Fin du XIXème, Joseph Bouvier est révoqué de l'armée à cause de ses excès de violence. Suite à ce renvoi, l'homme s'attaque à sa fiancée et tente de se suicider, en vain. Après un séjour en hôpital psychiatrique, Joseph ressort de cet endroit encore plus enragé et décide de se venger sur toutes les personnes qui croiseront son chemin en Ardèche.
Non loin de là, le juge Rousseau, passionné par l'affaire, prend part à l'investigation et se met sur les traces de Bouvier. Bien décidé à le mettre sous les verrous, c'est le début d'une chasse à l'homme...
Un an après Que la fête commence, Bertrand Tavernier et son acteur fétiche Philippe Noiret collaborent pour la troisième fois sur Le Juge et l'assassin, autour d'un récit tiré d'un terrible fait divers qui défraya la chronique judiciaire et divisa l’opinion à la fin du XIXe siècle.
Filmant les grands espaces de la région montagneuse du cadre de l'intrigue comme un hommage aux maîtres américains qu'il admire, John Ford en tête, Tavernier met admirablement en scène la confrontation entre deux hommes que tout oppose.
L'un (Philippe Noiret), juge, bourgeois, symbole absolu de la Justice et surtout de l'ordre social, qui craint par-dessus tout les feux anarchistes. L'autre (Michel Galabru), auto-proclamé "anarchiste de Dieu", un déviant qu'il faut éliminer pour préserver à tout prix cet ordre social, fut-il mesquin et étriqué.
Si Noiret est, une fois encore, sensationnel dans son rôle, c'est pourtant vers Michel Galabru que les regards se tournent. A des années lumières de ses rôles antérieurs comiques, Galabru livre une extraordinaire composition sous les traits de Bouvier, un personnage à la fois atroce, magnifique et touchant jusque dans sa folie.
Une composition d'autant plus admirable que, pour la première fois de sa carrière, le comédien interprète un premier rôle dramatique. L'Académie des César ne s'y est d'ailleurs pas trompée en lui décernant en 1977 la statuette du Meilleur acteur.
"Les financiers se sont retirés parce qu'ils ne le croyaient pas taillé pour ça"
Et pourtant, imposer cet immense acteur fut un chemin de croix pour le cinéaste. Déjà auprès des financiers, comme il le rappelle dans Mémoires interrompus, récemment publié chez l'éditeur Acte Sud. "J'ai dû me battre pour l'imposer, des financiers se sont rétractés parce qu'ils ne le croyaient pas taillé pour ça, mais j'avais pensé à lui dès les prémices du projet" raconte-t-il. Ajoutant : "derrière le nez rouge du clown, derrière les films indignes de lui où il s'arrangeait malgré tout pour être formidable, voilà longtemps que je sentais bouillonner le génie d'un Raimu".
Galabru, lui, était terrifié par ce saut dans l'inconnu pour ce rôle de tueur en série itinérant dans la France du XIXe siècle. Un rôle si éloigné de son registre habituel. "Je ne m'en sentais pas capable, mais à force de persuasion, d'amitié et de sincérité, Bertrand est parvenu à me convaincre. Je crois que je n'ai jamais autant aimé mon métier qu'en sa compagnie".
"Ton assassin reconnaissant"
Un merveilleux compliment et hommage pour tout dire. Et Bertrand Tavernier de rappeler dans ses mémoires cette touchante anecdote.
"Il y avait entre Noiret et lui un accord extraordinaire. Ils s’écoutaient, s’épaulaient l’un l’autre. Parce qu’ils s’admiraient. [...] Galabru lui avait téléphoné avant le début du tournage pour lui demander “comment on faisait pour jouer dans un bon film” (!) et Philippe lui avait répondu que c’était très facile : “Il n’y a qu’à se laisser guider". Michel Galabru remportera le César, ce qui sera justice, et il signera toutes les lettres qu’il m’envoie : “Ton assassin reconnaissant”.
Une des grandes satisfactions de Tavernier concernant le destin de son film, fut de savoir qu'il a été ardemment soutenu par Pierre Truche, un très fameux magistrat dont le nom restera attaché au procès de Klaus Barbie; c'est lui qui avait suivi toute l'instruction en tant que procureur général. "Il considère que Le Juge et l’Assassin est le film le plus juste jamais tourné sur le juge d’instruction, son rôle, ses rapports avec sa hiérarchie, avec le Pouvoir, mais aussi les risques que sa subjectivité l’amène à constituer un dossier essentiellement à charge".
Le magistrat forma d'ailleurs une commission, après avoir vu le film, pour proposer des réformes. Tavernier ajoute : "c’est lui qui autorisera qu’on filme le travail de ces juges, ce qui donnera lieu aux extraordinaires documentaires de Raymond Depardon". Quand la fiction inspire le réel, dans ce qu'elle a de meilleur.
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