Mon compte
    "Eastern Boys" : Robin Campillo raconte son "Peter Pan" moderne [INTERVIEW]

    Dans "Eastern Boys", lorsque le héros Daniel invite chez lui un jeune homme rencontré à la gare, il est loin d’imaginer le piège dans lequel il s’apprête à tomber et qui va bouleverser sa vie. Rencontre avec le scénariste et réalisateur du film, Rob

    10 ont passé depuis votre premier film "Les Revenants". Comment expliquez-vous cette longue absence ?

    Robin Campillo : Après Les revenants, j'ai écrit un scénario pendant un an et demi, et une fois terminé, je ne le sentais pas, je n'ai pas eu envie de le tourner. Mais des éléments sont quand même restés dans Eastern Boys, notamment autour du personnage de Boss, ce garçon à la fois très inquiétant et très attirant. Et puis entre temps j'ai poursuivi ma collaboration avec Laurent Cantet, notamment pour Entre les murs. J'ai en tout cas attendu d'être sûr du film que j'allais faire. Et je mettrais moins de temps pour le troisième !

    Est-ce que vous avez rencontré plus de difficultés pour monter ce film, financièrement, qu'il y a 10 ans ?

    J'ai eu un peu de chance je crois. C'est toujours compliqué, évidemment. On n'a jamais assez d'argent. Mais j'ai eu un retour positif de la part des chaînes rapidement, ainsi que pour l'avance sur recette.

    Il y a un certain nombre de thèmes communs entre "Les Revenants" et "Eastern Boys", notamment la peur de l'étranger. Est-ce conscient ?

    C'est vrai que ça m'inspire beaucoup. On a souvent au cinéma des étrangers très peu étranges. Alors que ce qui m'intéresse chez l'étranger, c'est justement son étrangeté ! J'essaye de travailler sur des personnages ou des situations que je ne comprends pas. J'aime que l'étrangeté demeure. Il y a de l'étrangeté dans l'intime. La personne avec qui l'on vit reste un étranger malgré tout. Je trouve ça plus positif qu'inquiétant. C'est même assez romantique en fait. Dans Eastern Boys comme dans Les Revenants, la vision du couple n'est pas banale.

    Le héros, Daniel, est étrange justement. On ne comprend pas facilement sa passivité face à cette invasion de son intimité. Il est surprenant. Vous êtes-vous vous même laissé surprendre par lui ?

    Oui, car j'aime que les personnages soient des points d'interrogation. Lorsque j'ai travaillé avec Laurent Cantet sur le film L'Emploi du temps et que nous avons rencontré pour la première fois Aurélien Recoing, il nous a demandé quelles étaient les motivations des personnages. Et nous n'avions pas la réponse. Car ce qui nous intéressait ne résidait pas là. Je suis contre la caractérisation des personnages, contre le fait qu'ils seraient des programmes qui suivent une parabole dans le film. Les gens réagissent différemment selon les situations et de façon surprenante.

    Et puis quand je tourne, je me laisse aussi porter par le comédien, par les choses qu'il m'inspire en le voyant jouer, des choses que je n'avais pas forcément imaginées en écrivant. Le tournage est du coup plein de surprises. Et concernant Daniel, je pense que ma vision n'est pas plus importante que celle des spectateurs, mais je comprends parfaitement qu'on puisse ne pas le comprendre.

    © Les Films de Pierre

    Une des premières scènes du film, celle où Daniel ne réagit justement pas face à Boss et ses amis qui envahissent puis vident son appartement, est très étrange et surprenante... Que signifie-t-elle ?

    Daniel est neutralisé, anesthésié et paralysé par le chantage à la pédophilie. Comme il se sent coupable d'être allé voir un homme qui est très jeune par rapport à lui, il se trouve pris à défaut par ce groupe. Et en même temps il est chez lui. Mais fuir chez soi est compliqué. Ses possibilités d'action sont peu nombreuses. Et quand Boss lui dit que c'est lui qui est venu les chercher, il y a une forme de vérité qu'il ne peut qu'admettre. En effet, il a pris des risques et s'est mis dans cette situation tout seul.

    Après, ce qui m'intéressait de montrer dans cette scène, c'est aussi ce paradoxe où il a envie de faire partie de cette fête, de s'y abandonner. C'est noël avant l'heure : il y a des mecs qui dansent torse nu dans son salon ! Le cauchemar et le rêve sont intrinséquement liés. Je travaille sur un film actuellement dont une des phrases fortes est "le cauchemar, c'est une forme de rêve". Et je dois dire que ça m'obsède. Boss est un ensorceleur, il y a quelque chose de magique chez lui, et Daniel se laisse ensorceler. Boss sait très bien à qui il a affaire : un homosexuel d'une cinquantaine d'années qui vit seul. Il est malin. Méchant et intelligent.

    L'interprète de Boss, Danil Vorobyev, fait penser à Nicolas Duvauchelle, non seulement physiquement mais aussi dans son jeu très nerveux...

    C'est vrai, et c'est aussi un très bon acteur. J'ai fait beaucoup d'essais en Russie et le niveau était très élevé. Les gens font beaucoup de théâtre là-bas. C'est un peu comme la Comédie Française chez nous : ils font des films à l'année et des pièces très régulièrement. J'ai adoré travailler avec lui.

    L'histoire entre Daniel et le jeune Marek, c'est deux solitudes qui se rencontrent et s'apprivoisent ?

    En fait, on ne voit de Daniel que très peu de sa vie sociale. Il n'est pas si solitaire que ça. Mais ce qui m'intéresse c'est ses vies parallèles. Et l'une d'entre elles est la solutiude. C'est quelqu'un qui a envie d'autre chose. Il a envie de prendre des risques pour se réinventer. Concernant Marek, c'est un peu la même chose. Dans son groupe de clandestins, il n'est pas si solitaire. Chacun voit dans l'autre la possibilité de sortir de sa situation. On pourrait presque dire qu'ils s'intrumentalisent l'un et l'autre pour s'inventer une nouvelle vie.

    L'appartement est un personnage en lui-même. Une partie du film est tournée en huis clos. Puis la dernière partie s'ouvre à l'extérieur. Avez-vous eu la tentation de ne rester que dans l'appartement ?

    J'aimais l'idée que les scènes soient vues du point de vue de l'appartement. Et ça exprime quelque chose sur la sédentarité. Quand Daniel part au boulot, on reste avec l'appartement comme s'il était une conscience. Et en même temps, ce lieu c'est comme un labyrinthe où les héros se perdent et se retrouvent. A un moment, tout le monde me disait que le huis clos était super et n'aimait pas l'idée que l'on ait une scène au supermarché par exemple. Mais je leur répondais que pour moi, on restait dans l'appartement même quand on n'y était plus.

    © Les Films de Pierre

    La dernière partie laisse presque place à un autre huis clos, dans l'hôtel où vivent les clandestins. C'était important pour vous de montrer cet autre versan de l'histoire ?

    C'est comme si on allait dans les coulisses du groupe de sans papiers. Cet univers-là m'intéressait car on y découvre toute une mélancolie. Comme si tous les personnages du groupe étaient piégés dans le rêve de Boss. Pour moi, Boss c'est Peter Pan. Son rêve c'est de s'enfuir à perpétuité, de franchir les frontières. D'être en fait le contraire de Daniel. Pour lui, la sédentarité c'est vieillir, accepter le passage du temps. Mais le problème c'est que dans sa fuite en avant il emmène avec lui tous ces enfants perdus qui sont sous sa coupe. Je voulais que l'hôtel soit un lieu de passage. Presque un non-lieu. C'est un peu comme la zone d'accueil dans Les Revenants. Ils sont là sans être là. Ils sont tolérés mais en attente de partir ailleurs.

    Le Paris du film, périphérique, est rarement montré au cinéma...

    Dès la création du projet, pour moi le film était filmé sur la frontière, au lieu de passage, presque au checkpoint. J'aimais que l'appartement soit au bord de la périphérie. J'ai l'impression que quand on est sur la frontière, les limites sont toujours floues. Et tout est flou dans Eastern Boys : entre deux formes d'amour, entre deux pays... Le cinéma aide selon moi à se placer dans des endroits où on perd la boussole et où on s'interroge sur pourquoi il y a un côté et un autre, et pourquoi il y a une frontière entre les deux.

    Il y a une scène de sexe brutale au début du film. Les autres parviennent à être crues tout en restant pudiques. Comment les envisagiez-vous ?

    Je sais que quand on a fait les répétitions, je voulais que les deux acteurs, qui sont par ailleurs tous les deux hétérosexuels dans la vie, soient torse nus pour qu'il y a ait au moins le contact de la peau et qu'ils comprennent qu'il y avait autre chose à jouer que le simple acte sexuel. La première scène de sexe ressemble presque à un esprit de vengeance. Daniel en veut à ce garçon de l'avoir piégé. Je voulais filmer aussi l'embarras, sans porter de jugement sur la prostitution. La brutalité de la sodomie dit quelque chose sur le malaise dans lequel il est. Je voulais éviter le performatif, comme c'est souvent le cas au cinéma. La seconde scène est une masturbation, très rapide. Maladroite. La troisième est une fellation et je voulais montrerla gêne de Marek qui se transforme en rire.

    C'est une photo de cette scène qui a d'ailleurs été choisie pour l'affiche. Vous avez participé à cette décision ?

    Oui. J'aime beaucoup cette photo. Elle parait presque futuriste, comme si les rapports humains dans le film avaient lieu dans le futur. Et ce qui me plaisait aussi énormément c'est que l'on voit la ville s'étendre derrière eux, par la fenêtre. Le rapport entre l'intime et le collectif était ainsi représenté à son maximum.

    Propos recueillis par Jean-Maxime Renault à Montreuil le 19 mars 2014

    Le créateur du film "Les Revenants"... n'a pas vu la série de Canal + !

    La bande-annonce du film ci-dessous :

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Commentaires
    Back to Top