Qu’avez-vous pensé de la série Netflix ?
Karim Madani : Je trouve ça pas mal, même très bien. On est vraiment dans l'esprit de Narcos. Mais il y a un truc qui n'est pas crédible pour moi, c'est l'aspect physique de Griselda Blanco. Quand elle arrive à Miami, elle est quand même passablement abîmée. Elle a grossi, elle prend des médicaments. Elle est tout sauf une bombe latine telle qu'on la voit dans la série Netflix. Ça aurait été intéressant de faire autrement, de jouer sur la transformation physique de Griselda.
Elle était très belle à Medellin et quand elle arrive à New York dans la vingtaine. Mais quand elle arrive à Miami, c'est déjà une femme qui souffre de surcharge pondérale.
On la présente comme la mentor de Pablo Escobar, et pourtant elle n'est pas vraiment rentrée dans la culture populaire comme lui. Comment ça se fait ?
On a pas mal glorifié les figures un peu masculines. Je pense que c'est une question de patriarcat aussi, de culture un peu macho autour des criminels. Et après par ricochet, je pense que même les gens qui ont travaillé sur la question de manière inconsciente ont préféré se focaliser sur des figures masculines alors qu'elle reste quand même une des figures du crime organisé les plus marquantes du XXᵉ siècle. Donc c'est vrai qu'il y a une énorme injustice à ce niveau-là.
Et ce que la série ne montre pas et que j'ai découvert grâce à votre livre, c'est que c'est une femme qui a grandi dans la violence au milieu des corps depuis son enfance.
Complètement. En fait, pour comprendre vraiment le personnage Griselda - et sans l'excuser - il faut se dire qu'elle a grandi en Colombie à une époque qui s'appelle la Violencia. C'était une époque de guerre civile. Il y avait des morts tous les jours et les gamins jouaient vraiment littéralement au milieu de cadavres. Et elle a grandi comme ça, dans la rue, autour de cadavres et de morts violentes.
Son premier meurtre, elle le commettra à quel âge ?
A douze ans, à la suite d'un kidnapping qui a mal tourné. Elle et ses amis se sont trompés. Ils ont kidnappé un gamin qui n'était pas issu d'une famille riche et du coup ils ont préféré l'éliminer pour éviter des problèmes. C'est une gamine qui a grandi dans des foyers dysfonctionnels, qui a subi des violences sexuelles, dont la mère elle-même a subi des violences sexuelles et des violences physiques. Donc c'est quand même un cocktail explosif. A moins d'un miracle, elle n'allait pas devenir Mère Thérésa.
Et à ce moment-là, quel trait de caractère on peut lui donner ?
Elle est très cynique et surtout, je pense qu'elle voue une espèce de haine contre les pauvres, du fait qu'elle a vécu dans un bidonville. Elle veut absolument sortir de sa condition de pauvre pour devenir justement l'une des femmes les plus riches au monde. Et je pense qu'il y a une haine à la fois contre la société, une haine des riches, et aussi une haine des hommes. C'est fortement enraciné dans son histoire personnelle.
Lorsqu’elle quitte son pays, est-ce qu’elle a pour objectif de devenir une baronne de la drogue où est-ce que ça s’est fait progressivement ?
Ça se fait progressivement. Elle apprend sur le tas avec son premier mari qui trafique de la marijuana. Disons que le business de la marijuana commence tranquillement en Colombie. Ce n'est pas une drogue que les Colombiens consomment. Pas quelque chose qu'ils voient comme un moyen de gagner de l'argent ou de faire du commerce avec.
Mais ils s'aperçoivent que les Américains, notamment des hippies, viennent sur la plage pour récupérer des balles de marijuana. Et c'est comme ça que Griselda découvre ce trafic très juteux. Et petit à petit, elle découvre avec son deuxième mari, la cocaïne. Elle apprend le métier de trafiquant de drogue assez rapidement sur le tas.
C'est vrai qu'elle est quand même très intelligente, même si elle n'a pas été à l'école. Le marketing, elle sait s'y faire.
Le fait d'avoir mis sur pied une boutique de sous-vêtements pour commencer à faire circuler des mules entre Bogota et New York, c'est vrai que c'est un coup de génie. On peut dire que c'est la femme qui a inventé le principe de la mule. Ca n'existait pas avant elle. Personne ne prenait l'avion avec de la cocaïne dans son soutien gorge.
Elle a aussi inventé les exécutions par moto. Elle développe cette méthode d'exécution parce qu'elle s'aperçoit qu'à Medellin, les rues sont très très embouteillées, et qu'une moto peut rapidement s'enfuir. Et c'est elle qui invente cette méthode qui va être après utilisée par Escobar pendant toute son règne et beaucoup aussi à Miami pendant la période des cocaïne cowboys.
Et à partir de quel moment est-elle dans le viseur de la DEA ou de la police aux États-Unis ?
Elle va mettre un certain temps quand même. Faut savoir que quand Griselda Blanco commence le trafic de cocaïne dans les années 70, la DEA n’en est qu’à ses balbutiements. On est loin des passeports biométriques, rien n'est informatisé, les gens peuvent entrer sur le territoire américain avec des faux passeports. Donc elle profite de ça. Et après, à force d'arrêter des mules à l'aéroport de New York, il y a des informations qui remontent comme quoi il y a de la cocaïne qui rentre aux États-Unis. La DEA se dit qu'il y a un truc avec la Colombie.
Dans la série, on la présente comme une femme qui est prête à tout pour ses enfants. Est ce que c'était vraiment le cas ?
C'est une femme qui était vraiment prête à tout pour ses gamins. Ou plutôt, ce sont surtout eux qui l'ont plus soutenue que l'inverse. Ils étaient là quand elle faisait des overdoses, quand elle était à ramasser à la petite cuillère.
La série la montre comme une fumeuse de crack ? Est-ce que c'était aussi le cas ?
C'était une grande consommatrice de crack. D'ailleurs, c'est pour ça que la série n’est pas réaliste. Tout le monde sait que le crack provoque des dégâts corporels et physiques très rapides. On ne prend pas de crack pendant six mois sans changer d'apparence physique, c'est impossible. Ça te transforme rapidement en zombie. Elle prenait aussi un cocktail d'antidépresseurs et d'anxiolytiques. Elle était aussi torturée intérieurement par tout ce qu'elle avait fait et tout ce qu'elle avait vu.
La série Netflix laisse sous-entendre que Griselda était bisexuelle.
Oui. C'est une chose très importante pour elle. C'est une femme qui a eu des amants et des amantes toute sa vie. Ça ne l'empêchait pas de se faire respecter dans le milieu.
La série ne va pas jusqu’à sa mort. Après plusieurs années en prison, elle retourne à Medellin, où elle vit une vie plus tranquille.
Elle se fait arrêter pour la première fois en 1984 et elle va être expulsée en 2007. Elle est assassinée en Colombie en 2012. En Floride, elle était sous le coup de la peine de mort pour meurtre. Mais elle va y échapper parce qu'il y a eu des scandales au bureau du procureur, avec son homme de main.
Elle vit ensuite cinq années dans l’ombre à Medellin avant de mourir.
Ouais, complètement. D'ailleurs, on se demande comment elle n'a pas été assassinée avant. Parce qu'elle avait plein d’ennemis. Elle se fait assassiner alors qu'elle est avec sa belle-sœur, elle sortait de la boucherie. Elle se fait assassiner par des tueurs à moto. Le même procédé qu'elle avait inventé. Elle a probablement été tuée par vengeance familiale par rapport à des gens qu'elle avait exécutés avant et dont les gamins ont grandi. A la base, elle faisait partie du cartel de Medellin. Mais elle s'est embrouillée avec Pablo Escobar et le Cartel s'est retourné contre elle parce qu'elle avait tué la nièce des Ochoa.
Karim Madani est l’auteur de Griselda Blanco, l’incroyable histoire de la reine de la cocaïne (Hachette).