Première contribution sur ce site, j’ai voulu partager mon avis argumenté sur cette nouvelle série car elle est à mon sens loin d’être à la hauteur de la saga SF littéraire qui m’avait beaucoup touché, et qu’elle m’a également permis de mettre des mots sur le malaise que j’éprouve face aux séries Netflix de ces dernières années.
Cette critique s’adresse principalement à ceux qui ont vu la série, je vais parler de choix scénaristiques et d’écriture ainsi que de la direction photographique , il risque d’y avoir quelques spoilers que je masquerai. Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette critique ne repose pas uniquement sur les choix adaptation et les déceptions qui en résultent. Il y a en a, certes et j’en parlerais, mais lorsqu’une œuvre est adaptée à un autre format, il faut accepter que certains changements aient lieu, et ne pas crier au loup dès qu’une proposition sort du cadre de l’œuvre initiale.
Grand fan des livres, j’attendais cette série avec impatience, et les premiers épisodes m’ont plu. Je pense en l’occurrence à la scène d’introduction, qui a le mérite de poser un cadre historique rarement abordée dans les fictions actuelles
(spoiler : la révolution culturelle en Chine)
et d’introduire l’une des thématiques principales tout en l’enveloppant de mystère
(spoiler : la remise en cause des sciences fondamentales et l’impérialisme américain)
. De plus, la mise en scène est intrigante par ces plans très symétriques et un choix de couleur pertinent qui vont mettre en valeur le propos. Des choix esthétiques pour créer une ambiance, un environnement historique rarement abordée qui nous donne envie d’ouvrir Wikipédia, de la tension, du mystère : ce début prometteur nous met en confiance pour la suite !
Le reste du premier épisode fonctionne bien et suit le roman dans ses grandes lignes. Il y a un bon équilibre entre la présentation des personnages et la mise en place de l’intrigue
(spoilers : la mise en échec de la science et ce mystérieux compte à rebours).
Cependant je commence à avoir un goût de déjà vu, ce groupe d’amis très lisse où chaque personnage me semble avoir son équivalent dans toutes les autres séries Netflix comme Squid game, The haunting of the hill house, Umbrella academy, Casa Del Papel ou Sense 8. Je me suis naturellement interrogé sur le choix des réalisateurs de créer tous ces personnages qui ne figurent pas dans le 1er roman avant d’en comprendre ensuite, la désastreuse raison, mais j’y reviendrais plus tard. Je suis ne partage également pas leur choix de mise en scène du compte à rebours, qui est à mon sens plus subtile dans le roman : le protagoniste prend des séries de photos et pense être en proie à une hallucination lorsqu’il croit percevoir un compte à rebours glissé subtilement à l’intérieur de celles-ci, dans mon souvenir le compte à rebours apparait sur le contour d’une poignée de porte, il change d’endroit sur les photos suivantes et le protagoniste constate qu’il s’agit d’un compte à rebours en voyant que les chiffres ne sont pas les mêmes. Le lendemain à son réveil, le compte à rebours s’affiche sur tout ce qu’il voit. Je trouve cette approche plus lente (donc plus de montée en tension) et plus subtile que celle de la série.
Idem pour l’introduction de la base Code Rouge, je me souviens avoir ressentie une frustration jouissive lors de ma lecture car Liu Cixin, l’auteur de la saga, jouait avec son lecteur en retardant le plus possible la révélation de la réelle mission de cette base militaire, on suivait une Ye Wenje désorientée qui elle-même ne comprenait pas immédiatement le but réel de sa mission. Lorsque la révélation est faite, l’effet escompté fonctionne : C’est le vertige !
Ici la série dévoile très rapidement les réels enjeux de la base Code Rouge ce qui rend la chute moins savoureuse.
Pour ne pas faire une critique trop longue, je vais pas revenir sur les jeux vidéo qui sont pour moi les séquences qui fonctionne le mieux, et ce même malgré les interventions insupportables de Jack Rooney, le petit comique de la bande qui casse en permanence l’atmosphère dès qu’elle celle-ci devient un peu sérieuse ou pesante, dès qu’il ouvrait la bouche et tirait sur la manche de Jin pour la faire avancer, je le vivais aussi violemment que quelqu’un qui m’extirpe de mon sommeil en me secouant.
Ce personnage représente justement tout ce qui a de pire dans cette série : la vitesse excessive. Comme j’ai déjà pu l’aborder un peu, cette série est dans un auto sabotage permanent qui rend très difficile l’investissement émotionnel du spectateur. A peine un questionnement arrive, que la réponse arrive au grand galop derrière, aucun mystère n’a le temps de se mettre en place, même sur les choses qui semblent essentiels : LE PROBLEME A TROIS CORPS ! Tout est dans le titre, il s’agit d’une réelle énigme mathématique qui existe depuis plusieurs siècles et qui est l’objet d’un bon tiers du roman, il y a une enquête passionnante du personnage principale qui va suivre la trace de l’homme qui vit avec Ye Wenje (ce personnage n’apparait pas dans la série) et qui aura passé toute sa vie à essayer de résoudre cette énigme, réussissant d’abord à résoudre le problème à 2 corps, il va faire un voyage en Inde pour trouver des réponses à ses questions). Durant cette enquête de nombreuses notions de mathématique et de physiques sont vulgarisées pour attiser la curiosité intellectuelle du lecteur ce qui est d’ailleurs l’une des grandes forces des romans : rendre le lecteur curieux et lui faire apprendre des choses.
Tout cela est balayé en 1 minute dans la série : aussi tôt la révélation faite que la planète du jeu possède 3 soleils responsables des ères régulières et chaotiques, et qu’on est bien dans le cadre d’un problème à trois corps, le problème est résolu par Jin dans la même séquence (ou plutôt la non résolution est admise, ce qui est pour rappel était la chute tragique du roman). Nous ne sommes qu’à la fin du 3éme épisode et nous n’entendrons plus jamais parler du problème à trois corps… Je me demande comment est-ce possible qu’une production de ce calibre puisse faire une telle sortie de route.
Qu’est-ce que la série va donc bien pouvoir nous raconter ensuite ? Les matériaux du premier s’arrêtent selon moi vers l’épisode 6, et l’épisode 7 et 8 sont dans l’anticipation des intrigues du 2éme et 3éme roman. Ce qui n’est pas un problème en soit, mais à partir du moment où cela remplace des intrigues fondamentales du 1er roman, ça donne une impression de travail bâcler, on synthétise un maximum, on fusionne des intrigues ou on les coupe, le résultat ne peut pas être bon dans cette logique de compression extrême.
(spoiler : Je peux illustrer mon propos en prenant un autre exemple, celui du programme colmateur il a été fait le choix sélectionner 3 colmateurs au lieu de 4 dans le roman, ce qui encore une fois n’est pas grave, mais en tenant compte des nombreux raccourcis qui ont déjà été fait, cela entre une fois de plus dans cette politique du « on n’a pas le temps pour ça, on une grande épopée à raconter il faut que ça fuse »)
Le manque de subtilité dans l’écriture du scénario n’est hélas pas le seul symptôme de ce rendu à l’aspect fade et maladif. L’écriture des personnages y joue beaucoup, j’ai déjà parlé des 5 protagonistes à la Friends, avec leurs amourettes vues et revues des centaines de fois. (le lecteur averti comprends d'ailleurs que ces personnages ne sont finalement pas totalement inventés, mais récupéré des deux autres romans pour encore une fois faire converger les intrigues et aller plus vite.) Tous les personnages de cette série sont des clichés sur pattes, prenons l’exemple de Thomas Wade, le militaire froid et déterminé, hermétique à la moindre émotion qui se fait un devoir d’illustrer son autorité en s’exprimant uniquement en punchline nulle, est-ce qu’on peut faire plus stéréotypé comme personnage ?
Le personnage de Jin, interprétée par Jess Hong, est celui qui s’en sort le mieux à la rigueur.
Avant de me lancer dans la série, j’ai vu plusieurs critiques reprocher son côté « woke » et je dois dire c’est un angle d’analyse qui ne m’intéresse pas spécialement, je pense qu’il est normal que les créateurs de fiction se pose la question des représentations, mais il faut reconnaitre que cette série donne tellement peu de profondeur à ses personnages tout en se souciant des représentations que cela donne un effet « liste à cocher ». Je pense notamment au fils du flic, une étoile filante dans cette série qu’on doit voir en tout et pour tout 2 minutes, sa réplique se résume un peu à ça : bonjour, je suis gay, au revoir ». Cette série est truffée de petits défaut d’écriture comme celui-là, où on sent les intentions des metteurs en scène, on voit les ficelles scénaristiques, trop facilement.
Et je me disais, quitte à se soucier des représentations, je ne voudrais pas parler à la place de la communauté asiatique, mais c’est une œuvre chinoise, je ne dirais pas que la population chinoise et surreprésentée dans les œuvres occidentales, c’était peut être l’occasion de faire une série qui se passe vraiment en Chine (je veux dire, intégralement, comme dans le roman), avec des acteurs chinois ? D’autant plus que cette « occidentalisation de l’œuvre » n’était absolument pas nécessaire.
Pour en revenir aux personnages stéréotypés, ils le sont en partie à cause de ce qui a été pour moi la chose plus indigeste de la série : la mise en scène des dialogues (dialogues mal écrits je précise). Je vais poser une question très sérieuse : pourquoi 90% des personnages des séries Netflix se hurlent dessus en permanence, réagissent avec agressivité, se font la gueule avant même d’avoir cherché à comprendre ce que dit leur interlocuteur, et se coupent la parole TOUT LE TEMPS ? Je ne sais pas si c’est le but recherché est de donner un aspect lyrique et endiablée, mais ce n’est pas du tout l’effet produit. Cette hystérisation des dialogues donnent juste l’impression que les personnages ont la capacité émotionnelle d’un enfant de 8 ans, ce n’est pas stylé du tout, arrêtez ça svp.
Et bien entendu, le 4éme mur est une notion inconnue au bataillon, la règle des 180°, qui est quand même la base du cinéma est elle aussi mise à mal
(spoiler : la scène ou Jin retrouve Ye Wenjie dans la salle d’interrogatoire donne l’impression soit qu’elles louchent toutes les deux, soient qu’elles regardent vers un objets extérieur alors qu’elle se parlent l’une à l’autre autre parce que la règle des 180° n’est pas respectée, je me demande comment une erreur comme celle-là peut passer dans une œuvre qui a un tel budget)
Difficile de pas parler de la photographie aux couleurs impeccables, impeccablement vides et sans âme qui devient la marque de fabrique de Netflix, mais j’aimerais surtout évoquer les effets numériques. Que s’est-il passé ? Est-ce qu’un manque de budget ? Un manque de moyen ? de talent ? En moins que cela soit une référence à Mars attacks ? on vient de faire un bond en arrière d’au moins 20 ans, c’est une horreur absolue. Dans la scène avec le singe
(spoilers : qui se sort de sa capsule cryogénique pour appuyer sur un pad)
, comment se fait-il que personne dans le studio Netflix n’ait eu l’idée de la tourner avec un vrai singe ? je veux dire, ce singe est au cœur de la scène, les producteurs, n’ayant pas peur du ridicule, ont assumé jusqu’au bout ce vomi visuel, là où dans the walking dead à titre de comparaison, ils ont placé la biche très mal faite en arrière-plan, dans un souci de pudeur et d’orgueil, sans doute. Ne pas avoir les moyens, pour diverses raisons, d’élaborer des effets visuels à la hauteur risque de poser un menu problème pour la suite de cette saga, dont une grande partie se déroulera dans l’espace…
Pour conclure, je trouve que la série le problème à 3 corps manque de sincérité : on sent une envie de raconter une histoire et la flemme de le faire bien, la flemme de prendre le temps de poser une intrigue, d’installer une vraie ambiance et de vrais mystères. Elle ne parvient même pas à être complétement nulle, ce qui aurait pousser plus facilement les téléspectateurs vers les livres. Elle se contente juste de raconter l’histoire des livres en prenant soin d’en extraire l’essence même, c’est-à-dire faire évaporer toute la curiosité scientifique, divulguer toutes ses chutes et ses secrets sans avoir créer d’attente au préalable. Le rouleau compresseur Netflix en a retiré tout le jus, quel dommage…