Je suis corse par ma mère bien que celle-ci ne m’ait jamais transmis son histoire, ni quoi que ce soit de cette île. Ma mère semble d’ailleurs ignorer ses origines depuis longtemps. Il y a quelques années, par hasard, j’ai retrouvé dans ses affaires un album de photos. Celles-ci ont été méthodiquement enlevées, ne laissant plus exister que des stigmates de colle et quelques légendes éparses.
Les légendes de cet album sont les indices d’un chemin que j’ai parcouru avec mes deux filles âgées de 10 et 13 ans, les maillons les plus jeunes de mon histoire familiale. Une arrivée en bateau, une approche lente de l’île dans la brume marine où se dessine la côte, une tentative de mise au point vers l’inconnu. Accoster à Bastia, ville natale de ma mère et pénétrer la Corse comme une chair, par intrusion. M’approcher d’un homme, son père, mort dans des conditions étranges à Ajaccio, en juillet 1944, près d’un an après la libération de l’île.
Entre le secret et le doute, dépasser le malaise d’un héritage ou d’une histoire qui n’a pu se transmettre et qu’une expression insulaire traduit de manière physique : « Acqua in bocca », l’eau dans la bouche, l’eau qui empêche de parler.
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