Dès la fin de la présentation d'Anora, en Compétition, au dernier Festival de Cannes, les échos étaient unanimes ou presque : malgré ses nombreuses qualités, le nouveau long métrage de Sean Baker n'était peut-être pas une Palme d'Or en puissance, mais il possédait un atout flamboyant en la personne de Mikey Madison, vite devenue la favorite pour le Prix d'Interprétation Féminine, aux côtés de Zoe Saldana et Karla Sofia Gascon.
Quelques jours plus tard, ce sont bien les actrices d'Emilia Perez qui ont triomphé dans cette catégorie, pendant qu'Anora décrochait le Graal, faisant de Sean Baker le premier réalisateur américain palmé depuis Terrence Malick et The Tree of Life en 2011. Un prix remis pour l'ensemble du film, mais qui doit beaucoup à son actrice principale, qui fêtait ses 25 ans le jour du palmarès.
Jusqu'au bout, Mikey Madison aura vécu un premier voyage en France plus que mémorable, elle qui se révèle bien plus timide en interview que sur petit et grand écran : "J'ai souvent l'impression de jouer des personnages très différents de ce que je suis", nous disait-elle sur la Croisette. "Mais Anora est la plus éloignée de moi parmi ceux que j'ai joués. Rien qu'en termes de physique et de voix, c'est vraiment très différent."
"Sa sensibilité et la façon dont elle se présente au monde diffèrent de tout ce que j'ai pu faire. J'ai eu l'impression de me pousser constamment hors de toutes les zones de confort que je pouvais avoir auparavant pour incarner ce personnage. Chaque jour, j'avais le sentiment de me mettre au défi d'une manière ou d'une autre pour être fidèle personnage, mais c'est aussi ce qui était excitant."
Si vous faites partie des spectateurs qui l'ont découverte grâce à sa prestation totale dans la Palme d'Or 2024, voici les trois autres rôles marquants de la carrière de Mikey Madison. Ceux qui l'ont menée vers Anora.
Better Things (2016 - 2022)
Vue récemment aux côtés de Natalie Portman dans La Voix du lac, diffusée cet été sur Apple TV+, Mikey Madison a fait ses débuts sur petit écran. À l'âge de 17 ans, dans la série Better Things où elle incarne la fille aînée de Sam, mère de famille divorcée dont le quotidien consiste à jongler entre un métier d'actrice difficile, ses trois enfants qu'elle élève seule et sa vie sentimentale chaotique.
Présente dans les 52 épisodes du show, répartis sur 5 saisons, Mikey Madison est certes moins en vue que la tornade Pamela Adlon, actrice principale, créatrice, scénariste et réalisatrice. Mais elle parvient toutefois à tirer son épingle du jeu dans le rôle de Max, prise entre la fin de l'adolescence et la découverte du monde adulte (lorsqu'elle doit subir un avortement pendant l'ultime saison, et le raconte à sa mère le temps d'un échange déchirant).
Outre le talent de son interprète, le public peut déjà apercevoir des éléments que l'on retrouvera chez Anora, dans ce personnage intelligent et rebelle, qui parvient à s'attirer des ennuis avec une régularité qui force l'admiration. Une jeune femme aux émotions changeantes dont la tendresse envers ses soeurs, peu évidente au premier abord, finit par se révéler. Grâce à l'écriture fine de Pamela Adlon et le jeu de Mikey Madison, qui s'offre un détour mémorable par le grand écran entre deux saisons.
Once Upon a Time... in Hollywood (2019)
Évidemment, tout le monde n'avait d'yeux que pour le trio Leonardo DiCaprio - Brad Pitt - Margot Robbie. Voire Al Pacino, Kurt Russell, Michael Madsen ou le regretté Luke Perry. Sans oublier le réalisateur star Quentin Tarantino, venu faire revivre l'époque de son enfance le temps d'un long métrage. Qui, vu d'aujourd'hui, montre à quel point le papa de Pulp Fiction n'avait rien perdu de ses qualités en matière de casting, surtout en ce qui concerne les membres de la Famille de Charles Manson.
À l'époque, Dakota Fanning fait presque office de star parmi ses partenaires, alors que la série The Leftovers a permis de faire connaître Margaret Qualley. Mais revoir le film aujourd'hui permet de constater qu'elles étaient entourées par Sydney Sweeney, Austin Butler et Mikey Madison. Et les deux derniers ont à la fois marqué les esprits par l'angoisse qu'ils font régner au début, puis le sort funeste que leur réservent les deux personnages principaux.
Réécrivant à sa sauce le massacre de Sharon Tate par la Famille de Charles Manson, en lui donnant une issue plus positive pour celle qui était alors enceinte de Roman Polanski, Quentin Tarantino nous offre un final ultra-violent dans lequel Susan Atkins (Mikey Madison) est défigurée par une conserve de pâtée pour chien lancée à bout portant par Cliff Booth (Brad Pitt), puis mordue par l'animal de compagnie de ce dernier, avant de traverser une vitre et tomber dans la piscine de Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), qui l'achève au lance-flammes. Une mort plus cinématographique que celle de la vraie tueuse, morte d'une tumeur au cerveau en prison, en septembre 2009.
Pour celles et ceux qui l'avaient découverte en train de hurler sur sa mère dès sa première apparition de Better Things, la voir crier aussi bien (et fort) devant la caméra de Quentin Tarantino n'est pas une surprise. Pour les autres, Mikey Madison commençait à se faire une place dans leurs souvenirs de spectateurs, en prenant le terme "flamboyant" très au pied de la lettre.
Scream (2022)
Si vous avez vu Scream (le cinquième, pas le premier), vous savez. Sinon, il ne vous reste quelques signes pour quitter ce segment. Voilà, vous devez être partis là. Ou alors vous êtes au courant que Mikey Madison est l'un des tueurs qui se cache sous le masque de Ghostface dans le long métrage réalisé par Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett : Amber Freeman, dont les parents ont acheté l'ancienne maison de Stu Macher (Matthew Lillard), complice de Billy Loomis (Skeet Ulrich) dans l'opus originel de Wes Craven.
Ce qui l'a sans doute aidée à devenir une mordue de Stab, la saga de films d'horreur inspirée des mésaventures de Sidney Prescott (Neve Campbell). Pour le meilleur et, surtout, le pire, car son immense déception face à l'épisode 8 (toute ressemblance avec une autre franchise existante, tout ça, tout ça) l'a conduite à imaginer une nouvelle série de meurtres, avec l'aide de Richie Kirsch (Jack Quaid), pour qu'ils servent de base à un long métrage plus conforme à ses désirs de fan toxique.
Responsable, entre autres, de la mort de Dewey Riley (David Arquette), elle affronte Sidney et Gale Weathers (Courteney Cox) dans la cuisine de la maison où se déroule le final. D'abord aspergée de gel hydroalcoolique (détail qui aura son importance), elle tente de faire croire qu'elle n'est pas responsable mais se fait tirer dessus près des plaques qu'elle a malencontreusement allumées et prend feu lorsque son visage s'approche des flammes, dans un remake inattendu du dénouement de Once Upon a Time... in Hollywood.
Où elle fait de nouveau admirer son art du cri et de la vocalise, et confirme un peu plus son statut d'espoir flamboyant du cinéma américain. Avant qu'elle n'enfonce le clou, sous les projecteurs du Festival de Cannes et dans presque tous les plans du film, grâce à Anora. Sans mourir ni prendre feu cette fois-ci, mais en incendiant l'écran avec une performance qui pourrait la mener jusqu'aux Oscars. Raison de plus pour se plonger davantage dans sa filmographie avant le mois de mars, alors que Scream est le film qui a convaincu Sean Baker qu'elle était l'actrice de son prochain film.
"Elle possédait cette énergie juvénile et cette folie et, comme il fallait que le personnage soit une combattante, il fallait qu'elle ait cette physicalité. Et ce petit côté psychopathe aussi", nous disait le réalisateur en riant avant de la couvrir d'éloges... et d'exprimer un regret : "Elle a largement dépassé mes attentes et je pense qu'elle a une très belle carrière devant elle. Mais je ne pourrai plus jamais travailler avec elle, car elle coûtera trop cher désormais (rires)"
Propos d'interview recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 22 mai 2024