De quoi ça parle ?
L'histoire de deux hommes qui sont ensemble depuis quinze ans et ce qui se passe quand l'un d'eux a une liaison avec une femme.
Présenté au Festival de Berlin, et plus récemment en ouverture du Champs Elysées Film Festival, Passages, le nouveau film d’Ira Sachs, arrive au cinéma ce mercredi. Cette histoire de triangle amoureux est portée par un excellent trio de comédiens : Adèle Exarchopoulos, Franz Rogowski et Ben Whishaw.
De passage à Paris, le réalisateur et coscénariste Ira Sachs s’est entretenu avec AlloCiné et a accepté de se confier sur quelques-unes de ses inspirations pour le film.
Lui soumettant l’idée que ce triangle amoureux nous avait évoqué une forme de Jules et Jim version 2023, Ira Sachs nous a répondu qu’il acceptait cette comparaison, qui fait d’ailleurs proprement écho à sa cinéphilie. Le réalisateur américain ne cache pas son admiration pour le cinéma de François Truffaut. Il précise néanmoins aimer par-dessus tout un autre film de Truffaut, en l’occurrence La Peau douce.
« La peau douce est un de mes films préféré. C’est également un triangle amoureux comme dans Passages. Ce qui est une super structure pour un film. » Et d’ajouter : « Ce film de Truffaut a été un échec au box-office. Et il a expliqué que c’est parce que c’était une histoire qui partait mal, et allait de pire en pire. Mon film n’est pas comme ça, mais c’est vrai que la romance tourne vite court. »
Au sujet du cinéma de Truffaut, il poursuit : « Quand je pense à Jules et Jim, je pense à Jeanne Moreau. Pour moi, Adèle Exarchopoulos est vraiment une Jeanne Moreau. Elle dégage la même chose, tout en étant très terrienne. C’est une combinaison entre un côté déesse et un côté terrien. Ces deux actrices sont assez uniques. »
Ira Sachs a également convoqué d’autres souvenirs de cinéphiles pour son nouveau film, même s’il reconnait que toutes ces références ne sont pas forcément conscientes. « Quand un film vous entre en tête, c’est presque comme s’ils faisaient partie de la famille au bout d’un moment ; ils font partie de votre imagination. Ils appartiennent alors à votre histoire, et ce avec quoi vous êtes en conflit. »
« Le fait de tourner ici à Paris, et d’avoir Adèle, je n’ai pas pu résister à l’Histoire du cinéma français. J’en ai profité, sans y faire référence directement. Pour moi, ce n’est pas important que les spectateurs puissent déceler des références, mais cela a fait partie de mon langage et de mon plaisir. »
Il poursuit : « Avec ma chef opératrice, nous avons beaucoup parlé de Pialat. Il y a aussi Cassavetes qui avait une place similaire. » La scène d’ouverrture de Passages est d’ailleurs une référence directe à Maurice Pialat. « Il y a un documentaire sur Pialat qui s’appelle L’amour existe. C’est une scène making of dans laquelle on voit la fabrication du film Police. On le voit dans l’action. Pialat s’oppose à un figurant, et on voit Depardieu qui rigole en arrière-plan. »
L’autre référence importante du film nous mène au cinéma de Chantal Akerman. Ira Sachs a pensé au film Je, tu, il, elle ans sa façon de filmer les scènes de sexe, assez nombreuses, dans le film. « Pour moi, les scènes de sexe ont à voir avec le rythme. Les spectateurs s’y retrouvent confrontés, dans un sens assez mémorable. Et cela appartient ensuite au souvenir du film. Il y a des scènes où la durée est porteuse de sens, et en particulier dans les scènes de sexe, pendant lesquelles le spectateur est à la fois dans la scène, et tenu à l’extérieur. Son point d’accès est limité. Vous êtes dans la pièce, mais pas dans le rapport ! Mais vous êtes dans la pièce ! Quelque chose se passe entre deux personnes que vous êtes en train d’observer. Comme dans Je, tu, il, elle. Chantal Akerman se révèle elle-même dans ce film, d’une façon très libre. C’est très inspirant. »
A la question se révèle-t-il lui-même, lui aussi, à travers ce film, Ira Sachs nous répond : « Oui, je dirais ça. J’ai fait ce film avec une certaine forme de liberté, car je ressentais que, peut-être, ce genre de film pourrait ne plus être possible à faire à l’avenir. Donc une fois que j’ai eu l’opportunité de le faire, j’ai voulu me fier à mon propre instinct. »
Pourquoi a-t-il le sentiment que ce genre de film ne pourrait plus se faire ? « La pandémie a eu un effet. Ça a été un challenge pour l’industrie du cinéma. Il y a aussi la place qu’occupe la mondialisation dans le cinéma. Ce besoin de viser large, d’être général, et pour moi, ce film est à l’opposé de ce qui est large et général. J’ai plutôt essayé de faire un film qui est spécial et intime. » Et de conclure : « C’est vraiment un film sur le plaisir. Même la souffrance devient un plaisir. »
Propos recueillis et traduits, par Brigitte Baronnet, à Paris, le mercredi 21 juin 2023