Rendez-vous un jour de forte pluie avec Valeria Bruni Tedeschi dans une brasserie du 6e arrondissement de Paris. De la météo à Folles de joie, la transition était toute trouvée pour commencer notre entretien !
AlloCiné : Il y a une euphorie qui se dégage du film et en même temps un sentiment en quelque sorte "pluvieux". Comment expliqueriez-vous cette espèce de sentiment contrasté qu'on ressent en découvrant Folles de joie ?
Valeria Bruni Tedeschi : Comme ça ! Elles sont très pluvieuses à l’intérieur d’elles. Elles sont pleines de larmes et de douleur. Mon personnage est comme obligé à chercher la joie pour survivre. C’est la joie ou la mort. Elle cherche la joie aussi fortement qu’elle est désespérée. C’est vrai que ça fait penser à une course folle dans une journée pluvieuse ! (sourire)
Le réalisateur de Folles de joie, Paolo Virzi, dit qu'un film est comme une thérapie pour -si ce n'est pas guérir- mieux supporter les choses de la vie. Rejoignez-vous ses propos ? Ou peut être est-ce un constat un peu sombre ?
Non, ce n’est pas sombre. C’est même très optimiste, je trouve, de penser que l’art est une thérapie. J’ai l’impression que l’art est une thérapie pour le spectateur parfois, un peu. En tout cas moi en tant que spectatrice, ça peut me faire du bien, et ça peut même me sauver par moments. Dans ma vie, ça a pu me sauver, la littérature, le cinéma, la musique…
J’ai l’impression que l’art est un peu une thérapie pour le spectateur parfois
Mais par contre, pour celui qui le fait, je ne sens pas vraiment que c’est une thérapie, tant que c’est mon travail, mon métier que j’essaye de faire le mieux possible. Je n’ai pas l’impression que mes problèmes soient résolus. Peut-être qu’une thérapie n’est pas là pour résoudre, mais comme il le dit, mieux supporter. Est-ce que le fait de faire du cinéma fait que je supporte mieux la vie ? Peut-être. Mais je pense qu’en général, quand on a une passion, pour n’importe quel métier, on supporte mieux la vie.
Ce film Folles de joie répondait-il à une envie à ce moment de votre vie ? Une envie pour un film solaire et dramatique à la fois ?
Je ne me sentais pas solaire ; je pense que c’est un film au bout du compte solaire, mais avec, comme je le disais tout à l’heure, une grande dose de douleur. Quand je l’ai fait, je ne me sentais pas solaire, mais par contre, je sentais le regard de Paolo sur moi, qui était très accueillant, très aimant, et ça m’a aidé à faire ressortir la partie solaire qui est en moi. Ça m’a aidé à la proposer, à avoir le courage de la faire vivre.
Pendant le tournage, j’avais comme l’impression d’avoir demandé à mon sur-moi, mon policier intérieur d’aller en vacances
C’est vrai que pendant le tournage, j’avais comme l’impression d’avoir demandé à mon sur-moi, mon policier intérieur d’aller en vacances, et de voir ce qu’il se passait avec moi sans sur-moi. C’était une expérience assez jouissive.
J'ai lu que vous vous étiez inspirée de Blanche Dubois, le personnage d'Un Tramway nommé désir, pour préparer ce rôle...
Oui. Les scénaristes aussi y ont pensé en écrivant. C’est un personnage relié profondément à Blanche Dubois. Dans ses contradictions. Dans sa solitude, dans sa folie. Dans sa chimie. C’était clair pour moi. C’était ma principale source d’inspiration, le personnage de Tennessee Williams, plus encore que le film que je n’ai pas revu. Et aussi Cate Blanchett dans Blue Jasmine.
Avez-vous cherché également à rencontrer des personnes dans l’état du personnage ou vous êtes seulement rattachée à…
... Je me suis rattachée à ma folie personnelle intérieure qui existe et, je pense, toujours sous contrôle. On est tous sous contrôle parce que la base de la société, c’est l’hypocrisie. Mais si on arrête, que se passe-t-il ? C’est juste une expérience qu’on peut faire.
Je me suis rattachée à ma folie personnelle intérieure qui existe et, je pense, toujours sous contrôle.
Qu’est ce qui se passe si on retire l’hypocrisie, si on retire le contrôle, si on retire ce sur-moi, ce policier intérieur qui fait qu’on se conduit bien ? Très vite, si qui que ce soit fait l’essai, il va se rendre compte qu’il va paraître comme fou. J’ai plus travaillé comme ça, qu'en allant me documenter ou rencontrer, consulter des livres, travailler sur la maladie extérieure.
Parlons de votre partenaire de jeu, Micaela Ramazzotti, avec qui vous avez dû, comme dans le film, apprendre à connaitre au fur et à mesure du tournage...
C’était un lien assez vrai, au sens où l’on ne se connaissait vraiment pas avant. Le tournage a été fait presque de façon chronologique et donc on s’est découverte peu à peu au fil de l’histoire, au fil du tournage, qui était très fatigant.
On a du bouger souvent d’endroits. On a dû tourner souvent la nuit. On marchait, on courait, on se battait... Il y a aussi eu des moments d’irritation de l’une avec l’autre, ou de frottements, d’exaspération... Des moments de grande tendresse, de grand euphorie, de grande joie, et donc effectivement, on a essayé d’être vraies avec ce qu’on était l’une avec l’autre pendant ce tournage, et au bout du compte, amies, mais sans faire semblant de l’être plus vite que la vérité.
Il y a un parallèle assez évident avec Thelma et Louise...
Oui, il y a une envie de liberté que les personnages de Thelma et Louise ont. Ce n’est même pas un envie, c’est un besoin de liberté. Une sensation d’être en train de mourir dans leur propre vie. Un besoin vital de se sentir vivante. Et dans ça, je pense qu’il y a un lien.
C’était plus un lien inconscient entre Folles de joie et Thelma et Louise
Après les deux films sont très différents. C’était plus un lien inconscient. Même dans le choix de la voiture, le choix des costumes quand on est dans cette voiture.
Je pense que Paolo n’a pas voulu faire comme Thelma et Louise, mais qu’on aime ou qu’on n’aime pas ce film, il fait partie de notre inconscient, de notre culture et il est rentré dans ce film-là presque malgré nous. Beaucoup plus malgré nous qu’Un Tramway nommé désir.
Vous avez une double actualité avec le film Ma loute de Bruno Dumont, qui était aussi à Cannes. Voyez-vous un lien de parenté entre ces deux films ?
Oui, je me suis rendue compte que si je reprends le discours du sur-moi et que je dis au sujet du film de Paolo Virzi que j’ai demandé au policier intérieur d’aller en vacances pendant les scènes, disons qu’en ce qui concerne le film de Bruno Dumont, j’ai demandé au policier intérieur non seulement de ne pas partir en vacances, mais de prendre d’autres pistolets et de se mettre encore plus près de moi que d’habitude. D’être encore plus contrôleur, d’être méchant et plus présent que dans la vie normale. Donc je suis totalement paralysée par ce policier intérieur, par mon sur-moi.
S’il y a un lien entre les deux personnages, c’est un besoin d’exaltation
Dans le film de Paolo Virzi j’ai des robes en soie larges et agréables, qui volent. Là, j’ai un corset, j’ai un chignon. Je suis engoncée dans mon costume, dans mon corset, dans mon éducation, dans ma classe sociale, dans mon rapport avec mon mari.
Tout est engoncé, et en même temps, s’il y a un lien entre les deux personnages, c’est un besoin d’exaltation. Mais comme ce besoin ne peut pas s’exprimer du tout dans la vie quotidienne, à part un petit peu avec la femme de chambre que je torture, il me fera m’envoler vers la foi.
Quels sont vos projets ? Avez-vous des tournages qui se profilent ?
Non, je n’ai aucun tournage comme actrice. Je suis en train d’écrire mon film et je suis en montage d’un documentaire que j’ai co-réalisé.
Mon nouveau film, ce ne sera pas une adaptation. Ce sera à nouveau quelque chose que j’écris. Ce sera très rempli de l’expérience que j’ai faite en adaptant Les Trois sœurs de Tchekhov pour Arte. Ce film a été très important pour moi. Il y aura un lien avec ce travail sur Tchekhov.
La bande-annonce de Folles de joie, sur les écrans le 8 juin 2016
Propos recueillis par Brigitte Baronnet le 30 mai 2016 à Paris