AlloCiné : Every Thing Will Be Fine s'interroge sur les liens entre la vie de tous les jours et l'Art. Autrement dit, en quoi quotidien peut inspirer l'Art. Est ce que vous diriez que votre vie a beaucoup d'influence sur votre Art, votre création ?
Wim Wenders, réalisateur : Déjà les mots sont si grands. Créer. Création. Dans le cinéma, quelques fois c’est beaucoup plus concret. La création, c’est un acte entre des choses qu’on dit tous les jours, les relations, les voyages, ce qu’on voit, ce que l’on ressent, tout ça… Je ne voudrais pas appeler ça création.
Quand on fait un film, on est entouré de plein de personnages, les acteurs, les cameramen, les musiciens, tous les gens qui sont sur le plateau… On fait quelque chose ensemble, qui est un peu quotidien, pour ainsi dire. On est dans les vrais lieux. On tourne en hiver, on tourne en été… On a tourné pendant toutes les saisons pour ce film.
Le cinéma a cette capacité d’agrandir le quotidien
A chaque fois, c’est un petit morceau de la vie quotidienne qui est agrandi. La création, ce n’est qu’agrandir un moment simple. Même si deux personnes sont en face de l’autre pour se parler, c’est quand même un acte quotidien, comme nous deux en ce moment. On se regarde ; vous êtes devant moi, je suis devant vous. C’est quelque chose de quotidien. Dans le cinéma, ça peut devenir quelque chose de grand, parce que le cinéma a cette capacité d’agrandir le quotidien. Prendre tous ces petits moments du quotidien et les mettre ensemble. La création, c’est comment organiser ces moments du quotidien.
A chaque instant, quelque chose peut changer tout le reste
S’il y a au début – c’est seulement 2 secondes dans le film- un moment qui change tout, parce qu’il y a un petit moment pendant lequel le personnage de James Franco ne fait pas assez attention, au volant. Mais peut être que même s’il avait fait plus attention, il n’aurait quand même pas pu l’éviter, ces deux secondes changent les deux années après. C’est ça aussi le quotidien : c’est qu’à chaque instant, quelque chose peut changer tout le reste.
Je ne peux pas m’appeler artiste, je ne peux pas utiliser le mot pour dire ce que je fais, et je n’utilise jamais le mot création parce que ce sont des mots trop grands pour ce qu’on fait dans le cinéma. Ce sont les spectateurs qui font que ça devient une création.
Le film est aussi une réflexion sur le destin, sur le cours que l'on peut donner à sa vie...
On se demande toujours ce qu’il se serait passé si je n’avais pas fait telle ou telle chose… Si cet accident n’avait pas eu lieu, s’il avait parlé une phrase de plus au téléphone avant, il ne serait pas arrivé cette milliseconde pour croiser la luge avec sa voiture. Une demi-seconde aurait tout changé. Sa mère se dit aussi : pourquoi je ne l’ai pas appelé plus tôt pour rentrer à la maison ? On se demande toujours.
Mais toutes ces questions ne servent à rien car il faut vivre avec ce qu’il s’est passé… Et pour vivre avec ce qu’il s’est passé, Tomas (James Franco) fait la seule chose qu’il connait bien : c’est écrire un roman dans lequel, d’une manière ou d’une autre, ces événements deviennent littérature. Mais ce n’est peut être pas une solution…
A l'image de la production, vous avez fait appel à un casting très international. Le choix de James Franco en particulier est intéressant. Il est dans la retenue. Pour quelles raisons l'avez-vous choisi ?
Je voulais surtout trouver un acteur qui allait comprendre le conflit central du film. Et James, comme il n’est pas seulement acteur, mais aussi écrivain et metteur en scène, la toute première fois qu’on a parlé sur le sujet, je me suis rendu compte qu’il comprenait le conflit central du film d’une manière complète.
Trouver un acteur qui allait comprendre le conflit central du film
Nous n'avions pas encore parlé du scénario, mais je comprenais déjà que, pour lui aussi, l’accident n’était pas le sujet central du film, mais plutôt comment écrivain l’utilise après. Quelques fois ce sont des choses très simples qui font que l’on sait qu’on a trouvé le bon acteur.
Je savais qu’aucun des acteurs avec lesquels j’avais travaillé auparavant conviendraient pour le rôle, donc j’ai dû trouver un nouveau complice. Parce que l’acteur principal, c’est votre complice le plus important. C’est toujours risqué parce qu’on peut voir des films, aimer beaucoup un acteur, mais on ne sait jamais vraiment qui il est avant la première scène du film. On ne sait pas qui on a casté avant le premier clap. Avec James, c’était quand même très sûr.
Comme la 3D agrandit tout, je savais qu’il y avait un besoin qu’il ne joue pas le rôle mais qu’il soit. Je savais que James en serait capable.
Il était prêt à se lancer dans cette aventure consistant à être nu devant une caméra qui voit tout. Les deux caméras 3D sont comme des caméras à rayon-x. Elles voient directement dans l’âme. C’est infernal avec quelle précision ces caméras sont capables de voir chaque émotion sur le visage. Il fallait donc être ultra présent, ultra prudent et ultra précis pour jouer ce personnage dans lequel tout se passait à l’intérieur, qui n'extériorise rien du tout. Je savais que c’était le meilleur.
Les caméras 3D sont comme des caméras à rayon-X. Elles voient directement dans l’âme
Une fois que j’avais James Franco et que je savais que c’était lui le rôle principal, c’est seulement après que j’ai pu penser aux trois femmes. Je n’ai pas pu faire un casting avec les femmes et puis trouver Tomas. J’avais besoin d’avoir d’abord Tomas et je pourrais seulement commencer à penser aux autres. Ca c’était un peu plus compliqué.
Every Thing Will Be Fine, la bande-annonce :
Vous aviez déjà expérimenté la 3D relief pour le documentaire Pina. Cette nouvelle expérience, pour de la fiction cette fois-ci, vous a-t-elle donné envie de poursuivre dans cette voie ? Diriez-vous que vous êtes convaincu par la 3D ?
Complètement convaincu et encore plus que ça ! J’ai compris plus encore que c’est vraiment un nouveau langage. Nous n'en sommes qu'au début. Notre film Every Thing Will Be Fine est en quelque sorte encore un prototype.
Every Thing Will Be Fine est encore un prototype
Quand nous avons décidé, après Pina il y a 3-4 ans, de faire Every Thing Will Be Fine en 3D, j’étais sûr que quand le film sortirait il y en aurait plein d’autres, des films intimes, de fiction, pas seulement d’action et d’animation, des films d’auteur. Pour moi, c’était sûr, c’était nécessaire. Or, en 2015, nous sommes encore les cobayes. Je ne voulais pas être un "cochon d'Inde", mais c’est comme ça.
Je vais continuer car il y a tant de choses encore à découvrir, à expérimenter avec la 3D. On n’a meme pas gratté la surface de tout ce qui est possible avec ce nouveau langage...
Vous avez un projet d’adaptation de Peter Handke avec Reda Kateb… Est-ce que vous allez utiliser la 3D justement ?
Oui ! Les beaux jours d'Aranjuez est un long dialogue, un dialogue d’été entre un homme et une femme. Ca dure un temps presque indéfini, tout l’été pour ainsi dire. C’est un dialogue très intime, très personnel, très osé parfois. Et en même temps, parce que c’est entre un homme et une femme, proverbial. Ce n’est pas seulement un homme, mais c’est l’Homme, et une femme, c’est la Femme. C’est une maison et un jardin, c’est tout. Hier, nous avons lu pour la première fois avec les deux comédiens. J’ai hâte de commencer.
Reda Kateb se confie sur son tournage prochain avec Wim Wenders
Propos recueillis à Paris, le 14 avril 2015