De quoi ça parle ?
Pour la première fois depuis longtemps, trois détenus se voient accorder une permission d’un week-end. 48h pour atterrir. 48h pour renouer avec leurs proches. 48h pour tenter de rattraper le temps perdu.
Que se passe-t-il lors d'une remise en liberté ? Plutôt que de situer son film en prison, la réalisatrice et scénariste Eve Duchemin prend le parti rare et passionnant de s'intéresser à la trajectoire de trois personnages au moment de sortir de prison, qu'il s'agisse d'une sortie temporaire, ou une sortie définitive.
"On a tous vu des films ou des reportages sur la prison, mais peu rendent compte de l’impact que représente le fait d’être retiré de la société des hommes pendant longtemps. Et des effets de la remise en liberté après toutes ces années, explique la cinéaste pour raconter ses intentions de départ, dans le dossier de presse. Un jour, un jeune détenu que je connaissais bien n’est pas rentré de permission. Je me suis mise à fantasmer sur ce qui pouvait se passer dans la tête d’un jeune homme de vingt ans qui vient de passer quatre ans en prison, et à qui l’on permet de passer deux jours en liberté, alors qu’il n’a pas achevé sa peine. Cette expérience doit être aussi intense que cruelle."
La prison est un endroit bouleversant : il y a une histoire de vie cruelle tous les mètres carrés
La force du film repose notamment sur un travail de documentation que l'on sent très précis et nourri. Pour preuve, Eve Duchemin s'est beaucoup intéressée à ce sujet, à travers des documentaires, dont En bataille qui suivait une directrice de prison (voir le film sur le site d'Arte). Documentaire qu'elle a réalisé avant de franchir le cap du premier long métrage avec Temps Mort. "Tout ce temps passé au contact de détenus m’a permis de prendre la mesure de ce que représente la complexité d’une incarcération, explique la réalisatrice. La prison est un endroit bouleversant : il y a une histoire de vie cruelle tous les mètres carrés ; on y trouve beaucoup de gens pauvres et malades, beaucoup de jeunes issus des quartiers populaires. On y prend une claque, car on réalise que notre société n’a pas su quoi faire de ces gens et qu’ils se sont retrouvés dans cet endroit qui ressemble à une cité, mais hors du monde. Goliarda Sapienza, grande auteure italienne que j’admire, a dit un jour « On ne connaît un pays que quand on a vu ses asiles, ses hôpitaux et ses prisons ». Cette phrase a l’air bien programmatique, mais elle me paraît évidente aujourd’hui."
Le biais de la fiction apporte à Temps mort une pudeur que le documentaire aurait été plus compliqué à atteindre. Eve Duchemin fait des choix de mise en scène, en croisant ces trois itinéraires, qui permettent d'aborder ce sujet avec une grande justesse, et une délicatesse. La prison devient un hors-champ, et permet de privilégier les questionnements intimes de chacun de ses personnages. L'idée principale était de "leur octroyer une part d’humanité, qu’on les regarde autrement que comme des détenus", souligne Eve Duchemin, qui a consacré 5 ans à l'écriture de Temps mort.
Retrouvez toutes les sorties cinéma de la semaine
Temps mort, écrit et réalisé par Eve Duchemin, avec Karim Leklou, Issaka Sawadogo, Jarod Cousyns, sort au cinéma ce mercredi.