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    "Le Monde de Narnia" : rencontre avec John Howe

    Designer sur la trilogie du "Seigneur des anneaux", John Howe s'est attelé à la mise en image d'un autre univers fantastique avec "Le Monde de Narnia". Petite leçon d'illustration...

    Pour tous les amateurs d'heroïc-fantasy, John Howe est une légende. Formé à l'Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, ce natif de Vancouver se découvre très tôt une passion pour les mondes fantastiques, et plus précisément la Terre du Milieu. Rapidement devenu avec Alan Lee l'illustrateur privilégié de l'oeuvre de J.R.R. Tolkien, il est approché par Peter Jackson en 1997 pour "mettre en images" sa trilogie du Seigneur des Anneaux. Quand l'aventure de l'anneau prend fin, l'artiste s'embarque pour un autre univers merveilleux, celui du Monde de Narnia, adapté du classique de C.S. Lewis par Andrew Adamson. A L'occasion de l'exposition que lui consacre jusqu'au 21 août 2005, la Galerie Arludik (12-14 Rue Saint-Louis en L'Île - 75004 PARIS), l'artiste nous en a dit un peu plus sur ce film-événement de l'hiver 2005...

    AlloCiné : Avant de parler du "Monde de Narnia", quel regard portez vous sur la trilogie du "Seigneur des anneaux" deux ans après la fin de l'aventure ?

    John Howe : Comme tous ceux qui ont travaillé sur ces films je pense, je ne vois que ce qu'il faudrait refaire... Maintenant, je crois surtout que Peter Jackson a fait quelque chose de fort avec cette saga, quelque chose qui ne sera pas "daté" de sitôt. Je crois que les films sont suffisamment en rupture avec le contexte actuel pour que la trilogie ne vieilisse pas trop vite. On verra bien à quoi ça ressemble dans dix ans, mais je ne crois pas qu'on fera un remake tout de suite... (sourire)

    Frank Miller, l'auteur de "Sin City", se déclare très méfiant vis à vis d'Hollywood, qui ne respecte jamais la vision des artistes... Après "Le Seigneur des anneaux", vous enchaînez aujourd'hui sur votre deuxième expérience cinématographique avec "Le Monde de Narnia" : j'imagine que vous avez une meilleure opinion des studios ?

    En tant qu'artiste, je crois qu'il faut accepter cette ingérence. Je ne dis pas qu'il faut accepter d'être brimé, mais je crois que c'est diffcile en tant que créateur de comprendre qu'on fait partie de quelque chose qui nous dépasse. C'est évident que ce qui transparaît à l'écran n'est jamais à 100 % ce que l'on a imaginé, mais je ne suis pas sûr que ce que l'on a imaginé rendrait mieux... Et puis c'est un travail d'équipe qui suppose un renoncement à tout contrôler. Lorsque l'on est illustrateur, on a toutes les cartes en main, on est tout seul d'un bout à l'autre... Alors que là, le dessin n'est qu'une toute petite partie du résultat final... Et puis quand on dessine, c'est beaucoup de mise en scène : la moitié du dessin est de la mise en scène. Alors que là, la mise en scène revient à quelqu'un d'autre et du coup on ne s'y reconnaît pas forcément en tant qu'artiste, même si on a dessiné tous les éléments de la scène.

    Vous êtes avec Alan Lee l'illustrateur officiel de Tolkien. Qu'est-ce qui vous a convaincu de faire des infidélités à la Terre du Milieu et de vous lancer sur Narnia ?

    Toute possibilité de créer un monde est une opportunité extraordinaire. C'est une possibilité offerte par l'édition avec des couvertures de livres par exemple, mais au cinéma c'est encore plus fort. Même si, comme je le disais, on accepte avec le cinéma d'être une petite dent parmi d'autres sur une grosse roue dentée quand on est quasiment le seul maître à bord dans l'illustration... Et puis j'aime beaucoup le travail d'équipe, et le fait de faire partie d'une équipe où rien n'est plus important que le travail : on ne sait pas qui a fait quoi, et seul compte le résultat. Le travail d'illustrateur est assez monacal, donc c'est très plaisant de sortir de ce milieu-là... Et puis ce qui m'avait plu dans Les Chroniques de Narnia, c'est cette idée que les quatre enfants sont désemparés et dépassés par un monde adulte qui est en guerre et sur lequel ils ne peuvent avoir aucun impact. Ils ont envie de régir et d'apporter ce qu'ils ont en eux pour résoudre les problèmes, mais ils ne peuvent rien faire en raison de leur âge...

    On les envoie donc à la campagne en sécurité et quand ils découvrent Narnia, ils découvrent un monde dans lequel ils peuvent agir, intervenir et changer le cours des choses. Mais ce n'est pas ça qui est important car ce n'est pas leur monde. Ce qui compte c'est qu'ils vont finir par retourner vers leur monde, sauf que ce ne sont pas les mêmes enfants qui reviennent : cette aventure va leur permettre d'être des adultes dans le monde catastrophique qu'on est en train de leur préparer... Cette histoire n'est pas seulement un conte fantasmagorique dans lequel on se rend dans un monde parallèle et on revient, mais une véritable initiation. Si cette vision ressort bien dans le film, ça peut être très joli.

    En quoi a consisté votre travail sur "Le Monde de Narnia" ?

    J'ai travaillé très en amont sur Le Monde de Narnia : chapitre 1 - le lion, la sorcière blanche et l'armoire magique, au stade du pré-concept et de la pré-production. Pour Le Seigneur des anneaux, j'avais été employé durant presque deux ans et j'ai quasiment été présent jusqu'au début du tournage... Mon travail a consisté à jeter les bases visuelles de Narnia. C'est passé par de nombreux croquis d'armes, d'armures, de créatures, de paysages... C'est comme pour Le Seigneur des anneaux, il faut tout concevoir.

    Le réalisateur Andrew Adamson souligne que l'absence de réelles descriptions dans les romans de C.S. Lewis a été une bénédiction afin de pouvoir imaginer l'univers de Narnia à votre guise... Est-ce que cela a été le cas pour vous ? Ou est-ce que cette absence de références s'avère être un obstacle, dans le sens où on peut partir dans toutes les directions ?

    Dans les romans, les références sont assez claires je crois. Quitte à en faire ce qu'on veut... On sait bien qu'un centaure c'est un torse d'homme sur un corps de cheval et pas l'inverse. Donc on ne remet pas en cause le concept du centaure mais on fait en sorte de le rendre cohérent par rapport à toutes les autres créatures. Il faut créer un monde qui fonctionne : la grande difficulté consiste à ne pas tomber dans un assemblage de choses hétéroclites, mais de faire en sorte que ça fonctionne de façon cohérente. Dès qu'on prend une créature de base, s'il faut l'armer, il faut lui donner une culture car c'est cette culture qui va définir ses armes et son armure et la façon de les fabriquer. Donc c'est par ce biais là que l'on développe un monde : finalement on crée la culture du monde par ses accessoires.

    Après, je ne sais pas trop comment ça fonctionne : les idées viennent d'envies, de certitudes un peu floues mais aussi d'indices donnés par le roman, l'Histoire de l'Art, l'Histoire tout court, de ce que C.S. Lewis avait en tête et a pu juger intéressant de mettre dans son monde... Ensuite, cette culture devient autonme et donne des indications pour la suite. Par exemple, c'est un monde sans armes à feu : Lewis ne dit jamais précisément qu'il n'y a pas d'armes à feu dans Narnia, mais une fois que le monde commence à prendre forme, on se rend compte qu'y introduire des armes à feu serait anachronique. Et ainsi de suite. C'est donc une sorte de lente construction ou chaque chose renvoie à l'autre. Après, il y a mille possibilités pour la représentation de chaque élément : il faut à la fois avoir des idées, mais aussi rester ouvert à ce qui vient. On ne cherche pas tellement à imposer une image, mais plutôt à trouver l'image qui s'impose.

    Il y a beaucoup plus d'espèces différentes à Narnia que dans la Terre du Milieu : vous avez dû créer beaucoup plus de créatures que pour "Le Seigneur des anneaux" ?

    Il y a une grande variété de créatures, effectivement. Quand on nous a donné la liste des créatures à créer pour le film, ça ressemblait plus à une sorte de dictionnaire de créatures mythologiques et de toute l'Europe, du folklore anglais notamment. C'est très riche... J'ai beaucoup aimé les centaures, les minotaures, toutes ces créatures que l'on connaît par coeur... Ce qui entraîne toujours des débats intéressants : est-ce qu'on les traite de la même façon qu'au 19e siècle, c'est à dire un torse d'homme greffé sur un corps de cheval, ou est-ce qu'on franchit le pas et qu'on se dit que c'est une créature qui pourrait exister selon des normes scientifiques ? Ce qui pose de nombreuses autres questions : qu'est ce qu'il mange ? Comment fonctionne son système digestif ? Et ainsi de suite... On en vient très vite à extrapoler, ce qui est très intéressant.

    Vos illustrations ont toujours un vrai sens du mouvement et de la mise en scène. Est-ce qu'en tant qu'artiste ce n'est pas frustrant de travailler pour le cinéma, dans la mesure où tout dessin doit être décliné sous tous les angles pour permettre sa création "physique" ?

    Au contraire, c'est un vrai plaisir pour moi... Car c'est un luxe que l'on n'a pas quand on fait du dessin. C'est un passage à l'étape suivante. Vous savez, c'est une supercherie un dessin : c'est en deux dimensions alors qu'on tente d'en montrer trois, ça ne bouge pas alors que ça tente de suggérer le mouvement, c'est figé alors que l'on souhaite annoncer un événement qui va évoluer dans le temps... Alors qu'avec le cinéma, ces trois choses sont possibles. Passer d'un dessin figé à de la 3D qui bouge, c'est donc plutôt satisfaisant. De plus, quand je fais le dessin d'un objet, je me l'imagine en entier, même si je ne le dessine pas intégralement. On oublie souvent que ce que l'on ne dessine pas est aussi important que ce qui est visible. Ca m'arrive très souvent de dessiner un objet en entier, même si je sais qu'il y aura ensuite quelque chose d'autre devant qui en cachera une partie. A la limite, c'est perdre un jour ou deux de travail, mais je crois que ce que l'on recouvre reste toujours. Même si seulement deux petits bouts dépassent, l'ensemble reste visible...

    Oui mais le cinéma suppose d'aller vers le plus de détails possibles. Or vous vous déclarez contre le "détail pathologique" et défendez le sens du "vrai détail"...

    Oui mais ça ne me pose pas de problème au cinéma car la mise en perspective du détail sera faite plus tard : on ramène tout au premier plan au stade de la pré-production, tout en sachant que les choses seront remises à leur place au moment du tournage et de la post-production. C'est un peu comme si pour une illustration on dessinait tous les éléments dans le détail pour ensuite les poser plus loin dans l'image. En deux dimensions on ne peut pas, alors que dans le cinéma il faut aller dans le détail pathologique tout en sachant que tout reprendra sa place plus tard ...

    Propos recueillis par Yoann Sardet le 27 mai 2005

    "Le Monde de Narnia" en 9 minutes

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