Depuis Les Fils de l'Homme, Alfonso Cuarón prend beaucoup de temps pour chacun de ses projets. Le casse-tête logistique pour Gravity et l'intense travail mémoriel effectué sur Roma sont une partie de la réponse, mais ils découlent tous deux d'une seule problématique au départ : comment raconter ? Est-ce que Cuarón a trouvé ? À en juger par le nombre de films ou séries qui l'ont littéralement pillé depuis 10 ans, on peut dire que la réponse a crevé l'écran. Six ans après son dernier long-métrage, le réalisateur a dégoté une histoire qui a réveillé ce besoin de renouveler la forme. Un récit au long cours, désigné pour la télévision, qui va lui permettre d'interroger le concept même de réalité au sein d'un drame on ne peut plus contemporain. On pense s'y glisser avec aisance mais c'est Disclaimer qui nous aspire.
"Méfiez-vous du fond et de la forme", l'avertissement est donné au cours d'une cérémonie en hommage à Catherine Ravenscroft, documentariste renommée. Ce qui n'empêchera pas la mécanique de la tromperie de nous coincer dans ces engrenages, alors que Ravenscroft voit sa vie ébranlée par la publication d'un livre dont elle est le personnage principal. En grand orchestrateur de ce "jeu" en sept parties, Alfonso Cuarón va tout du long brouiller les repères avec une forme narrative verbeuse, multiple et indéfinie. Passé, présent, fiction, réalité, voix et destinées se croisent, se mélangent ou se dissolvent et pourtant cela n'entame jamais la clarté de ce qui se déroule devant nos yeux. C'est d'ailleurs l'une des rares séries anthologiques qui réclament un second voire troisième visionnage (voire plus encore).
Disclaimer est une orfèvrerie de mise en scène, où Cuarón enchaine les plans-séquences virtuoses, cadres cisaillés au millimètre et caméras à l'épaule au plus près de ses personnages. Elle est élevée encore plus haut grâce à la photographie absolument divine signée Emmanuel Lubezki & Bruno Delbonnel, qui alterne tons chauds et froids parfois au sein du même plans avec un niveau d'excellence rare, même pour du streaming de haute qualité. Nulle trace de maniérisme, chaque scène va à l'essentiel mais le sens qu'on va leur donner est susceptible d'évoluer avec la chronique, car il s'agit bien ça. Une chronique sur l'impossible (?) vérité si les morceaux choisis sont portés à ébullition dans une bouillie où macèrent faits, biais et fantasmes. Le regard trompe, le spectateur va l'apprendre à ses dépens. S'il y a un piège, il se l'est tendu tout seul.
La toile se tisse, évènements et interprétations se succèdent, la vision se brouille un peu plus alors que les épisodes défilent. Pour comble de tout, la résolution du puzzle n'apportera qu'une satisfaction passagère, rapidement dépassée par le sentiment de gêne. Malgré tout, on est tenté de relancer la série. À l'instar de ces thrillers qui vous envoient dans les cordes, Disclaimer frappe fort parce qu'elle ne laisse rien au hasard. Mais un seul visionnage ne saurait suffire pour en soupçonner la puissance. Le discours de la série prend encore plus de force lorsqu'on le met en parallèle avec l'actualité, où les rôles sont fréquemment inversés et la prise de conscience réduite à un instant fugace avant que les habituels à-priori reviennent au galop.
Et si ça ne suffisait pas,sachez que l'interprétation est à tout épreuve. Cate Blanchett évidemment, admirable une fois de plus. Sacha Baron Cohen dans un excellent contre-emploi. Mais celui qui tape le plus fort, c'est indéniablement Kevin Kline dans une composition qui allie finesse, machiavélisme et le supplément d'humanité derrière ce regard de vengeur meurtri. Chez les révélations, on est pas en reste avec l'incandescente Leila George et l'imparable Louis Partridge. Les deux sont au centre de plusieurs scènes des plus sensuelles rappelant au passage le Y tu Mama Tambien de Cuarón. Une chose est certaine, vous penserez à Disclaimer la prochaine fois que vous entendrez le nom de Kylie Minogue. En autres, car il y a une foule de choses qu'il y a à retenir de cet uppercut en sept parties. La première étant un rappel. Six ans ne font rien à l'affaire, Alfonso Cuarón est un géant.