Vous connaissez certainement l'adorable Beethoven, le saint bernard du fil éponyme sorti en 1992. Sans doute aussi le célébrissime berger allemand Rintintin, star canine de nombreux films, qui a l'insigne honneur, aux côtés de Lassie, Uggie (The Artist) et Strongheart, de posséder sa propre étoile sur Hollywood Boulevard. Mais il y a fort à parier que vous connaissez peu, voire pas du tout, un fabuleux animal dont la filmographie donne le tournis, appartenant à l'espèce des Corvus Corax : Jimmy le corbeau.
Cet animal a partagé l'affiche de quelques uns des plus grands acteurs de l'âge d'or d'Hollywood, parmi lesquels James Stewart, Dean Martin, Jerry Lewis, ou encore Cary Grant. Le nombre de ses apparitions est en revanche incertain : entre 1938 et 1954, elles dépasseraient les 1000, si l'on inclut les apparitions non créditées.
Une intelligence exceptionnelle
L'histoire de Jimmy commence en 1934, lorsque Curly Twiford, fameux propriétaire d'une ménagerie pourvoyeuse d'animaux pour l'industrie hollywoodienne, faisait de la randonnée dans le désert de Mojave. Il y trouva un nid de corbeau, avec un oisillon dedans, qu'il décida de ramener chez lui, et lui donna le nom de Jimmy.
Twiford remarqua l'intelligence exceptionnelle de l'animal à mesure qu'il grandissait; si bien qu'il lui enseigna de petits tours, comme taper une lettre avec son bec sur une machine à écrire, mettre une pièce dans une tirelire, allumer une cigarette, ou conduire une moto miniaturisée.
On raconte qu'il possédait un vocabulaire de plusieurs centaines de mots, même si son propriétaire affirmait que seuls une cinquantaine étaient vraiment utilisés par l'animal. Il était semble-t-il capable d'apprendre un mot (simple évidemment) en une semaine, et possédait l'intelligence d'un enfant de huit ans.
Los Angeles Public Library
Jimmy fit ses débuts au cinéma chez Frank Capra en 1938, dans Vous ne l'emporterez pas avec vous. Le cinéaste se pris d'ailleurs d'une grande affection pour Jimmy, au point que beaucoup considéraient, à tort, qu'il s'agissait de son propre animal.
Toujours est-il que Capra l'a employé à plusieurs reprises, et "écrira" même un petit rôle non prévu spécialement pour lui dans La Vie est belle, incarnant l'animal de compagnie de l'oncle Billy (Thomas Mitchell). "Quand ils appellent Jimmy, nous répondons tous les deux !" dira un James Stewart amusé, sur le plateau de tournage de La Vie est belle; "le corbeau est l'acteur le plus intelligent sur le tournage". Pourquoi ? "Parce qu'il a besoin de moins de prises que ses collègues humains".
En 1939, il était venu taquiner Ray Bolger, alias L'épouvantail, dans une scène du Magicien d'Oz, hélas coupée. Mais la magie des archives opère toujours. A découvrir ci-dessous.
La popularité grandissante de Jimmy incita d'ailleurs la MGM a assurer l'animal pour 10.000 $. La fameuse société d'assurance Lloyd, basée à Londres, rédigea même une police d'assurance spéciale pour lui, pour couvrir les frais de 500 $ par semaine de Jimmy ainsi que les frais de traitement de 200 $ de Curly Twiford, au cas où Jimmy aurait oublié l'un des mots dont il avait besoin sur le plateau de tournage. En fait, l'animal rapportait tellement d'argent à Curly Twiford que les cachets de Jimmy suffisaient à payer la nourriture et les frais d'entretiens de la ménagerie de son propriétaire.
La Presse s'enticha tout autant de l'animal, au point de même lui consacrer quelques entrefilets dans les journaux. "L'un des acteurs les plus en vogue sur les films est un personnage pittoresque nommé Jim. Il n'a que 22 ans, mais a une espérance de vie de 140 ans (sic!). Jim, qui a volé toutes les scènes des films dans lesquelles il est apparu, est un corbeau" écrivait le journal Evening News de Pennsylvanie, en décembre 1948.
Evening News
Cette pauvre bête fut même décorée de la médaille d'or de la Croix Rouge après la Seconde Guerre mondiale, en remerciements d'avoir passé 200h à divertir des vétérans en convalescence. Seize ans après ses débuts, en 1954, Jimmy tourna son dernier film, une comédie intitulée Le Clown est roi, se déroulant dans le milieu du cirque.
On ignore la date exacte de sa mort, sauf à donner celle de son propriétaire, décédé en 1956, à l'âge de 60 ans. Dans une triste ironie, il faudra attendre près de 20 ans après la mort de Jimmy le corbeau pour qu'une loi fédérale, baptisée Migratory Bird Treaty Act, qui existait depuis 1918, englobe enfin les oiseaux de son espèce dans son champ de protection. So long Jimmy...
