Faut-il toujours voir des messages plus généraux dans le déroulé fictionnel d’une œuvre ?
Focalisons-nous donc d’abord sur la valeur purement formelle de la série. Commençons par les acteurs : voilà une série extrêmement bien castée. Les physiques des acteurs sont particulièrement bien en accord avec ceux qu’ils incarnent. Par exemple le profil coupé au couteau et l’allure fatiguée et nerveuse de Nicolas Duvauchelle est une enveloppe physique parfaite pour les courants sombres qui agitent le personnage d’Adrien. Niels Arestrup, avec ses deux billes d’un bleu métallique, a toujours été parfait pour incarner les inquiétants placides, ceux dont on pressent un potentiel de nuisance fort sous un aspect débonnaire. Un Sami Bouajila à la barbe broussailleuse et aux yeux pairs projette immédiatement une impression de danger imminent, de chaos qu’il incarne physiquement. La beauté minérale mais imparfaite d’une Alice Belaïdi offre une forme de normalité ultra-séduisante annonçant ses paradoxes et ses fêlures. Celle de unes de magazines d’Alyzée Costes est idéale pour camper un phantasme de femme manipulée. La joliesse de Lola Creton, moins idéale mais réelle, avec le choix d’une couleur capillaire en dissonance avec sa carnation et sa typologie physique, laisse deviner un rafistolage et donc avec une plus grande capacité de dissimulation. Brigitte Catillon a des traits parfaits pour jouer sur deux registres : sèche et menue elle peut évoquer une grande fragilité un peu lunaire quand son visage a la faculté de se durcir d’un coup pour refléter une détermination des plus cinglantes. Pour finir, Axel Grangerger est physiquement parfait pour jouer un Niels Arestrup jeune. Enfin, Henny Rents est solaire et, parce que grimée avec un maquillage lourd et des tatouages en guise d’armure, est usée en même temps ce qui évoque au premier regard la paumée qui a su se reconstruire. Bref, le casting de cette série a été extrêmement bien pensé.
De plus tous les acteurs sont absolument excellents dans leurs jeux. Le plus fort dans leurs performances c’est de rester tous crédibles, tout au long de la série, et ce alors qu’ils ont à jouer des scènes très stéréotypées. C’est d’ailleurs un autre atout de cette fiction. Chaque scène, prise indépendamment, pourrait sembler aux spectateurs parfaitement outrée et donc inopérante. Mais tant par le traitement de l’image, très léché et donc volontairement fictionnel mais appétent au regard, que par leurs insertions subtiles dans une trame narrative complexifiée, ces scènes fonctionnent parfaitement. Dans cette construction, le jeu sur la temporalité des évènements opère parfaitement or c’est souvent une chausse-trappe superfétatoire dans certaines fictions qui conduit à l’ennui. Il est parfaitement maitrisé pour ne pas laisser le spectateur dans le sentiment d’avoir été pris pour un gogo et sert habilement le récit.
La direction artistique de la série est de haute volée. Elle est visuellement absolument magnifique. En plus du physique des acteurs, tant les décors que les costumes et accessoires sont beaux. Et ce alors qu’il y a des périodes temporelles différentes, des statuts sociaux variés, des périodes et des modes de vies hétérogènes. Ces choix visuels ne sont jamais gratuits : ils reflètent l’état d’esprit des personnages dans l’instant de la scène. Le traitement photographique très travaillé y est pour beaucoup. Fixé sur le sentiment des personnages principaux en action, le grain des images va être parfois antinomique parfois congru au macabre de l’action qu’il expose. Cela rappelle les meilleurs films de David Fincher.
Passons enfin sur le propos général. Voilà une série qui fait le pari de se focaliser sur le matriarcat triomphant actuel. On retrouve encore David Fincher et son propos dans « Gone Girl ». « Les papillons noirs » l’aborde de manière très habile et par la bande, ne le dévoilant qu’à la toute fin. On peut facilement considérer que les hommes dans cette fiction ne sont que des jouets et LA femme aux commandes. Mais, une fois tout explicité, la toute dernière scène après le générique du dernier épisode est édifiante, au fond, ce matriarcat triomphant est un pur produit du patriarcat qui l’a forgé et dont il se nourrit.
La clé pour sortir de ce cercle vicieux est donnée par l’interprétation que fait le rabbin ou le juif religieux de la citation du livre d’Ezekiel qui revient à trois reprises dans la série : les enfants n’ont pas à endosser systématiquement les fautes de leurs parents et encore moins à les répliquer.