"Ce qui s'est passé est inimaginable" : Sergio Leone a attendu 30 ans pour pouvoir faire ce film qui ne verra pourtant jamais le jour
Olivier Pallaruelo
Olivier Pallaruelo
-Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

Prématurément décédé à 68 ans en avril 1989, Sergio Leone travaillait sur un projet qu'il caressait depuis des décennies. Un film sur le terrible siège de Léningrad durant la Seconde guerre mondiale, avec Robert de Niro en tête d'affiche.

Warner Bros.

Décédé le 30 avril 1989 à l'âge de 68 ans, Sergio Leone laissait derrière lui une empreinte indélébile dans le cinéma italien - et le cinéma tout court -, et des millions de cinéphiles orphelins.

Le cinéaste était sur le point de voir concrétiser un projet qu'il caressait depuis des années, voire des décennies : réaliser un film ayant pour toile de fond le terrible siège de Léningrad, durant la Seconde guerre mondiale. Un projet qui aurait été, on l'imagine, dantesque.

"Ce qui s'est passé est inimaginable"

Leone travailla ainsi à une adaptation du roman The 900 Days : The Siege of Leningrad, écrit par Harrison E. Salisbury et publié en 1969, qui relate l'hallucinant siège de la ville par les troupes nazies sur le front de l'Est. Un siège qui dura de 1941 à 1944 et qui fit, côté russe, environ un million de morts de faim, 350.000 soldats tués et plus de 110.000 disparus. C'est dire le terrible prix humain payé par les Soviétiques et la population civile.

"Beaucoup font une confusion avec les événements de Stalingrad. Mais ce qui s’est passé à Leningrad est étonnant. C’est l’Enfer de Dante. Toute cette ville s’est volontairement immolée. Trois millions de personnes se sont sacrifiées durant deux ans et demi pour ne pas laisser prendre leur ville. C’est inimaginable" commentait Leone, dans un des entretiens menés par Noël Simsolo, qui seront regroupés dans l'ouvrage Conversation avec Sergio Leone, republié en 2024 aux éditions Capricci.

"Ce film-là sera sur la mort"

Le récit devait être vu et raconté à travers les yeux d'un photographe américain piégé dans la ville au début des combats, et qui devait être joué par Robert de Niro, que le cinéaste dirigera dans son sublime Il était une fois en Amérique.

"Après le sourire de De Niro, à la fin d’Il était une fois en Amérique, qu’est-ce qui pouvait suivre ce rêve sur l’Amérique perdue ? … La mort. Et ce film-là sera sur la mort. Mais je n’y montrerais pas comment De Niro meurt. Nous l’apprendrons avec celle qu’il aime" racontait Leone.

Ce photographe vivait alors une passion amoureuse et clandestine avec une femme russe, tandis que les deux se battaient pour survivre à l'enfer du siège, au milieu des décombres et de la famine frappant les habitants. Le dénouement de l'histoire était funeste : le photographe était tué le jour de la libération de la ville....

ANGELI-RINDOFF / BESTIMAGE

Une fabuleuse ouverture de film

Leone s'intéressa au roman dès sa parution en 1969, peu de temps après avoir achevé son Il était une fois dans l'Ouest. S'il semble que le script de ce projet ne fut jamais terminé, Leone avait apparemment déjà une idée de l'ouverture de son film, très "leonienne", comme dans ses westerns.

Il voulait commencer par un gros plan sur les mains du compositeur russe Dmitri Chostakovitch jouant sa "symphonie n°7 pour Leningrad". Avant que la caméra n'élargisse le champ et laisse place à des civils et soldats russes armés, puis balaye une tranchée russe où se tiennent des défenseurs de la ville. La caméra se hissant alors pour aller filmer l'immense steppe enneigée à l'extérieur de la ville, où se massent des centaines de chars Panzers allemands qui se lancent à l'assaut de Leningrad.

Leone se rendit même dès 1971 en URSS pour faire des repérages, estimant que ce film ne pouvait être tourné ailleurs qu'à Leningrad même. Mais les autorités soviétiques d'alors - on était en pleine Guerre Froide - étaient inflexibles sur leur refus.

Il est d'ailleurs intéressant de noter qu'il a fallu attendre la période de Glasnost (ou dégel) lancé par Gorbatchev pour que les autorités soviétiques s'assouplissent : Il était une fois en Amérique fut en effet le tout premier film du cinéaste à être projeté en URSS.

Leone dut attendre 1989 pour réunir enfin la somme très élevée (100 millions de dollars) nécessaire au tournage du film, tandis que l'oeuvre devait être une coproduction américano-soviétique. Mais Leone mourut d'une crise cardiaque à 68 ans, deux jours avant de signer le deal devant lui permettre de réaliser enfin ce vieux rêve de film. Quel signe tragique du destin...

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