghibli qui littéralement disait : "nous avons beaucoup aimé votre court métrage Père et fille et nous trouvons que c’est un film japonais !" Et ils ajoutaient : "si vous pensez faire un long métrage, ça nous intéresserait beaucoup d’être co-producteur avec Wild Bunch à Paris".

    Le choc, déjà, c’est que personne ne m’envoie de lettres comme ça, tout court ! Deux, c’est pour un long métrage. Et trois, le studio Ghibli est connu pour rester entre japonais. Donc de poser la question à un non-japonais, c’était vraiment étonnant.

    Vincent Maraval de Wild Bunch m’a ensuite confirmé qu’ils étaient vraiment sincères, vraiment intéressés. On va essayer, ce n’est pas dit que ça va marcher. C’est une aventure pour eux, pour moi aussi. On va faire le projet pas à pas et on va espérer que ça va marcher. Mais sinon il est possible que je n’aurais jamais essayé pas de faire un long métrage s’il n’y avait pas eu cette lettre.

    Ce mail remonte à quand ?

    A la fin de l’année 2006. J’ai commencé à écrire l’histoire en 2007, ça m’a pris environ 4-5 mois et après ça, je l’ai présenté au studio Ghibli. Entre parenthèse, il y a trois fondateurs du studio Ghibli : Miyazaki, qui est connu, Takahata qui est assez connu et réalisateur également, et Suzuki qui est producteur. Suzuki sait très bien dessiner, il est très artistique mais il ne fait pas de films. En fait, il gère beaucoup la promotion des films, y compris la notre. J’ai rencontré Miyazaki mais ce n’était pas mon interlocuteur pour ce projet, c’était le projet de Suzuki et Takahata surtout.

    Studio Ghibli - Wild Bunch - Why Not Productions - Arte France Cinéma - CN4 Productions - Belvision - Nippon Television Network - Dentsu - Hakuhodo DYMP - Walt Disney Japan - Mitsubishi – Toho

    Je leur ai présenté le projet et ils ont trouvé ça intéressant. On est donc passé à la phase suivante, qui n’est pas encore le travail de production, mais d’une toute petite équipe, et parfois moi seul , qui est de raconter le film avec juste des esquisses. Ca m’a pris des années, c’est pour cela que la production a été longue. Ensuite la production avec l’équipe a commencé en juillet 2013 et on a fini le film il y a 2 mois.

    Juste à temps pour Cannes !

    Voilà ! Les producteurs ont dit : essayons de le finir pour Cannes.

    C’est assez rare pour un film d’animation d’être sélectionné à Cannes. Il y avait aussi Ma vie de courgette cette année.

    Oui, j’ai vu Courgette, il est excellent, il a beaucoup de cœur. J’ai beaucoup aimé.

    Je ne savais pas que l’animation était relativement le petit cousin distant à Cannes, que ça avait peu de place. On me l’avait dit. Une fois que j’étais là, je me suis dit : "ah oui, parmi tous les films, il n’y a que ça". Tant mieux qu’ils l’aient accepté !

    Vous disiez qu’à la base vous ne souhaitiez pas faire de long métrage, donc cette histoire était elle une idée que vous pensiez à l’origine faire peut être sous la forme d’un court métrage ?

    Non. C’est un thème que j’aime beaucoup : le naufragé sur une ile déserte, mais je trouvais ça trop grand pour un court. C’était une histoire que j’avais laissée dans un tiroir, j’avais déjà écrit quelque chose. Mais ce n’était pas assez fort pour être le début d’un long métrage.

    Quand on a parlé d’un long métrage, j’ai tout de suite pensé à ce thème. En plus, faire un long métrage avec beaucoup de personnages, lorsque c’est le premier, je trouve ça risqué. J’aimais bien l’idée que ce soit un thème très simple, avec, au début, juste une personne, et après seulement on en voit une 2e et une 3e.

    Vous ne vouliez pas faire de long métrage parce que vous aviez peur de l’envergure d’un tel projet ?

    Il y a deux raisons. Pour un long métrage, il faut beaucoup beaucoup travailler pour attirer des investisseurs, frapper à des portes… Il faut passer des années à pousser l’idée. Je ne me voyais pas faire ça.

    Comme beaucoup d’animateurs, je ne suis pas un grand businessman, je demande juste à me concentrer sur le dessin. J’ai vu des collègues qui avaient des projets ambitieux qui mettaient tout leur cœur dedans, faisaient l’effort de le vendre, et qui après des années avaient toujours des difficultés.

    L’autre raison était que si je faisais un long métrage avec une équipe, les producteurs ont beaucoup de pouvoir, ça risque de diluer le film. Un court métrage, on peut le faire seul ou avec quelques amis, faire quelque chose de très original. Avec un long métrage, il faut parfois faire une moyenne, diluer des choses qui ont beaucoup de caractère. Ca, c’était ma peur.

    Mais parce que le studio Ghibli était derrière ce projet, il y avait beaucoup plus une ambiance de film d’auteur. Ils ont dit : "ça sera un film d’auteur selon la loi française, surtout pas la loi japonaise car c’est trop compliqué, et pas la loi américaine". Ils font des films où l’auteur reçoit beaucoup de liberté, est très respecté. On n’a pas besoin de justifier des choses, les tester sur un public. Je trouve ça très important.

    Studio Ghibli - Wild Bunch - Why Not Productions - Arte France Cinéma - CN4 Productions - Belvision - Nippon Television Network - Dentsu - Hakuhodo DYMP - Walt Disney Japan - Mitsubishi – Toho

    Comme beaucoup de réalisateurs, j’ai des idées intuitives que je n’arrive pas à expliquer. Je sais que c’est une bonne idée, que je l’aime beaucoup. Mais si un producteur me demande pourquoi je l’aime beaucoup, je ne saurais pas faire un raisonnement. J’ai travaillé avec Walt Disney pendant un temps et là c’est l’opposé. Il faut pitcher son idée à chque fois devant un groupe de personnes. Il faut justifier à chaque fois pourquoi on a choisi telle chose...

    Il faut que ça reste personnel, et pas pensé pour le commerce.

    Exact. J’aime les films personnels mais j’ai aussi un goût commercial. Ghibli a prouvé qu’ils pouvaient être commerciaux au Japon. Ils ont énormément de succès. J’aime le fait que le film soit vu dans des festivals au bout du monde, que ce soit vraiment un film dans les salles.

    Au sujet de Disney, le réalisateur Jean-François Laguionie a récemment tenu des propos plutôt durs à leur égard. Dans un article de 20Minutes, il a dit "Disney a pourri le marché de l’animation en monopolisant l’exploitation". Qu'en pensez-vous ?

    Je ne serais pas aussi extrême car Disney a aussi fait des chefs d’œuvre, surtout des grands classiques. Chaque film Disney, même ceux que j’ai moins aimé, a des éléments magnifiques, sublimes. Mais un film Disney couterait 10 fois le prix de mon film. Pas deux fois, dix fois. Pour la distribution, ils dépensent des fortunes. Donc pour des gens qui font des films avec un budget plus petit, ce n’est pas drôle. Dans cette citation, ils devraient remplacer par tous les studios Disney, Pixar, Dreamworks, Blue Sky…

    Disney a aussi contribué à donner goût à l’animation…

    Les Américains ont plus d’argent donc peuvent être plus agressifs avec la vente, mais dans un sens ça a réveillé un amour pour le cinéma. Pareil pour les films japonais, il y en a de très bons et de très mauvais, mais ça a quand même réveillé l’amour pour le cinéma. Donc je trouve que c’est extrême, je ne dirais pas la même chose que lui. J’ai travaillé pour Disney. J’ai beaucoup de respect pour eux.

    Vous avez travaillé pour La Belle et la bête, c’est exact ? Est-ce que vous avez travaillé sur d’autres films avec eux ?

    Oui. Fantasia 2000 qui était une sorte de nouvelle version de Fantasia. J’ai travaillé sur la section avec Donald et Minnie. J’ai travaillé aussi sur un court métrage.

    Avez-vous eu d’autres expériences de grand studio ?

    J’ai travaillé pour Folimage à Valence. J’ai travaillé sur une petite section de La Prophétie des grenouilles. 

    Et mon tout premier job, c’était pour un long métrage qui s’appelle Metal Hurlant, inspiré par le magazine de BD. J’étais animateur débutant, j’ai fait une toute petite section. Ca remonte aux années 80. 

    Studio Ghibli - Wild Bunch - Why Not Productions - Arte France Cinéma - CN4 Productions - Belvision - Nippon Television Network - Dentsu - Hakuhodo DYMP - Walt Disney Japan - Mitsubishi – Toho

    Pour revenir à La Tortue rouge, j’ai vu que vous aviez travaillé avec Pascale Ferran au scénario. Comment a-t-elle rejoint le prjet et pourquoi elle ?

    Au cours de la phase animatique où l’on raconte l’histoire avec des esquisses, j’avais des difficultés pour raconter l'histoire de façon vraiment forte, en langage cinéma. Pas partout, mais par moments.

    Je demande autour de moi : "qu’est ce que tu penses de…" Aussi bien des gens avec beaucoup d’expérience ou peu d’expérience. Je recevais de bonnes suggestions, mais jamais assez pour dire : "voilà maintenant on a résolu, on peut continuer". Donc il y avait quelques faiblesses, des creux.

    Il y a beaucoup de plans qu’on jette. J’ai fait assez de plans pour faire plusieurs films dans un sens.

    A un moment donné, je n’avançais pas assez vite. Mon producteur de Why Not qui supervisait le projet a dit : "tu as besoin d’un co-ateur ?" J’ai dit volontiers. Il a demandé à quelques amis, entre autres Pascale Ferran, qui aimait beaucoup.le projet. Elle a tout de suite dit que ça l’intéressait et voyait ce qui ne marchait pas très bien. Je l’ai rencontrée, je me sentais bien avec elle. Elle était intelligente. J’ai regardé tous ses films. Je regarde beaucoup de films en prise de vues réelles pour m’inspirer. Le fait qu’elle est une expertise dans ce domaine m’intéressait beaucoup. Et vice-versa. Le fait que ce soit un film d’animation l’intéressait beaucoup.

    Elle a identifié des problèmes, rééquilibré certaines choses. Pour vous donner un exemple, elle pensait que la femme n’avait pas assez de personnalité. Elle n’a pas assez de présence. Certes, c’est quelqu’un de discret dans l’histoire mais elle est trop discrète. Il faut donner plus de vie à la femme et elle savait faire ça. Elle a aussi travaillé sur la continuité de l’histoire. Ça ne coulait pas assez bien. On a changé parfois de perspective la caméra.

    On a travaillé environ 4 mois ensemble. Elle a fait beaucoup de suggestions écrites que je dessinais ensuite. On a travaillé sur les dialogues aussi parce que je trouvais qu’il fallait un peu de dialogues au tout début. Mais elle pensait que les dialogues étaient un peu artificiels.

    Au début, elle a fait des propositions pour ajouter des dialogues, mais ensuite elle a découvert que ça ne marchait pas non plus. Ensuite elle est partie dans l'autre sens et a réduit les dialogues. Et finalement, comme vous l’avez vu, il n’y a pas de dialogue. Le défi de ne pas mettre de dialogue m’intéressait beaucoup.

    Souhaitiez-vous ajouter quelque chose ? Un dernier mot pour donner envie d’aller voir le film ?

    Avec ce film, je voulais trois choses : évidemment, raconter une belle histoire. Faire quelque chose de visuellement beau. Pas juste des beaux dessins, mais une belle lumière. Enfin, j’espère que le film montre de façon tranquille et subtile l’énorme beauté de la nature. Ressentir l’émotion que l’on a quand on marche à travers l’eau transparente, quand il y a du vent dans les arbres. Et y compris la nature humaine.

    Notre Top 5 des tortues !

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet à Paris le 27 juin 2016

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