De quoi ça parle ?
Après une traversée du désert dans sa carrière de comédien, Yazid voit enfin se profiler le bout du tunnel. Sobre depuis six mois, il veut montrer à sa nouvelle fiancée et à Hassan, son fils de 16 ans, qu'il est maintenant un autre homme qui a repris goût à la vie. Mais en quelques jours, les vieux démons resurgissent et avec eux les souvenirs de son enfance en Algérie.
C'est un cinéma qui laisse rarement indifférent, et en tout cas qui créé une attente forte : les films d'Abdellatif Kechiche. Après sa Palme d'or il y a 10 ans pour La Vie d'Adèle, chacun des films du cinéaste à la réputation sulfureuse est scruté et fait l'objet de spéculations sur une éventuelle sortie. L'exemple du fameux Mektoub My Love Intermezzo est fameux : plus de 4 ans après, on surveille toujours des nouvelles de ce film devenu invisible.
Alors, pour les plus impatients et les plus aficionados du travail du cinéaste, il faut surveiller une génération d'acteurs s'inscrivant dans les pas du réalisateur. Il y a eu le travail déjà fortement remarqué de Hafsia Herzi, avec notamment Tu mérites un amour, et aujourd'hui, Salim Kechiouche, avec L'Enfant du paradis. Salim Kechiouche a joué dans de nombreux films de Kechiche, dont la série des Mektoub. On sent clairement l'empreinte du cinéaste sur son travail.
Ces films ont en effet en commun d'avoir un goût de liberté et une fabrication dans l'urgence qui donne une énergie particulière au film. Un film très personnel, dont nous avons pu parler, à bâtons rompus, avec l'équipe à l'occasion de la toute première présentation du film au Festival du film francophone d'Angoulême.
AlloCiné : Pouvez-vous nous raconter la genèse et la fabrication de ce film dont on sent qu'il y a eu une énergie forte entre vous ?
Salim Kechiouche, réalisateur, scénariste, acteur : C'est une équipe très réduite, un peu comme un commando qui allait se fondre dans Paris, et ailleurs aussi. On est partis tourner à Toulon notamment. Je voulais des acteurs que j'aime, que j'admire, que je respecte et dont j'avais envie. Je les ai appelés. Je leur ai dit "voilà, j'ai un projet qui s'appelle L'Enfant du paradis". On a beaucoup parlé avant, quand on a préparé les rôles.
Il y avait de l'urgence, mais il y avait aussi une liberté, qui était un luxe extraordinaire que je voulais pour mes acteurs, pour moi-même. En tant qu'acteur, j'ai toujours rêvé de ça. Il y a quand même eu beaucoup de travail avant et beaucoup d'engagement de la part de Nora Arnezeder, de Kevin Mischel, de Naidra Ayadi, de Salif Cissé, de tous les acteurs... On a beaucoup travaillé avant pour avoir cette liberté sur le plateau et se dire "Maintenant, on se lâche et on y va". On suit la structure du scénario, mais en même temps, on peut faire des sorties de route, revenir, retomber sur nos pas. Donc, urgence, oui, mais préparation.
Nora Arnezeder, actrice : On ne peut pas arriver à faire des impros s'il n'y a pas un vrai travail derrière. Déjà, il y avait un scénario qui était très bien, très solide, avec une vraie structure. J'ai toujours rêvé de faire un film comme celui-ci. Je priais tous les jours pour faire un film comme celui-ci.
Kevin Mischel, vous avez l'expérience d'acteur au sein de Divines, peut- être moins commando que ce film, mais qui avait aussi cette approche un peu famille et très personnel...
Je vois la comparaison. Chaque réalisateur va vous dire souvent qu'il s'inspire un peu de sa vie, de moments, etc. Dans L'Enfant du paradis, j'ai senti une sincérité, une histoire, un passé. Il y a ces archives.
Il y a quelque chose qui est pour moi tellement fort, qui fait que ce film est très touchant et beau. Et Salim le dira mieux que nous, mais c'est un hommage aussi à un ami parti trop tôt. C'est un hommage à la famille. Il y a un mélange de tout ça. Il y a vraiment beaucoup de choses fortes dans ce film.
Nora Arnezeder : Ce film m'a vraiment émue et m'a vraiment donné envie d'appeler ma mère et de la prendre dans les bras.
Salim Kechiouche : Tu vas me faire pleurer... J'avais besoin de faire ce film en famille. J'ai l'impression vraiment de me livrer et à un moment, je me suis posé la question de l'impudeur ou pas. J'ai vraiment réfléchi. Je me suis dit : "je le fais, je le fais ou je le fais pas ?"
Il y a des images d'archives dans le film. J'ai vraiment fait ce film en famille, vraiment. C'est pas une caricature, c'est vraiment ma famille de cinéma et j'aimerais les revoir, faire des choses avec eux, partir en vacances avec eux. C'est vraiment ma famille et on va faire des films ensemble. On s'est dit ça ?
Nora Arnezeder : Je lui ai dit "Tu peux pas faire un film films sans moi" !
C'est un film en hommage à un acteur avec qui vous vous étiez liés d'amitié (Yasmine Belmadi, disparu dans un accident de la route en 2009 et qu'on avait pu voir dans Adieu Gary, Ndlr.), et d'où ce titre aussi, j'imagine...
Les enfants du paradis était un de ses films préférés. Ce titre faisait aussi écho avec un acteur qui vient d'un milieu modeste. Le paradis, au théâtre, c'est l'endroit où les gens modestes viennent regarder les pièces. On appelle ça le paradis.
C'est un beau titre et ça a du sens par rapport à sa mort. Je voulais commencer par la mort. On le sait à l'avance qu'il est condamné. Comment il est rattrapé par son passé, par ses turpitudes, par ce qu'il travaille de l'intérieur. Il a tout pour réussir, il a tout pour y arriver et il n'y arrive pas.Parfois, la vie, c'est comme ça. La vie, elle est injuste. Et moi, ça m'avait marqué par rapport à mon ami. Je voulais raconter. Il fallait que j'en témoigne.
Ces images d'archives qu'on voit dans le film, d'où viennent-elles ?
Ce sont des images d'un caméscope que mon père avait acheté dans les années 90. Je m'amusais à à réaliser des petits films, des parodies. Je faisais des petits montages, J'étais fasciné par l'image. Et mon père avait filmé ma maman parce qu'elle était sur le point de mourir. J'avais ces images-là et je voulais mettre en réalité de l'animation dans le film. J'avais écrit des scènes d'images d'animation. Et inconsciemment, je me suis rendu compte que j'avais ça en tête dans les archives. Avec mes monteurs, je leur ai dit que j'avais ça. On a commencé à travailler là-dessus et ça donne des points d'ancrage dans le passé, dans la nostalgie, dans le réel.
Pour revenir un peu à la façon dont vous avez tourné, je me demandais si vous aviez en tête un réalisateur comme Abdellatif Kechiche avec qui vous avez beaucoup travaillé ?
On n'avait pas le même temps de tournage. On a fait 20 jours. Avec Abdel, on fait des films en quatre mois ! Au cinéma, le vrai luxe, c'est le temps, et on ne l'avait pas. Après, évidemment, c'est une inspiration indéniable. J'essaie de me nourrir de mes acteurs aussi. Ils m'ont inspiré beaucoup.
Abdelatif Kechiche était acteur aussi. En tout cas, dans la direction d'acteur, il y a un ressenti qui est indéniable. Je trouve que tous les metteurs en scène, tous les réalisateurs devraient jouer avant de diriger des acteurs, parce que parfois, c'est tellement distancié, tellement impersonnel... Il y a des réalisateurs que j'adore, mais très techniques.
Et pour continuer à parler d'Abdellatif Kechiche, sur Mektoub my love, par exemple, on n'avait pas le scénario, et on a joué les scènes comme si c'était de l'impro. Et quand j'ai lu le scénario après, je me suis rendu compte qu'on avait fait exactement ce qu'il y avait dedans et qu'il nous amenait vers le scénario, et qu'on croyait inventer les choses alors que c'est lui qui nous dirigeait. Et j'ai voulu faire ça avec les acteurs, c'est-à-dire que je leur ai donné le scénario, je leur ai fait lire les scènes, mais en n'apprenant pas par cœur. Je ne veux pas de récitation.
Le metteur en scène est là pour accompagner. On parle de direction, mais même la direction, mais c'est un mot un peu galvaudé, c'est de l'accompagnement. On accompagne, on met en sécurité, on rassure. Parfois, on bouscule un peu, mais on accompagne surtout. Quand un metteur en scène me fait confiance, j'ai envie de lui donner tout ce que j'ai.
Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême 2022