AlloCiné : d'où vous est venue l'idée de ce nouveau film de morts-vivants ?
George A. Romero : Il ya quelques années, j'avais tourné le quatrième film de la saga : Land of the dead (le territoire des morts). Et même si j'étais vraiment content du résultat, je sais que de nombreux fans n'avaient pas aimé le film. J'ai voulu leur en donner pour leur argent et faire quelque chose de sans doute moins "épique", mais qui était toujours dans l'esprit de ce que je voulais montrer par rapport à une race différente de morts-vivants qui auraient évolué. Et je voulais aussi mélanger les technologies, avec la vidéo, pour faire un film moins ambitieux et plus "intime". J'ai donc eu cette idée de faire un film réalisé par un groupe d'étudiants, confrontés à l'émergence des zombies. C'est amusant parce que j'ai eu l'idée de tourner tout ceci en caméra subjective, un peu comme ça a été fait sur Redacted ou Cloverfield : je croyais vraiment être original dans mon style de mise en scène, alors que d'autres depuis s'y sont mis aussi depuis...
Mais à l'inverse de "Blair Witch", c'est vous qui tournez le film et non les protagonistes...
Je savais que leur style n'aurait sans doute pas été aussi stable et convaincant que le mien. Je voulais donner un sens théâtral au tout sans trop abuser du style visuel et donner mal au coeur au public. Quand vous regardez un film qui bouge dans tous les sens, il est facile d'avoir la nausée ! Pour moi, Le Projet Blair witch bouge vraiment trop. Cela me met mal à l'aise. Du coup, même si mon film a un goût de cinéma-vérité, je pense qu'il y repose sur une vraie mise en scène. Cela donne un film d'une qualité supérieure.
Dans tous vos films, vous trouvez toujours un moyen ingénieux de tuer vos zombies, notamment en leur faisant exploser le cerveau. D'où vous viennent ces idées ?
Si je vous dis que cela me vient sous la douche, ce n'est pas un cliché ! C'est vrai que jusqu'à présent, j'ai toujours réussi à trouver des idées nouvelles pour me débarrasser de mes zombies. Mais bon, je dois aussi avouer que je commence à arriver au bout de mon imagination. Alors si quelqu'un a des idées fraîches, qu'il me fasse signe ! Ecrivez-moi...
Tous vos films sont truffés de commentaires satiriques : comment parvenez-vous à obtenir cet équilibre unique entre l'horreur et le film politique ?
Ce n'est pas si compliqué à faire : c'est une question de volonté et d'écriture. Je suis quelqu'un à l'écoute de ce qui se passe dans le monde et qui s'intéresse vraiment au cours chaotique de notre humanité. Forcément, cela déteint sur mon écriture et cela donne des films plus intéressants que de simples explosions de gore. C'est amusant parce qu'à chaque fois que je le peux, j'invite les fans qui font aussi des films de zombies à se focaliser sur le "message", au-delà des maquillages sanglants et des effets spéciaux. Mais je crois qu'ils oublient mes conseils. La plupart de ces films ne sont que des prétextes pour un ramassis de scènes sanglantes.
Votre dernier film aborde vraiment le problème de "communication" dans notre société : parlez-nous de vos préoccupations à ce sujet...
J'aime bien me pencher sur le sujet. D'autant qu'aujourd'hui, chaque fois que l'on a une "information", il me semble qu'il s'agit surtout d'une vision de cette information et non de la véritable information. Je pense que les médias, au lieu de nous donner de l'information brute, ne cessent de l'interpréter et de la déformer. Et donc on nous donne un jugement de l'information. Ce qui est intéressant avec l'internet, c'est qu'on peut au moins recouper sous plusieurs angles la même information et donc parvenir à une certaine "vérité" sur cette information. Avec la télé, vous devez subir le message que telle ou telle chaîne veut faire passer. Mais bien sûr, il faut faire attention à ce qui se trouve sur l'internet car il y a tout de même une sacré cohorte de dingues avec des blogs de toute sorte qui racontent n'importe quoi. Si Hitler était vivant aujourd'hui, il aurait probablement son blog, très polissé et politiquement correct, afin de faire tomber encore plus de gens dans ses filets.
C'est effrayant comment on peut faire croire n'importe quoi à n'importe qui avec un beau site et de belles promesses. Et puis je trouve que l'internet, la télé et les médias en général tribalisent de plus en plus les gens en société. On assite à une segmentation de la population en centaines de petites tribus qui refusent de faire "un", de mettre en commun. De plus en plus, c'est chacun pour soi et chez soi. Cela devient vraiment dangereux et on va très vite perdre le sens de notre humanité... Donc c'est tout ce que je dénonce dans mes films. Avec évidemment un maximum de scènes gores pour vous distraire entre deux discours politiques.
Avez-vous conclu ce cinquième film avec une fin ouverte pour laisser la place à une éventuelle suite ?
C'est amusant parce que je n'ai jamais pensé à faire des suites à mes films ! Je sais que vous n'allez pas me croire mais, vraiment, à chaque fois, j'essaye d'en finir avec tous mes personnages, mes zombies... Mais bizarrement je me retrouve toujours, à part dans La Nuit des morts-vivants, à vouloir sauver un ou plusieurs protagonistes. On m'accuse de capitaliser sur une bonne idée alors que ce n'est pas du tout volontaire. Mais j'adore mon monde de zombies... Alors, tant qu'il y a de la mort, il y aura de la vie pour mes films de zombies !
Où en est votre projet "Diamond Dead" ?
Cela fait un bout de temps que j'essaye de mettre sur pieds ce film extraordinaire. A un moment j'avais Ridley Scott comme producteur et j'ai vraiment cru que ça allait se faire. Mais je travaille dans une industrie capricieuse et même après avoir fait tant de films je me rends compte que c'est toujours un petit miracle d'arrive à en tourner un autre. Ce film, Diamond dead, est un peu dans la lignée de Phantom of the Paradise de Brian De Palma et je crois que la plupart des gens de notre business n'y comprennent pas grand chose. C'est l'histoire d'un groupe de rock mort-vivant ! Mais bon, je viens de recevoir un nouveau script alors je vais à nouveau le pousser et tenter de trouver un financement. Qui sait ?
Et qu'en est-il d'une adaptation de comic, comme "Toe Tags" de chez DC Comics?
J'adore les comic-books de chez DC ou Marvel. Donc, oui, si on me propose d'adapter l'une de ces oeuvres, je serais partant ! D'ailleurs, je n'arrête pas de dire aux patrons de DC Comics de me donner un comic-book à adapter. Mais pour l'instant, rien. Et puis, de mon côté, j'essaye aussi de leur soumettre des idées qui pourraient très bien faire l'objet d'un comic-book et d'un film. Tout ceci est un travail de longue haleine et il faut que je persévère...
Propos recueillis à Los Angeles par Emmanuel Itier