Pour les fans d'Eli Roth, cet automne est l'un des grands moments de cette année 2015. Quelques semaines après Knock Knock, les spectateurs peuvent découvrir Green Inferno chez eux, en e-cinema, deux ans après sa présentation à Toronto. Certains ont même pu découvrir les longs métrages pendant la même journée au dernier Festival de Deauville, où le réalisateur est revenu avec nous sur son film de cannibales.
Vous est-il difficile de revenir sur "Green Inferno", que vous avez présenté il y a deux ans à Toronto ?
Eli Roth : Non, pas du tout, car je le trouve plus pertinent. Je trouve que Knock Knock et Green Inferno sont tous deux très opportuns. Dans Green Inferno, il y a l'activisme social et sur Twitter couplé au fait que des contacts sont établis avec les dernières tribus, dans la mesure où les gouvernements du Pérou et du Brésil ont levé les lois les protégeant, et que les gens volent leurs ressources naturelles.
Il parle aussi de l'augmentation des justiciers sociaux, ces gens qui deviennent fous à coups de hashtags et qui vous humilient à mort sur Twitter. Nous avons commencé à écrire le scénario au moment d'Occupy Wall Street, et il s'est terminé en plein pendant Kony 2012 [mouvement de résistance contre le chef d'un groupe de rebelles en Ouganda et au Soudan, ndlr], à un moment où les gens twittaient en disant "Vous-vous foutez de Joseph Kony ? Des enfants soldats ? De ce qu'il se passe en Ouganda ?", juste parce que vous ne postiez rien. Il y a ensuite eu Free Pussy Riot, Bring Back Our Girls... L'activisme social peut être une chose super, mais certains s'en servent pour se donner bonne conscience.
Si vous regardez, les gamins de Green Inferno ne sont pas contents parce qu'ils ont arrêté le chantier, mais parce qu'ils sont dans les tendances de Twitter ou sur la page d'accueil de Reddit. C'est ça leur but ! Ils veulent avoir des followers ! C'est là que réside le pouvoir pour eux et le film parle de l'activisme vaniteux, dont on a encore plus perdu le contrôle selon moi.
==> Mais "Green Inferno" s'offre le premier générique pour Twittos
Lorsque l'on voit "Green Inferno" et "Knock Knock", le second paraît être l'exact opposé du premier, au niveau des lieux de l'action notamment. A-t-il été fait dans ce sens ?
Tout à fait. Je ne voulais pas me répéter, et je me suis rendu compte que j'avais emmené une équipe là où aucune autre n'était allée avec Green Inferno : nous avons tourné près de l'endroit où Werner Herzog a filmé Aguirre, la colère de Dieu au Pérou. Nous avions 5 heures de trajet en voiture chaque jour, puis 90 minutes en bateau pour rejoindre le village, puis il fallait repartir le soir. C'était un tournage dangereux et rude.
Du coup j'ai eu envie de me ménager et de tourner mon film suivant dans une maison. Mais celle-ci présentait plusieurs défis également, à cause de la pluie dehors et des reflets. Green Inferno débute comme une comédie romantique new yorkaise et se poursuit dans la jungle, pour se rapprocher d'Apocalypse Now, Apocalypto ou d'un documentaire terrifiant. Avec Knock Knock, j'avais davantage envie de mettre en scène un jeu d'échecs, en montrant Keanu qui succombe petit-à-petit, car chaque mouvement est une manipulation.
==> Un film dans lequel Keanu Reeves a aimé "être puni"
On remarque avec "Green Inferno" et vos autres films que le coeur de votre cinéma n'est pas seulement l'horreur, mais l'horreur humaine.
Je suis fasciné par ce que les êtres humains peuvent faire et je pense que c'est parce que j'ai grandi dans une famille juive et entendu des histoires sur l'Holocauste. Le fait de savoir que mes grands-parents ont été déportés et sont morts dans des fours crématoires, et que rien de ce que les hommes feront ne pourra être pire, c'est à la fois dérangeant et terrifiant.
Ceci étant dit, j'aime les films surnaturels et les histoires de fantômes comme Conjuring. Mais les films qui me fascinent le plus sont Massacre à la tronçonneuse, La Dernière maison sur la gauche, Cannibal Holocaust et Halloween : de vrais films d'horreur que j'ai dans la peau. Au même titre que L'Exorciste, que j'adore. Avec Green Inferno, j'ai essayé de trouver un lieu dans lequel aucun homme n'était allé, et cet affrontement entre des gens qui veulent le protéger et ceux qui voient ces derniers comme des intrus me fascinait.
Comment se fait-il qu'il ait fallu deux ans pour que "Green Inferno" sorte en salles ?
Ça n'a rien à voir avec le film. Les financiers ont eu des problèmes avec leur société et avec le distributeur, auprès duquel ils n'ont pas pu tenir leurs engagements. C'était très frustrant et il nous a fallu patienter pendant un an, le temps qu'ils trouvent une solution. Heureusement, Jason Blum a pu intervenir et sauver le film en l'apportant chez Universal pour qu'il sorte chez eux [aux Etats-Unis, ndlr].
Et les fans ont su se faire entendre sur les réseaux sociaux, assez pour que les avocats des différentes parties décident de trouver une solution ensemble plutôt que d'intenter des procès. S'il y avait eu une action en justice, Green Inferno ne serait jamais sorti. Je remercie les fans pour leur soutien. C'est aussi grâce à eux que le film peut sortir dans le monde entier.
Et voici un extrait bien gore pour se mettre en appétit :
Avez-vous eu des problèmes avec la censure américaine, à cause du côté gore et très graphique du film ?
Non. Mais vous savez, quand Madonna a débuté, elle a choqué avec ses vidéos et notamment le clip de "Papa don't preach" dans lequel elle brûlait des croix. Puis, quand son livre "Sex" est sorti, les gens ne disaient plus que c'était choquant, mais que c'était juste Madonna. Et je pense qu'il en va de même avec mes films gores : le comité de classification a bien compris, avec Green Inferno, que les spectateurs payent pour vivre une expérience et ont des attentes à ce sujet. Ils savent que personne ne va aller le voir par accident en pensant que c'est Green Lantern.
Quels sont les films de cannibales qu'il faut avoir vus dans sa vie, avant ou après "Green Inferno" ?
Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato est incroyable. Cannibal Ferox d'Umberto Lenzi aussi. Et je dirais La Montagne du Dieu cannibale de Sergio Martino, ainsi qu'Emmanuelle chez les cannibales de Joe d'Amato. Ça c'est un super film : c'est non seulement un Emmanuelle - mais un italien, avec Laura Gemser - donc un film érotique, mais les scènes de cannibalisme sont assez dingues.
Une seule personne représente les goûts de tout un pays
Avez-vous le sentiment que les films d'horreur sont devenus plus difficiles à produire aujourd'hui ?
Bien sûr, et regardez en France : les circuits de distribution classiques n'ont pas voulu sortir Green Inferno en salles car c'est trop violent. Et c'est dommage pour les fans. Je suis content que la VOD existe et qu'ils puissent le voir de cette façon, mais ça craint qu'une chaîne de cinémas dise non et que ce soit fini. Une seule personne et son opinion représentent les goûts de tout un pays. Mais il n'y a rien à faire, c'est juste une différence culturelle.
Il y a pourtant eu A l'intérieur ou les films d'Alexandre Aja, qui étaient super car ils ont repoussé certaines limites. Mais le marché est aujourd'hui différent. Sortir un film en salles est très difficile et cher, si bien que personne ne veut prendre de risque. J'aime faire des films audacieux et heureusement que j'ai pu compter sur Jason Blum, sans qui le film ne serait pas sorti.
Même sur Knock Knock, à cause de la sexualité et du moment où les filles disent qu'elles sont mineures, le distributeur a pris peur et a décidé de le sortir dans 10 villes et en VOD. Il y a pourtant Keanu Reeves et je trouve que c'est sa meilleure performance, mais le distributeur m'a dit qu'il était impossible d'avoir, dans 3000 cinémas, un film dans lequel Keanu Reeves se tape des filles mineures. Dans le reste du monde, Knock Knock sort largement, mais les Américains ont trop peur de la sexualité.
Alors qu'il y a une scène d'éviscération dans "Green Inferno"...
... et qu'on apprend spoiler: à la fin de Knock Knock que les filles ne sont pas mineures. Mais c'est notre culture qui est ainsi. C'est dingue mais les gens n'ont aucun problème avec la violence, tout le monde a une arme et il y a des fusillades chaque jour. Mais si quelqu'un a des relations sexuelles avec une autre personne, tout le monde flippe, alors que chacun se sexualise sur Instagram et que les gens trouvent ça gratifiant. C'est vraiment une culture étrange.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 4 septembre 2015
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