Le cinéaste passe quasiment deux heures à faire circuler en bocal fermé des flux de désirs ardents dont la folie constitue le point d’incandescence, ce moment où les fantasmes tous azimuts – de Pattinson surtout, affolant de tension sexuelle –, las de se prendre le mur (de l’autorité, de l’aliénation, de l’Atlantique), finissent par exploser en une gerbe libératrice et meurtrière. Alors seulement, la lumière sera.
Il y a ceux qui transforment ce qu’ils touchent en or. Valerie Donzelli, elle, métamorphose tout ce qu’elle filme en comédie. (...) Notre dame est certes un conte plein de fantaisie, une bouffée d’air frais, mais il ne faut pas s’y tromper : le film a aussi les atouts d’une farce mordante sur la place inconfortable des créateurs dans la société et le procès parfois absurde fait à leurs œuvres.
Si le contenant est heureux, le contenu l’est un peu moins : parasitée par d’incessants flash-back et sauts géographiques, l’intrigue de 6 Underground se révèle particulièrement confuse alors que son argument un peu désuet lui offrait la possibilité d’une progression en ligne claire. Quant à la mise en scène, elle trouve sa générosité entravée par une confusion spatiale déroutante et un agrégat de registres visuels mal équilibré, à la limite de l'indigence.
Tout au long de sa marche, ce survival movie abstrait et rugueux se pare d’une densité plastique (un dédale de paysages aux formes et couleurs changeantes), théorique (la réalité plus folle que la fiction) et politique (traverser un territoire pour joindre deux terres irréconciliables) solide. Le geste est passionnant mais manque d’envergure et reste comme suspendu à la cabine de pilotage d’un appareillage formel sans faille.
C’est le récit d’une mort et d’une naissance, et donc celui d’une ascension. Il appose, à l’extinction d’une ville agricole décimée (une terre meurtrie par l’utilisation abusive de produits chimiques et un chômage important), l’éclosion d’une jeune génération. Plus particulièrement le cheminement de quatre ados prêts à quitter le lycée pour un avenir radieux – le film a cette belle vigueur de nous le faire espérer autant qu’eux.
C’est la distance entre le fait de se savoir différent et le fait d’assumer cette différence que ce teen movie vintage et attachant, telle une succession de Polaroids aux couleurs délavées, va parcourir, entre notre héroïne empêtrée, sa meilleure amie lesbienne et le garçonnet binoclard, surdoué atteint d’Asperger, qu’elle a pris sous son aile.
Le choix de Sara Giraudeau est absolument parfait, tant son physique tranche avec notre époque. (...) Le film de Bonitzer offre un mystère dont on ressent le secret sans trouver les mots pour le dire. On l'a sur le bout de la langue.
Toute leur vie, deux soeurs n'abandonneront pas l'espoir de se retrouver et de vivre leur rêve. Elles ne sont pas filmées comme des martyres mais comme des puissances menottées. Dans le Brésil conservateur de Bolsonaro, ce mélodrame féministe, aussi virulent dans sa dénonciation du patriarcat que porteur d'espoir dans la forte résilience de ces deux sœurs, ne pouvait pas mieux tomber.
En filmant un martyr du nazisme, Malick trouve l’image dont son cinéma semblait être en quête depuis toujours : le Christ. Le film restitue cette expérience merveilleuse où le sujet ultime d'un artiste, celui qui cristallise près de cinquante ans de filmographie, apparaît enfin devant ses yeux. Si, depuis quelques films, Malick ne manquait définitivement pas de style, un sujet lui échappait. Il l’a désormais trouvé.
Le film] retrace l[a] bataille [des salariées d'une fabrique textile], un long périple administratif qui leur vaudra de multiples tentatives d’intimidation. Dans le leading role, une belle entêtée jouée par une inconnue (la gracieuse Rikita Shimu), saisie dans son environnement professionnel et intime sans surcharger la barque documentaire.
Le collectif et ses affrontements internes sont ici auscultés avec une grande précision : d'un côté, ceux qui agitent l’intérieur du cinéma, mais aussi ce qui se déroule en miroir à la mairie de Montreuil lors des différents conseils municipaux. (...) Comment un collectif, qu’il s'agisse des élus d’une ville ou de salariés en grève, négocie-t-il avec son langage commun et ses règles sans se disloquer de l'intérieur ?
Mollasson, infantile, et comme complexé par ses propres réticences à s'épanouir dans la satire et l'horrifique, "La Famille Addams" perd son temps sur les intrigues les plus abêtissantes qu'on puisse en tirer et donne la curieuse impression d'avoir passé une heure et demie devant Gulli.
[Le film], dès qu’il commence à parler soins palliatifs et cicatrices du passé dans des cafés de l’Ouest parisien, se vautre pour de bon – déjà parce qu'il n'y a rien de pire qu'un beauf qui se prend au sérieux, mais surtout parce qu'il ne veut absolument rien dire (les personnages successivement se haïssent, se pardonnent, s’adorent, sans la moindre justification, par pure fonctionnalité de scénario) et, donc, se fout de nous. De quel droit ?
La beauté de l'animation et des décors est d'abord ce qui frappe le spectateur. Le romanesque du récit semble synthétiser de nombreux contes et romans d'aventures et fantastiques, comme ceux de Stevenson. Enfin, le film regorge de citations des plus grands maîtres du cinéma, d'Eisenstein à Hitchcock en passant par Fritz Lang.
Comme une carte au trésor, le film déploie au gré de ses territoires le point de vue de chaque personnage, rejouant les scènes selon un angle différent. De cette entreprise de rembobinage naît un récit dense où les regards glanés en chemin constituent les pièces à conviction d’une énigme trouée dont la résolution (qui a tué ?) importe moins que l’origine du mal.
L’intrigue presque ubuesque du début se délite peu à peu au profit d’une romance torturée avec une chirurgienne, sœur de la victime, prétexte à une longue digression autour d’une double perte qui endeuille nos personnages plombés par la dépression. (...) Reste cette critique en filigrane d’un pays semblant nécrosé de l’intérieur, à travers le mal-être des représentants de ses institutions.
Le transfuge se donnant comme foncièrement comique, on songe à un modèle fameux : Buster Keaton, dont Suleiman n’a pas le physique mais à coup sûr le moral, dubitatif, et surtout le regard qui hésite entre une mélancolie de fond et une allégresse sans fin. “Va voir ailleurs si j’y suis”, c’est le slogan subliminal de ce film. (...) Suleiman regarde ce qu’on ne voit plus : l’extraordinaire de l’ordinaire.
Baumbach se fait l'observateur méticuleux d'une vie de famille dont il déroule un impressionnant ruban de scènes, alternant le « haut en couleur » de personnages secondaires irrésistibles ; les sépias de l'intimité où tous les sentiments sont ambivalents, feutrés, déréglés , et même quelque chose de nouveau auquel le cinéaste n'avait jamais vraiment aspiré, à savoir un certain baroque dans son genre.
Ici, peu de choses s’impriment en profondeur. Le film, à la manière de son héros, bientôt noyé dans un récit choral, semble chercher un point d’ancrage sans jamais le trouver, nouant et dénouant des séquences de groupe et de rêve pour constituer un bloc qui, malheureusement, se désagrège trop vite.