Sorti chez nous en septembre 1989, Abyss est un film qui a fait date d'un point de vue technique. Mais dont le tournage s'est rapidement transformé en enfer pour l'équipe technique et les acteurs. Un chemin de croix collectif en large partie provoqué par James Cameron lui-même, obsédé à l'idée de rendre Abyss le plus réaliste possible.
Abyss : James Cameron a failli mourir sur le tournage, et c'est un coup de poing qui lui a sauvé la vieTout à la fois film catastrophe s'inscrivant dans une époque où souffle encore un vent de fin de Guerre froide, thriller claustrophobique, film de Science-Fiction mâtiné d'un zeste d'épouvante mais aussi bouleversante histoire d'amour faisant écho à la situation personnelle du cinéaste qui était alors en plein divorce, Abyss est révélateur de ce qui est sans doute la première force du cinéaste : sa capacité à raconter des histoires humanistes dans un cadre fantastique. Le tout enrobé d'une incontestable maestria technique et visuelle confinant régulièrement au tour de force.
Si le film fut très injustement sanctionné par un douloureux échec au Box Office mondial, le temps a heureusement fait son oeuvre, hissant le film de Cameron, récompensé par l'Oscar des Meilleurs effets visuels, au rang de classique.
Rat de laboratoire
Parmi les séquences qui ont impressionné pour l'époque figure celle, située dans le dernier tiers du film, où Ed Harris est contraint de s'aventurer au plus profond de la fosse des Caïmans. Mais avant cela, on injecte un liquide dans son scaphandre, qui lui permettra de respirer.
C'est le Navy Seal Monk (Adam Nelson) qui fait d'abord une démonstration en immergeant le rat d'Alan "Hippy" Carnes (Todd Graff) dans le liquide. Ce dernier est logiquement affolé à l'idée que son malheureux animal de compagnie meurt noyé. Un liquide remplissant les poumons pour respirer ? Impossible.
La séquence en question...
L'essai a bien été fait sur l'animal, qui a respiré grâce à ce liquide qui porte un nom : le perfluorocarbure. "L'idée était de voir si le rat pouvait survivre" commentait d'ailleurs Van Ling, le fameux assistant de James Cameron, dans une interview du Los Angeles Times en 1989.
"Soyez donc assuré que nous n'avons pas consacré autant de temps et d'efforts à consulter nombre d'experts, dépensé 400 $ dans un bidon de véritable perfluorocarbure pour tuer cette pauvre bête. Nous avons tourné cette scène sous la supervision des experts sur le sujet, de l'Université de Duke. Le rat a vraiment survécu".
On comprend quand même l'angoisse et la crise de panique qui étreint Ed Harris dans la séquence où le liquide envahit son scaphandre. Il a beau s'entendre dire de se relaxer au maximum, il a logiquement les réflexes de quelqu'un qui est en train de se noyer...
L'idée de la création d'un tel liquide remonte bien avant le film. La première étude d'instillation d'un liquide salin dans des poumons de chien remonte à la Première Guerre mondiale; cela était envisagé comme traitement possible des effets des gaz de combat.
Mais ce n'est qu'en 1962 que l'équipe du docteur en physiologie Johannes Kylstra a été capable de faire respirer des mammifères avec un liquide salin, mais sous très haute pression, équivalente à 1,6 km sous le niveau de la mer. Aussi, ces travaux ciblaient la plongée en eau profonde comme application possible pour secourir les sous-mariniers.
C'est le plongeur professionnel Frank Falejczyk qui testa pour la première fois le fluide respiratoire de perfluorocarbure. S'il attrapa une pneumonie peu après le test, il fut bien capable de respirer à l'aide du liquide. Le concept était donc valide.
À 17 ans, dans son lycée, James Cameron assista à une conférence donnée par Frank Falejczyk. Cameron en est sorti émerveillé; de quoi lui donner quelques idées qu'il griffonne dans un coin, et qui donneront, bien des années après, son film Abyss.
"J'ai pris des leçons de plongée, puis j’ai écrit l’histoire de savants d’une base sous-marine qui explorent la fosse des Caïmans, dans la mer des Caraïbes, grâce à ce liquide respirable, et y découvrent une civilisation cachée" dira-t-il des années plus tard.
En 1987, peu avant de faire le film, Cameron le sollicitera comme consultant pour la préparation de cette séquence. Falejczyk lui donnera toute ses recherches sur le sujet, et lui expliquera comment procéder avec le rat. Le perfectionnisme et l'obsession du réalisme de Cameron, encore et toujours. Pour le meilleur.