« 11.22.63 »… Ou comment lancer plein de pistes super sympas dans un premier épisode très riche, et puis tout déballonner derrière lors des sept épisodes suivants au point d’atteindre un niveau de créativité presque consternant. Ah ça je lui en veux à cette série ! Ou bien disons plus exactement que j’en veux à Stephen King ! Non, en fait, je crois que j’en veux aux deux, et je vais tout de suite expliquer pourquoi. Moi, à la base, j’ai vraiment adoré le concept de départ. Un prof d’Anglais un peu crâneur, totalement surfait, se retrouve pris malgré lui dans une intrigue qui le dépasse complètement et qui implique à la fois le fait de réécrire le scénario de l’Histoire, en même tant qu’il va devoir apprendre à se composer un rôle sur mesure dans une époque qui n’est pas la sienne et qui ne répond pas à ses codes. Franchement, cette base, elle déchirait. Et elle déchirait d’autant plus que Stephen King, maître du fantastique, l’avait davantage pensé comme un scénario fantastique plutôt que comme un scénario de science-fiction ! Ainsi s’était-il permis d’édicter des règles du jeu claires et très sympas qui permettaient de jouer avec ces voyages dans le temps de manière différente que celles avec lesquelles les autres fictions abordant cette thématique nous avaient habituées. Du coup, moi, dans ce premier épisode, j’y ai à la fois retrouvé le plaisir que savaient refiler les « Retour vers le futur » à nous foutre le vertige entre deux périodes si proches et pourtant si lointaines et étrangères. J’y ai aussi retrouvé l’excitation d’avoir la promesse d’un bon polar avec – excusez du peu ! – une enquête sur l’assassinat de JFK. Et enfin, j’y ai retrouvé le plaisir simple des intrigues qui aiment jouer avec la logique et qui, pour le coup, savent nous mettre à la place d’un héros lambda qui va essayer de tirer parti au mieux de cette situation. Bref, tout allait bien dans ce premier épisode qui savait d’ailleurs très rapidement poser les pieds dans le plat (on explore déjà les premières pistes de l’assassinat, on assiste aux premières bourdes du personnage principal, on commence aussi à poser un parallèle entre la vie dans les années 60 et la vie aujourd’hui…) Et puis vient le second épisode… L’affaire JFK disparaît. On se retrouve embringués sur un enjeu secondaire. Les personnages rencontrés ne brillent vraiment pas par leur subtilité (le personnage de Frank Dunning est notamment une horreur de caricature), et puis progressivement, la série commence à perdre le fil de son intrigue de base. L’affaire de l’assassinat devient encore plus secondaire, les enjeux principaux se réorientent presque exclusivement sur des enjeux amoureux (?) non seulement vus mille fois, mais en plus construits autour de personnages stéréotypés vraiment peu intéressants. Et c’est là que la série, à mon sens, sombre lentement. De gaffeur et loser, le personnage de Jake devient juste un personnage mielleux et lisse dans ses enjeux. J’ai même fini par me dire que l’aspect crâneur et surfait que le premier épisode donnait au personnage n’était sûrement pas voulu, mais qu’il n’était en fait certainement que la simple et triste conséquence d’une écriture de mauvaise qualité. L’intrigue elle-même se délite par une multitude de péripéties absurdes : le pompon revenant à tout ce qui touche de près ou de loin ce personnage moisi qu’est Johnny Clayton, le mari de Sadie. (
Plus cliché que ça, tu meurs ! Et puis c’est quoi ces années 60 où une personne sur trois que tu croises est un psychopathe en puissance ?!
) Mais le pire, c'est que cette tristesse de l’écriture ne va pas se limiter qu’aux personnages et aux enjeux amoureux, elle va très vite contaminer le traitement de l’affaire JFK… Et là… Je trouve que la série se tire trois balles dans le pied, et sûrement avec un calibre bien plus gros que celui d’un simple fusil Carcano. Alors OK, j’entends bien qu’il y a encore des zones d’ombres assez importantes sur le pourquoi du comment de cet assassinat. Mais s’il y a bien un point qui semble quand même aujourd’hui acquis, c’est que JFK a été abattu
par plusieurs tireurs
. Or, que la série décide d’adopter la thèse
du tireur unique
; qu’elle adhère à l’idée
d’un moment de folie d’Oswald
; qu’elle relègue
l’implication de la CIA et du FBI au simple fait que – oui bon – ils connaissaient Oswald mais s’ils l’ont laissé tirer c’était par simple négligence et ignorance
, mais c’est juste tellement vouloir porter des œillères sur l’Histoire ! Ah ça ! On croirait entendre Stephen King crier : « Ne vous inquiétez pas, chers lecteurs américains, avec moi, on ne touchera pas aux bons vieux mythes de notre beau pays ! Oh ça non ! » Mais quelle imposture intellectuelle ! C’est comme si demain il nous promettait un voyage dans le temps pour enquêter sur le mystère de Jésus et que – ô surprise ! – on découvrait qu’il multipliait vraiment les pains ! Qu’il marchait vraiment sur l’eau ! Et qu’il avait vraiment un halo de lumière autour de la tête ! Non mais quelle blague ! C’est en cela que j’en veux d’abord à Stephen King pour le ratage de cette série ! C’est lui l’auteur ! C’est lui qui a pensé tous ces ressorts moisis ! C’est lui qui, dans son intrigue originale, a finalement benné les trois quarts de ses bonnes idées de départ ! Parce que oui, le pire, c’est qu’en fin de compte, toutes les règles fixées au sujet du voyage dans le temps et qui auraient pu être exploitées mille fois, eh bah, au final, elles ne sont même pas exploitées ! Parce que l'air de rien, si on fait les comptes,
Jack ne fait qu'un seul aller-retour en plus de son voyage initial, et ça seulement dans la deuxième moitié du dernier épisode en plus ! Le comment du pourquoi le monde est tout pourri après la survie de Kennedy est à peine expliqué. D’un autre côté, j’ai lu la raison sur Wikipedia, c’est tellement absurde et peu réfléchi que je peux encore comprendre que la série l’ait zappé. Et tout cela se conclut en fin de compte sur la romance, comme si, finalement, JFK, depuis le départ, bah en fait on s’en foutait un peu, voire beaucoup même. Et là je trouve que c’est quand même un scandale, parce que quand tu appelles ton bouquin « 11.22.63. » et que tu démontres à l’intérieur que, pour toi, l’assassinat de JFK, eh bah c’est un détail sur lequel tu n’as même pas envie de te renseigner un peu, je trouve qu’on touche le fond du cynisme.
Alors après voilà, je charge l’ami King parce qu’en fin de compte, c’est quand même lui qui est à l’origine de tout ce qui cloche dans cette série, mais bon, sachons aussi le décharger de certaines fautes. Que Lee Harvey Oswald soit joué d’une manière aussi pathétique (moi aussi je sais rentrer les lèvres et les rehausser pour montrer que je suis frustré), ça c’est la série qui en est responsable, bien plus que le bouquin. Qu’il m’ait fallu lire la page Wikipedia du bouquin pour comprendre comment
Sadie était morte dans le dernier épisode
, tellement la scène n’était pas claire à la première vision, ça aussi c’est de la faute de la série, pas du bouquin. Que
Jack, qui était désigné comme le coupable idéal, s’en sorte finalement grâce au plus incroyable des Deus Ex Machina de l’histoire de la fiction (Non mais franchement : de où que Kennedy peut savoir que Jack l’a sauvé et n’est pas en fait le tireur ? C’est Dieu ce mec ?)
, eh bah cette horreur scénaristique, c’est aussi de la faute de la série ! …Bon, c’est peut-être aussi celle du bouquin, mais quand-même ! Tu es scénariste, tu lies ça, tu sais que tu as huit épisodes sous la main pour corriger le tir, tu gères ton temps pour éviter une résolution expéditive comme celle là. Et puis d’ailleurs oui, il y a ça aussi. Et c’est peut-être finalement ce qui explique aussi l’essentiel des problèmes de cette série. Le gros problème : c’est qu’il y a huit épisodes. Ils durent chacun 50 minutes en moyenne, ce qui veut dire qu’en totalité, l’intrigue s’est étalée sur presque sept heures ! Généralement, les bouquins de Stephen King, on les adapte au cinéma, et je pense qu’effectivement, c’est le format qui leur va le mieux. Un film de 2h40, je pense, serait beaucoup mieux passé qu’une série. J’ai l’impression que l’agacement que j’ai pu avoir face à cette série, notamment celui de voir aucun personnage creusé, de voir l’intrigue s’enliser, de voir toutes les questions de l’époque traitées superficiellement… Eh bah ça s’explique essentiellement par le fait qu’on a voulu diluer sur sept heures quelque-chose qui, à la base, ne pouvait même pas tenir sur trois. Je n’ose imaginer tout ce qui a été rajouté ou rallongé, mais je suis persuadé que c’est tout ce que j’ai détesté dans cette série. Or, là, désolé, mais Stephen King n’y est pour rien. Pour que son intrigue tienne la route sur sept heures, eh bah il fallait savoir inventer ! Il fallait savoir transgresser ! Il fallait savoir transcender le concept de base !
Ne faire qu’un seul aller-retour supplémentaire dans le temps, sur un film, je comprends. Sur une série, tu en penses plusieurs. Tu rapproches la date d’arrivée dans le passé avec celle de l’assassinat afin qu’on n’ait pas trois ans à se taper à chaque fois. Tu testes. tu explores ! Lors de la première visite, tu pars du principe qu’Oswald est tout seul. Mais – bang ! bang ! – d’autres tireurs abattent le président. Alors cela oblige à un nouveau voyage, pour enquêter sur ces autres tireurs. Chaque voyage aurait pu être l’occasion d’une nouvelle enquête. Chaque voyage aurait pu être l’occasion de repenser la relation avec Sadie autrement, permettant ainsi au personnage de Jack de progressivement comprendre ce qui cloche dans sa relation avec les femmes. Chaque voyage aurait pu être l’occasion de tester les impacts et les répercussions de chaque acte commis sur les individus aidés en annexe de l’enquête sur JFK…
Bref, si les gars avaient pris le bouquin de King comme une base, plutôt que comme un tout, cette série aurait vraiment pu être géniale… Et s’étendre sur plusieurs saisons qui plus est ! C’est d’ailleurs pour cela qu’au final, je mets quand même deux étoiles à ce « 11.22.63. » J’ai beau l’avoir taillé en pièce à travers l’une de mes critiques les plus longues (chapeau d’ailleurs à ceux qui ont lu jusqu’à cette ligne-là !) mais je n’en garde pas moins en tête que le premier épisode était plus que sympa, plein de bonnes idées, et que le concept global de la série était loin d’être immonde. D’ailleurs, si j’avoue avoir souffert pour la finir, j’en tire quand même un minimum de satisfaction. « 11.22.63. » n’est pas de ces séries qui ne tentent rien du tout et qui se contentent d’enfiler les perles. Non, « 11.22.63. » a certes enfilé beaucoup de perles, elle a certes gâché un véritable potentiel de grande série, mais au moins, elle a posé sur bobine une idée intéressante ; une idée qui ne laisse pas insensible. La preuve d’ailleurs… Aurais-je écrit autant à son sujet si « 11.22.63. » était totalement dénuée d’intérêt ?...