Acteur puis réalisateur largement oublié aujourd'hui, Ralph Nelson fut pourtant un cinéaste éclectique, signant quelques oeuvres mémorables, qui méritent largement le détour. Son Lys des champs par exemple, sorti en 1963, a permis à Sidney Poitier, qui avait accepté de baisser son salaire pour tourner le film, de remporter l'Oscar du Meilleur acteur.
En 1968, il portait à l'écran le brillant et bouleversant roman SF de Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon, sous le titre Charly. La performance de Cliff Robertson, qui campe le personnage principal, est saluée par l'Oscar du Meilleur acteur.
Le thème du racisme n'a jamais cessé d'irriguer la filmographie de Nelson. En 1975, son Vent de la violence est l'un des premiers films à évoquer le drame de l'Apartheid en Afrique du Sud. Cinq ans plus tôt, il signait une oeuvre que l'on peut considérer comme l'acmé de sa carrière de réalisateur. Un western choc : Soldat bleu.
L'histoire ? Une colonne de l’armée américaine escortant un important convoi de fonds est attaquée par des Cheyennes. Seuls survivent un jeune soldat fraîchement incorporé, et une jeune femme jadis enlevée par les Cheyennes. Ils vont tous deux devoir rejoindre le fort le plus proche, situé à plusieurs jours de marche... Informée, la cavalerie américaine décide d’intervenir. Le départ est donné pour Sand Creek, un paisible campement Cheyenne …
Un "Western Viêtnam"
Tout comme le faisait Little Big Man en 1970, qui dépeint entre autre un Général Custer très loin de l'image populaire qu'il a laissé, Le soldat bleu fait parti de ces films, surtout réalisés à partir des années 1960 (à quelques exceptions près), qui prennent largement à rebours le glorieux mythe de la conquête de l'Ouest, qui donnait le plus souvent le mauvais rôles aux populations indiennes. Ici, les vrais ennemis, ce sont les blancs.
Mais le western de Ralph Nelson va plus loin que celui d'Arthur Penn, en ce que le sujet même du film est l'un des pires crimes perpétrés par l'armée américaine. Le massacre de Sand Creek, dans l'Etat du Colorado, le 29 novembre 1864, par 800 hommes appartenant aux 1er et 3e régiments de cavalerie du Colorado, ainsi qu'une compagnie du 1er régiment de volontaires du Nouveau-Mexique, sur des Cheyennes.
Sous les ordres du colonel John Chivington, appelé colonel Iverson dans le film, les soldats assassinèrent beaucoup de femmes, d’enfants et de vieillards, prirent une centaine de scalps et commirent de nombreux viols et mutilations, y compris sur des organes génitaux que les soldats porteront comme des trophées.
Un massacre qui sera qualifié ainsi par un juge de l'armée, plus tard, lors d'une commission d'enquête : "une lâche boucherie exécutée avec sang-froid, suffisamment pour couvrir ses auteurs de l'indélébile infamie, et de honte et d'indignation le visage de chaque américain".
Le film de Ralph Nelson appartient à ce que Thomas Schatz, professeur de communication à l'Université d'Austin au Texas, a appelé les "Western Viêtnam". Soldat bleu s'inscrit comme un manifeste contre cette guerre. En 1970, Richard Nixon ordonnait le bombardement de la zone frontière du Viêtnam avec le Cambodge, pays pourtant neutre, ce qui se traduisit par une escalade du conflit.
1971, c'est aussi l'année où le lieutenant William Calley, responsable du massacre de My Lai survenu en mars 1968, qui fit entre 350 et 500 morts civils, fut condamné à la prison à vie pour meurtre prémédité; avant que sa peine ne soit commuée sur intervention de Nixon en assignation à résidence. Cette affaire, l'une des plus tristement célèbres dans l'Histoire de cette guerre, a largement contribué à la montée en puissance des mouvements pacifistes aux Etats-Unis.
Un film menacé de classement X
Le massacre en question dans Soldat bleu intervient au terme d'une très brutale rupture de ton dans le film, assez déconcertante, même si toute l'oeuvre tend vers cette ultime tragédie. Le résultat à l'écran est d'une violence tétanisante.
La production fit même venir depuis Mexico City de véritables amputés pour tourner cette séquence choc. En fait, sa violence fut telle que la scène fut raccourcie de près de vingt minutes, pour éviter un infâmant classement X aux Etats-Unis.
Soldat bleu fut un gros échec au box office à sa sortie sur le territoire américain. "Ce film était un miroir de la vie et les américains ne le supportaient pas" dira son actrice principale, Candice Bergen, attachée à défendre la cause des indiens.
Une oeuvre singulière encore bien trop méconnue, qui mérite une sérieuse (re)découverte. Il vient d'ailleurs d'être récemment édité dans une très belle copie 4K, mais il est aussi disponible en VOD.