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    Mort à 43 ans dans des circonstances étranges et largement oublié aujourd'hui, cet homme a pourtant révolutionné le cinéma
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Considéré comme le père du western, Thomas H. Ince a révolutionné le processus de production d'un film tel que nous le connaissons aujourd'hui. Il avait un brillant avenir devant lui. Qui s'est pourtant brutalement achevé en 1924...

    Wikimedia Commons

    Né en novembre 1882 et issu d'une famille d'acteurs de théâtre, Thomas H. Ince est une figure largement oubliée de nos jours. Il est pourtant considéré comme le père des westerns. Producteur, scénariste, réalisateur, c'est l'un des pionniers du cinéma américain, auteur de plus de 600 films. Il a également introduit, à Hollywood, la fabrication de films en série, une grande nouveauté pour l'époque. Il fut aussi à la base de la dramaturgie du cinéma, créant le découpage en scènes et le montage.

    Il révolutionna le processus de production d'un film tel que nous le connaissons aujourd'hui. Changeant la méthode de planification de ses films, il utilisa des scénarios très détaillés, qui contenaient toutes les informations utiles au tournage : qui est dans la scène, où figurent les détails type intérieur et / ou extérieur; les plans de contrôle des coûts, optimisation du calendrier de tournage afin que plusieurs scènes soient tournées simultanément par les assistants réalisateurs...

    Il a notamment créé avec D.W. Griffith et Mack Sennett la Triangle Motion Picture Company, et a construit ses propres studios à Culver City près de Los Angeles, qui deviendront plus tard le siège de la Metro-Goldwyn-Mayer.

    Thomas H. Ince en 1920 Wikimedia Commons
    Thomas H. Ince en 1920

    Croisière pour un cadavre

    Thomas H. Ince avait un avenir brillant devant lui. Qui s'est pourtant brutalement achevé en 1924. A ce moment là, Ince était en pleine négociation avec William Randolph Hearst. Ce dernier avait en effet créé la Cosmopolitan Pictures, et caressait alors l'espoir d'installer la Cosmopolitan au sein du studio de Culver City fondé par Ince.

    Le 15 novembre 1924, le Yacht du magnat de la Presse Randolph Hearst, l'Oneida, ainsi qu'une quinzaine d'autre personnes, dont Charles Chaplin, part pour une croisière à destination de San Diego. Thomas Ince rate l'embarquement, car il doit assister à la première de sa nouvelle production, The Mirage. Il ne monte à bord que le lendemain.

    Trois jours après, on débarque Thomas Ince, qui décède le 19 novembre. La version officielle est "crise cardiaque dûe à une indigestion". En somme, il aurait un peu trop profité des largesses alimentaires de son hôte. Cruelle ironie lorsque l'on sait que Thomas Ince était l'invité d'honneur de cette folle croisière, pour son quarante-troisième anniversaire...

    L'ennui, c'est que des témoins, dont le propre secrétaire de Chaplin, Toraichi Kono, virent un impact de balle sur la tête de Ince au moment où il fut débarqué de l'Oneida...

    Une liaison secrète au coeur du drame

    La rumeur veut que la maîtresse de Randolph Hearst, l'actrice Marion Davies, entretenait une liaison avec Charles Chaplin. Jaloux et extrêmement suspicieux des attentions que la gente masculine pouvait avoir à l'égard de sa maîtresse, Hearst avait décidé d'inviter Chaplin pour qu'il puisse observer son comportement.

    Hearst les aurait finalement surpris en flagrant délit sur le pont inférieur de son Yacht un soir après le dîner. Il se serait alors emparé d'un revolver pour tirer sur Chaplin. Les cris de Davies dans la dispute qui s'ensuivit auraient alertés Thomas Ince, qui se serait précipité hors de sa cabine, récoltant au passage la balle fatale qui ne lui était pas destinée en tentant de s'interposer.

    Bien entendu, les récits divergent en fonction des protagonistes. Chaplin affirme par exemple dans son autobiographie qu'il ne se trouvait pas sur le Yacht de Hearst lorsque le drame survint. Davies, elle, nia catégoriquement que Chaplin se trouvait à bord.

    D'autres versions accréditent l'idée que Hearst aurait confondu Chaplin avec Thomas Ince dans le noir, tandis que la nuit enveloppait le navire. Une troisième version fait état d'une dispute entre personnes non identifiées sur le pont du bateau, jusqu'à ce qu'un coup de feu parte et n'arrive malencontreusement dans la cabine de Thomas Ince, le touchant mortellement. Une hypothèse totalement invraisemblable, qui a en outre le "mérite" de ne mouiller personne dans l'affaire.

    William Randolph Hearst Capture d'écran YouTube
    William Randolph Hearst

    "Tout est louche dans cette affaire, mais Hearst est intouchable"

    Quoi qu'il en soit, aucune enquête officielle n'a été menée sur la mort de Thomas Ince. Les recherches prirent fin avant que le moindre passager du Yacht ait été interrogé. Le procureur de San Diego, un certain Chester Kemply, classa l'affaire.

    "J'ai ouvert une enquête suite à de nombreuses rumeurs rapportées dans mon service au sujet de cette affaire, et les ai examinées jusqu'à ce jour dans le but de m'en débarrasser définitivement. Cette histoire de beuverie à bord d'un Yacht ne sera pas approfondie [...]" déclara-t-il. Et d'ajouter : "après avoir interrogé le médecin et l'infirmière qui se trouvaient auprès de Mr Ince, je suis convaincu que les causes de son décès sont naturelles". Avec un trou béant dans le crâne, donc...

    Les obsèques de Thomas Ince eurent lieu à Hollywood le 21 novembre en présence de sa famille, de Marion Davies, Charles Chaplin, Mary Pickford, Douglas Fairbanks et Harold Lloyd. William Randolph Hearst, lui, brilla par son absence...

    Le corps de Ince fut immédiatement incinéré à la demande de sa veuve, empêchant de facto toute investigation ultérieure sur le corps de son défunt mari. Le cinéaste D.W. Griffith résuma ainsi l'affaire quelques temps après : "Tout ce que vous avez à faire pour voir Hearst blêmir est de mentionner le nom de Ince. Tout est louche dans cette affaire, mais Hearst est intouchable". Et il avait raison.

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