En France il existe bien des films auxquels on pourrait attribuer le label "film de Noël", à l'image de la comédie chorale La Bûche de Danièle Thompson et son repas familial tournant à l'aigre ; ou, pour prendre une référence plus récente, le savoureux et attachant Santa & Cie d'Alain Chabat, qui se glisse sous les habits d'un Père Noël en galère pour sauver la magie de Noël.
Mais cette tradition est surtout connue pour être l'apanage des Anglo-Saxons, et en particulier des Américains. Aux Etats-Unis, c'est une véritable institution, un rituel annuel et familial indéboulonnable. Et le pays n'a évidemment pas attendu les Love Actually, Last Christmas, et autres pitreries de Tim Allen, grand spécialiste devant l'éternel de la saga des Super Noël essorée à un rythme frénétique, pour se pencher avec gourmandise sur la trêve des confiseurs.
Cette tradition a ses totems cinématographiques depuis des décennies : on célèbre toujours avec autant de verve le multi-rediffusé Miracle sur la 34e rue, un grand classique sorti en 1947 pour les fêtes de Noël justement, qui remporta trois Oscars. Une oeuvre choyée au point de figurer depuis 2005 au National Film Registry, pour être conservé à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis en raison de son "importance culturelle, historique ou esthétique".
Swashbuckler Films
Et comment ne pas citer La Vie est belle de Frank Capra, l'oeuvre qui incarne et célèbre sans doute le plus cet esprit de Noël, au point de figurer d'ailleurs parmi les films préférés des Américains ? Une oeuvre en tout point admirable, profondément émouvante, qui s'ouvre par la tentative de suicide de son héros principal. Un homme qui fait aussi le sacrifice de sa vie au bénéfice de tous les autres. Qui sacrifie ses études, ses envies de voyager dans le monde, tous ses rêves d’explorateur… Pour au final demeurer l’explorateur de sa ville.
Mais c’est un bâtisseur de ville, -la sienne- avec ses logements bon marché pour les défavorisés et les plus pauvres. Lui qui se rêvait être un visiteur du monde est en fait un bâtisseur de monde qui s’ignore. Une métaphore absolument sublime, extraordinaire, dont la force du propos est intacte et même plus que jamais d'actualité, 74 ans après sa sortie.
L'invasion des plateformes
Authentiques madeleines de Proust, dégustés devant son écran TV accompagnés d'un verre de lait chaud et sous un plaid, happy end de rigueur, les films de Noël inondent aussi les plateformes de streaming, que ce soit Netflix, Amazon Prime, ou Disney+, pour ne citer que celles-ci.
Aux Etats-Unis, Hallmark Channel, une chaîne de télévision, s'est même fait une spécialité des Christmas Movies. Ils doivent suivre quelques critères simples mais précis : apolitiques, respect des valeurs familiales, humour gentillet... "Il y a des scènes incontournables : acheter un sapin de Noël, emballer des cadeaux, cuisiner, se réunir en famille… Tout ce qui peut être assimilé aux traditions", expliquait en 2017 Randy Pope, vice-président de la programmation de Hallmark Channel, au Wall Street Journal, cité par Les Echos.
20th Century Fox
Pour l'universitaire Christopher Deacy, enseignant à l'université du Kent en Grande-Bretagne, auteur en 2016 de l'ouvrage Christmas as Religion: Rethinking Santa, the Secular, and the Sacred, ces films de Noël ne sont pas seulement des échappatoires à notre quotidien, mais agissent aussi "comme des baromètres sur la façon dont nous aimerions vivre". "Ces films offrent une variété de portraits de la vie de tous les jours, tout en réaffirmant des valeurs éthiques et normes sociales très partagées" écrit pour sa part S. Brent Rodriguez-Plate, professeur d'études religieuses, de cinéma et de sciences des médias, dans un billet publié en décembre 2019 par le site The Conversation.
L'auteur évoque justement La Vie est belle de Capra, dans lequel il y voit une représentation des communautés soudées où chaque citoyen et citoyenne est un élément indispensable. Une trame reprise de très nombreuses fois, comme dans Esprit de Famille où Sarah Jessica Parker, carriériste trader new-yorkaise, affronte le reste de sa tribu mais finit par découvrir des vertus à la notion de famille et les joies de la vie à la campagne.
Selon l'historien Penn L. Restad, professeur à l'université du Texas à Austin, auteur d'un ouvrage publié en 1996 sur la signification de Noël aux Etats-Unis et cité par S. Brent Rodriguez-Plate, ces films de Noël sont "l'expression de la quintessence des vacances, celle d'un monde qui n'a pas de mauvais côté, dans lequel la guerre est oubliée".
Pas de guerre au sens où on l'entend généralement donc, avec son cortège de souffrances et de malheurs. Mais des films qui, parfois, mettent en scène une / des bataille(s), contre le consumérisme forcené et frénétique et le matérialisme de notre société. "Des films comme Voisin contre voisin, La Course au jouet, ou Le Grinch sont centrés autour de l'idée que que le vrai sens de Noël n'est pas dans ce consumérisme rampant, mais dans le don de soi et l'amour familial".
Le Grinch a beau essayer de voler les cadeaux de Noël et tenter de gâcher les fêtes à de multiples reprises au gré des multiples adaptations de l'oeuvre du Dr Seuss, l'esprit bienveillant de Noël qui souffle reste plus fort que tout et prendra toujours le dessus.
