Les papillons noirs se réfère au « giallo », ce sous-genre du film d’horreur où se mêlent gore et érotisme, et bien que je ne sois pas une amatrice du genre, quand j’ai vu le casting, j’ai dit banco ! Et tant mieux car cette série est bien plus qu’un hommage illustratif. Construite selon un découpage de six épisodes, se terminant chacun sur un cliffhanger ou une révélation de circonstance, ses deux premiers épisodes prennent néanmoins le temps d’installer les personnages et la situation, et cette relation au temps est toute cinématographique (ce qui est assez rare dans les séries pour être souligné). Il fallait bien un acteur de la trempe de Niels Arestrup pour incarner avec une telle présence et une telle ambiguité un personnage essentiellement statique (Albert, dont le récit est au cœur de l’intrigue). Face à lui, Nicolas Duvauchelle est dans un registre disons habituel, à fleur de peau, tourmenté, mais ils forment à eux deux un duo intrigant. Et puis commence à se dérouler en parallèle l’histoire qu’Albert raconte à Adrien, alias Mody, l’écrivain : l’histoire d’amour passionnelle entre Albert et Solange, tous deux nés bâtards à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale et qui, en proie au rejet, se sont unis dès l’enfance dans une relation exclusive : eux contre le reste du monde. Une passion monstrueuse qui va semer les cadavres à travers la France sur plusieurs décennies. Bonnie & Clyde version Eros et Thanatos. À noter la finesse du casting quant aux choix des comédiens qui incarnent Albert dans sa jeunesse ; aussi bien l’enfant que le jeune homme (Axel Granberger), ont un air de ressemblance avec Niels Arestrup, et l’on croit totalement à la continuité entre les trois acteurs. Belles révélations d’ailleurs que les interprètes du couple d’amants, en particulier Alyzée Costes, dont le charisme imprègne la pellicule, ou enfin la vidéo
(d'ailleurs, j'ai été un peu déçue de l'identité de la "vraie Solange" tant la première crevait l'écran)
. Sur le plan formel, Les papillons noirs adopte plusieurs identités visuelles selon les époques (très belle photographie pour les années 60 à 80, lumineuse et colorée, presque fantasmagorique), et la bande-originale, très éclectique, est pour beaucoup dans les différentes atmosphères qui se dégagent de cette série. Mais ce qui en fait le brio, c’est la manière dont le scénario construit, déconstruit et interroge notre rapport au réel et à la fiction : d’abord avec la mise en abyme de l’histoire qu’on raconte (on a là une série qui met en scène un serial killer qui raconte une histoire à un écrivain qui la romance…) ; ensuite, par la façon dont la série rebat les cartes aux moments où l’on pensait enfin savoir où l’on allait. Réalité ? Fantasme d’écrivain ? Affabulation des personnages ? La dualité est le maître mot, et si à la fin, vous trouvez l’intrigue trop tirée par les cheveux ou certains personnages excessifs, essayez de réévaluer le tout en ayant à l’esprit que ce que vous venez de voir n’est sans doute pas une vérité à accepter en bloc… Car ce scénario tordu à souhait nous fait oublier à dessein notre position de spectateur passif (tout en créant paradoxalement une distanciation dans les scènes de violence, par une mise en scène stylisée), pour ensuite révéler l’artifice que représente la fiction, et notre propension à accepter d’être manipulé par un récit/un film. Provocateur, mais bien vu ! Un regret cependant : que le personnage de Sami Bouajila (le flic) soit sous-exploité, réduit au rôle de « personnage utile à l’avancée de l’intrigue », sans pousser plus loin sa psychologie, alors que le personnage, et l’acteur, que j’apprécie beaucoup, l’auraient mérité (par conséquent il en va de même pour sa partenaire, jouée par Marie Denarnaud). Mais globalement, on a là une série à ne pas manquer si on aime le suspense ! Il n’y a qu’une seule saison, mais sachez que, pour que l’expérience soit complète, les créateurs de la série ont poussé le vice jusqu’à publier le roman de Mody, au titre éponyme, écrit lui aussi par un prête-plume !